Chapitre 2 : Le renégat, Partie 2
Vingt minutes plus tard, ils étaient tous les trois à bord de l’Aston Martin, fonçant sur l’autoroute. La voiture roulait à cent quatre-vingts kilomètres heure, passant comme un éclair noir entre les rares véhicules circulant à cette heure tardive. Triss était installée devant sur la place passager, tandis que Ryku avait trouvé refuge sur la banquette arrière.
- Vous ne pourriez pas rouler moins vite ? demanda la jeune fille, le visage pâle, sentant une nausée grandissante dans sa poitrine. On risque de se faire arrêter par la police.
- Impossible. Plus vite nous serons loin, mieux ça vaudra. Quant aux humains, ils ne nous verront même pas… La voiture est équipée de dizaines d’enchantements de camouflage. En revanche, les vampires ont une vision bien supérieure à la normale… et ils semblent avoir eux aussi des jouets très performants. En plus, j'imagine qu'il n'existe pas deux véhicules comme le nôtre à cette heure-ci sur les routes. S’ils peuvent détecter la voiture, ils nous repèreront sans difficulté.
Triss le savait parfaitement. Dans l’obscurité complète de la nuit, vaguement éclairée par quelques rayons de lune perçant entre les nuages, elle voyait comme en plein jour.
- Comment nous ont-ils retrouvés à l’hôtel ?
- Oh ils ne nous ont pas vraiment localisés à ce moment précis, répondit Sheamon. Sinon, ce ne seraient pas deux assassins, mais cent qui auraient encerclé l’hôtel. Ces deux-là n’étaient qu’une avant-garde comme il doit y en avoir des dizaines d’autres dans toute la région. C’est un pur hasard qu’ils nous aient repérés en quadrillant le secteur. Mais maintenant les autres doivent être au courant de la disparition de leurs camarades… Ils savent que nous voulons quitter le pays.
Un cri perçant résonna soudain dans la nuit, coupant court aux arguments de Sheamon. Triss regarda dans le rétroviseur… et tourna si vite la tête qu’elle crut que son cou allait se déboiter.
Car volant dans le ciel au-dessus de l’autoroute à plusieurs centaines de mètres de leur voiture, trois formes massives et sombres, croisements entre un aigle et un lion, s’approchaient à toute vitesse dans leur direction. Triss pouvait même apercevoir deux cavaliers sur chaque monstre. Mais le plus inquiétant n’était pas leur apparence effrayante, ni le fait que leur présence signifiât que ses ravisseurs étaient si proches. C'était leur vitesse.
Ces monstres parvenaient à suivre l’Aston Martin lancée à pleine vitesse sur l’autoroute. Et ils gagnaient du terrain…
- Sheamon ! déclara Triss d’un ton pressant. Il y a trois énormes créatures qui foncent droit sur nous !
- Des griffons ! pesta l’ange déchu entre ses dents en jetant un regard dans son rétroviseur. Ils sont plus rapides que bon nombre de vaisseaux et ce sont de redoutable traqueurs. C’est ce que je craignais. Peut-être qu’ils nous ont suivi à l’odeur. Les griffons sont très doués pour ça.
- Comment ça à l’odeur ? s’indigna Triss.
- Il ont dû fouiller l’hôtel de ton oncle, trouver tes affaires, et les faire sentir à leurs montures. Ces maudites bêtes sont capables de traquer un campagnol dans une forêt entière. Dans quelques minutes, ils nous auront rattrapés... a moins qu’ils cherchent seulement à nous garder à l’œil le temps de prévenir leurs copains.
- Et vous n’avez rien pour les semer ? Avec toutes vos améliorations magiques, il n’y en a pas une seule qui inclue un missile anti-griffons ?
Sheamon parut réfléchir. Il lança un regard dans son rétroviseur, comme pour s’assurer qu’aucune voiture n’essayait de le dépasser. Ce n’était pas la peine. Il n’y avait absolument personne sur la route.
- On va quitter l’autoroute et tenter de les semer dans le paysage, décida-t-il en s’engageant dans la voie de sortie.
- Et s’ils nous rattrapent quand même ?
- Je préférerais qu’ils nous rattrapent plutôt qu’ils se tiennent à distance, rétorqua Sheamon, les dents serrées.
- Ils sont six avec trois énormes…
- Griffons, oui. C’est justement pour ça qu’ils se tiennent à distance, pour que je ne puisse pas les rattraper.
- Vous voulez les rattrapez ? Vous êtes malade ! Ils vont vous tailler en pièces !
Sheamon ne répondit pas tout de suite, il accéléra davantage tout en continuant à jeter un coup d’œil derrière lui. Ils passaient à présent dans une forêt assez dense, et les arbres défilaient à toute vitesse.
- On dirait qu’ils mordent à l’hameçon… commenta l’ange déchu en jetant un coup d’œil à son rétroviseur. Ils doivent avoir peur de nous perdre. Si ma mémoire est bonne, on va bientôt atteindre un pont avec un fleuve…
Triss ne voyait pas le rapport, mais elle regarda à son tour dans la même direction que Sheamon.
Plus loin en effet, la route enjambait une rivière sur une centaine de mètres. Le cours d’eau était à environ trente mètres en dessous du pont qui s’étirait en deux arches distinctes, un pilier planté au milieu du fleuve, le séparant en deux bras distincts.
-On va être totalement à découvert, objecta-t-elle, se demandant sérieusement si son protecteur avait toute sa tête. Vous ne pensez pas…
Sheamon pressa l’accélérateur, ce qui força Triss à fermer la bouche pour éviter de se mordre la langue.
Ayant atteint le pont, il enfonça tout aussi brutalement la pédale de frein. La voiture dérapa et tourna à quatre-vingt-dix degrés jusqu’à s’arrêter au milieu de l’édifice, en travers de la route. Triss resta agrippée à la poignée de sa portière. A cet instant précis, la nausée était si forte que seule sa volonté surhumaine l’empêcha de rendre le contenu de son estomac dans le véhicule.
- Que faites-vous ? demanda-t-elle en déglutissant.
- On ne peut pas semer des griffons dans un environnement aussi plat. Eux aussi ont une très bonne vision et ils sont très endurants… Ils nous prendront en chasse jusqu’à ce que des renforts arrivent. Et puis, maintenant qu’ils nous ont repérés, ils pourraient donner notre position à leurs camarades si on les laisse en vie. Mais en revanche, ils ont du mal à résister à une proie isolée. C’est dans leur instinct.
Il saisit son arbalète et vérifia le chargeur avant de se tourner vers Triss.
- Tu sais conduire ?
- Non ! Enfin, j’ai déjà conduit un vieux scooter, mais…
- C’est presque pareil. Ce bouton-là condamne toute les portes de la voiture. Si tu vois que les choses tournent mal, tu roules à toute vitesse droit devant toi. Tant que tu restes dans la voiture, tu ne risques rien.
- Je sais me battre ! Je peux aider !
- Loin de moi l’idée d’en douter, mais ce n’est pas nécessaire. Quoi qu’il arrive, ne sors pas du véhicule avant que je ne t’en donne l’autorisation, c’est compris ?
- Vous allez les affronter tout seul ? éluda Triss. C’est de la folie !
Sheamon se permit un sourire sarcastique alors qu’il ouvrait la portière.
- C’est mon métier, gamine.
Sur ces derniers mots, il sortit du véhicule. Ryku se faufila aux côtés de son maître juste avant que la portière ne se refermât. Ils s’avancèrent ainsi jusqu’à se retrouver à vingt mètres de l’Aston Martin.
Les griffons ne tardèrent pas à apparaitre, décrivant des cercles concentriques autour des fugitifs en poussant des croassements excités. Ils finirent par se poser sur le pont à distance de la voiture. De si près, Triss pouvait voir leur bec acéré, les griffes aussi longues que des lames de couteau et les plumes d’aigle brunes contrastant avec le pelage doré de leur moitié lion. Leurs cavaliers sautèrent au sol avec agilité. Ils avaient chacun une épée courte dans les mains. Leurs vêtements noirs et la cagoule qui masquait leur visage lui rappelaient la description faite par son oncle des serviteurs de la reine.
Des shinobis, des soldats dévoués corps et âme à Némésis...
L’un deux prit la parole :
- Donne nous la fille, renégat, déclara-t-il. Cela ne te concerne pas.
- Malheureusement pour vous, si ! répliqua Sheamon.
Le vampire qui semblait être le chef haussa les épaules.
- Alors tu vas mourir, siffla-t-il en inclinant la tête.
Aussitôt, le griffon qui était derrière lui bondit au-dessus des shinobis. En poussant des cris perçants, il se jeta sur Sheamon.
Triss vit à peine le bras de ce dernier bouger. Un carreau d’arbalète se planta dans l’œil du griffon qui hurla de douleur. Il continua néanmoins sur sa lancée, mais un second projectile l’atteignit cette fois au milieu de sa gueule écumante de rage. La créature s’écroula devant Sheamon.
Mais les deux autres n’étaient pas restés inactifs. Pendant que leur congénère occupait l’attention de l’exorciste, ils s’étaient élevés dans les airs et décrivaient des cercles de plus en plus rapprochés au-dessus du pont, guettant l’occasion d’en finir avec leur proie.
L’un d’entre eux fondit en piqué sur Sheamon, toutes griffes dehors. Celui-ci l’évita d’une roulade et lança de son bras gauche une petite sphère de cristal scintillante. Le griffon voulut balayer ce projectile d’un revers de patte, mais elle explosa à son contact, l’éclaboussant d’un liquide transparent. De loin, Triss comprit immédiatement. La plupart des monstres, vampires compris, étaient vulnérables à l‘eau bénite !
Le griffon poussa des cris de douleur et rage mêlées, tandis que le liquide sacré rongeait sa chair, dégageant une fumée inquiétante. Il manqua de s’écraser sur le pont mais réussit à redresser sa trajectoire et repartit dans les airs. Sheamon brandit son arbalète, visant avec soin sa cible qui effectuait un virage à cent quatre-vingts degrés pour revenir à la charge.
Triss aperçut alors le second griffon qui amorçait lui aussi sa descente dans le dos de Sheamon, tandis que ce dernier était occupé avec l’autre.
- Attention ! hurla Triss, le plus fort qu’elle put.
Le griffon n’était plus qu’à quelques mètres de Sheamon, ses serres aiguisées braquées droit devant lui. Ryku s’interposa soudain entre les deux, toutes griffes dehors, crachant en direction de la créature en furie. Mais que pouvait-il faire face à un monstre surpuissant de cinq mètres ?
Soudain, sous les yeux médusés de Triss, et juste avant que Ryku ne heurtât son adversaire, le corps du félin se métamorphosa... Il grandit, sa fourrure tigrée s’épaissit, ses griffes s’allongèrent. Sa mâchoire se développa et deux canine protubérantes, recourbées comme des poignards effilés, apparurent sur les côtés de sa mâchoire inférieure.
Le griffon eut ainsi la surprise de percuter un tigre à dents de sabre de plus de deux mètres de long, tout en muscles. Le félin planta ses crocs dans la gorge du griffon, et fit basculer ce dernier en arrière. Les deux prédateurs passèrent alors par-dessus la rambarde du pont et tombèrent dans le vide alors que les shinobis se précipitaient vers le renégat. Sheamon leur jeta un rapide coup d’œil avant de pointer son arbalète dans leur direction. Le carreau explosa à leurs pieds, donnant naissance à une ligne de feu de deux mètres, forçant les shinobis à reculer et contourner l’obstacle.
A cet instant, un cri venant du ciel avertit Sheamon que le dernier griffon revenait à la charge. Il eut juste le temps de se jeter sur le côté alors que le monstre atterrissait avec fracas sur le pont. Ses serres acérées frôlèrent la poitrine de l’exorciste. Ce dernier tira un autre carreau d’arbalète qui s’enfonça dans l’épaule de la créature.
Cela ne fit que l’énerver davantage. Le griffon se jeta sur lui, prêt à le couper en deux d’un coup de bec, mais Sheamon dégaina son épée et, après être passé sous le corps de celui-ci grâce à une roulade, son glaive effectua un demi-cercle incisif, tranchant la gorge du monstre, juste avant de rouler hors de sa portée.
Sa victime poussa un dernier cri de rage : déjà affaibli, dans un ultime élan, le griffon se redressa de toute sa hauteur pour déchiqueter Sheamon avec ses griffes, mais l’exorciste plaqua sa paume contre le poitrail du monstre au moment même où le mur de flammes disparaissait. Un flash de lumière partit de sa main et se propagea au corps de la bête qui mourut dans la seconde, vidée de ses dernières réserves d’énergie.
Triss avait pris sa décision. Elle devait aller aider Sheamon. Il s’en sortait bien, mais elle se doutait qu’il se trouverait bientôt à court de munitions. Et les six shinobis, restés patiemment en retrait tant que les griffons occupaient la première ligne, attendant leur heure, commençaient en effet à se déployer lentement autour de l’exorciste. Ce dernier se redressa lentement et accrocha de nouveau son arbalète à sa ceinture. Lentement, il plongea sa main gauche dans une poche intérieure de son long manteau noir, tout en défiant ses adversaires du regard. Même au cœur du danger, il conservait un calme olympien.
La main de Triss toucha la poignée de la voiture, quand soudain Sheamon tourna ses yeux vers elle, la fixant avec tellement d’intensité qu’elle se figea. Son regard était sans équivoque :
« Ne bouge pas ! »
Un des vampires profita de ce moment d’inattention pour lancer une attaque vicieuse vers la tête de l’exorciste, mais ce dernier réagit in extrémis en se jetant en arrière. Il repoussa son assaillant en effectuant un arc de cercle avec son arme, tout en sortant de son manteau une pièce écarlate qu’il lança en l’air. Elle éclata en provoquant un flash de lumière qui força Triss et les shinobis à détourner le regard. Une demie seconde plus tard, elle constata que Sheamon tenait désormais dans sa main gauche un redoutable harpon à pointe dentelée. Les vampires ne semblèrent pas effrayés cependant.
L’un d’entre eux, celui qui avait parlé en premier semblait-il, fit un pas en avant avec l’épée brandie au-dessus de sa tête, prêt à fracasser le crâne de Sheamon.
Aussitôt le harpon transperça sa poitrine et ressortit dans son dos, coupant court à son élan. Sheamon retira son arme d’un coup sec, et son adversaire s’effondra. Les cinq derniers se jetèrent sur lui.
Ce qui se passa ensuite resta gravé pour toujours dans la mémoire de Triss. Sheamon virevoltait sur lui-même, faisant tournoyer son harpon dans les airs de sa main droite, et parant les coups avec son épée. Il ne faisait aucun mouvement inutile. Chaque fois que la lance frappait, elle atteignait systématiquement la poitrine de son opposant. Sheamon se livrait à l’exécution d’une danse mortelle dont le rythme imprévisible déstabilisait les vampires, les empêchant de coordonner leurs attaques. Et même ainsi, quand l’un d’entre eux pensait déceler une faille dans la défense de l’exorciste, son épée rencontrait inlassablement le glaive de Sheamon ; il s’ensuivait une douleur immense quand le harpon de ce dernier transperçait son cœur…
Triss avait déjà observé des guerriers, nombreux à venir acheter les armes des forgerons d’Umbrella. Certains étaient des colosses tout en puissance, d’autres comme son ancien maître d’armes savaient manier une épée comme personne. Pourtant, s’ils avaient affronté Sheamon dans un véritable combat, ils auraient tous été tués. Triss avait compris en jaugeant le style de l’ange déchu que son épée était une arme secondaire pour lui. Sheamon n’était peut-être pas un épéiste hors pair, ni même un guerrier…
C’était un chasseur. Et ses proies n’avaient aucune chance.
Au bout de deux minutes il ne restait plus qu’un dernier vampire déjà blessé à la cuisse et au flanc. La lance de l’exorciste s’enfonça soudain dans son épaule droite, tétanisant son bras. L’épée du shinobi lui échappa des mains, et il tomba à genoux. Il voulut récupérer son arme, mais le glaive de Sheamon se posa contre sa gorge.
- Gamine, tu peux sortir maintenant, déclara-t-il.
Triss ne se fit pas prier. Elle ouvrit la portière d’un coup de pied et rejoignit Sheamon. Après avoir vu l’exorciste en action, Triss avait un peu peur de lui. Mais cela, il était hors de question de le lui montrer…
- J’ai failli attendre, grommela-t-elle plutôt.
Son protecteur leva les yeux au ciel. Le vampire respirait par à-coups. Ses poumons avaient été touchés.
- Tu es fort, admit-il en déglutissant. Mais au moins nous avons tué ton monstre…
- Ryku ne mourra pas pour si peu, répliqua Sheamon. Il déteste être mouillé, mais un griffon ne fait pas le poids contre lui.
A cet instant précis, des crissements réguliers se firent entendre par-dessus le courant du fleuve, comme si quelqu’un escaladait le pont avec des griffes. Triss tourna la tête en direction du bruit. D’un bond prodigieux, Ryku se propulsa à ses côtés. Son pelage était complètement trempé mais il paraissait indemne, hormis des traces de griffes superficielles sur ses flancs. Le tigre à dents de sabre s’ébroua avant de frotter sa tête contre la main de Triss en ronronnant.
Le vampire resta impassible, mais puisque seuls ses yeux rouges étaient visibles, Triss aurait été bien en peine de remarquer une quelconque émotion.
- Bien, maintenant que tu es rassuré sur le sort de mon ami, j’aimerais te poser quelques questions, lança Sheamon. Enfin, si tu veux bien y répondre. Tu ne nous diras rien sur les plans de ton maître, ni où il se trouve, n’est-ce pas ?
Le shinobi resta muet. Sirius avait parlé un jour des shinobis à Triss. Il lui avait dit qu’ils n’avaient pas de volonté propre, étant les serviteurs dévoués de la reine, et qu’ils se tueraient dans la seconde si elle l’ordonnait. Leur loyauté sans faille en faisait des soldats redoutablement disciplinés, prêts à mourir sans hésiter pour accomplir sa volonté. Il ne révèlerait rien, même sous la torture. Pourtant, il n’était pas inutile d’essayer de lui faire cracher ce qu’il savait.
- Parle et tu auras la vie sauve, lui promit Triss en cherchant à montrer plus d’assurance qu’elle n’en avait.
- Si je reviens vers mon maître en ayant échoué dans ma mission, je serai exécuté, rétorqua le shinobi. C’est un juste châtiment pour avoir failli Sa Majesté.
- Tu as sans doute été présent lors de la destruction du quartier d’Umbrella, supposa Sheamon. Ton maître t’a-t-il aussi interdit d’en parler ?
Brièvement, les yeux du vampire retrouvèrent un éclat cruel. Il s’adressa directement à Triss cette fois-ci.
- Non, le maître nous a ordonné d’en parler si nous trouvions la fille. Nous avons rasé le quartier sur son ordre, en ne laissant aucun survivant. Tous les habitants sans exception ont été annihilés. Il a personnellement exécuté Sirius Aleyran, le chef des traitres, en lui transperçant le cœur. Ainsi, il est mort en voyant l’œuvre de sa vie partir en fumée devant ses yeux !
Triss bouscula Sheamon et sauta sur le shinobi. Sa force projeta au sol sans effort l’ange déchu pourtant robuste, et la surprise lui fit lâcher son épée. Son sang de Nocturii lui conférant une force surhumaine, elle souleva le vampire d’une main sur la gorge avant de le plaquer contre le bitume. Un craquement de sinistre augure s’échappa de sa victime, mais aucun grognement de douleur.
-QUI ? hurla-t-elle avec démence en serrant sans pitié le cou de sa victime.
Le shinobi étouffait sous sa poigne de fer, mais elle s’en moquait. Enfin, un faible murmure sortit d’entre ses lèvres, inaudible pour un être humain.
-Le Comte… Forlwey...
Triss poussa un dernier un cri de rage et saisit le glaive de Sheamon avant que ce dernier pût l’en empêcher. Elle l’enfonça si fort dans la poitrine du shinobi que la lame transperça même le béton sous le corps, empalant ce dernier.
La jeune fille resta ainsi pendant quelque secondes, débordante de chagrin et de colère contenue. Était-ce une surprise pour elle ? Non, elle savait au fond d’elle que Sheamon lui avait dit la vérité dès le début, mais elle avait fait semblant de l’ignorer parce que c’était plus facile, parce qu’il y avait un espoir que les choses ne fussent pas aussi terribles… A présent, la vérité s’imposait à elle. Sirius, le quartier Umbrella… tout avait été purement et simplement effacé de la surface du monde. Elle n’avait plus de foyer, plus de famille…
Plus rien.
Aussi soudainement que la rage meurtrière s’était emparée d’elle, Triss éclata en sanglots. Ryku pencha sa grosse tête de chat et se frotta contre elle pour la réconforter. Sheamon resta à distance, respectant prudemment son chagrin. Triss se sentit alors envahie d’une haine sans précédent contre ce Forlwey qui avait détruit sa vie.
- Je vous avais dit que j’aviserais le moment venu, Sheamon, déclara-t-elle en séchant ses larmes et en se redressant. Alors, voici mes nouvelles consignes. Vous connaissez votre cible. Forlwey. Si vous voulez l’Aurora, je veux sa tête.
Elle tremblait encore, mais sa voix était ferme, dure comme le roc. Le renégat hocha la tête, impassible. Si son soudain comportement l’avait effrayé, il n’en laissa rien paraître.
- Je te le promets, gamine.
Triss observa le corps du shinobi qu’elle venait d’assassiner de sang-froid. C’était la première fois qu’elle tuait quelqu’un, et pourtant elle ne ressentait rien d’autre que la haine qui la brulait. Elle imagina le corps de son oncle, ceux de Romy, Marco, Philippa ou d’un autre de ses amis à la place.
Impardonnable. Sa mère payerait. Les Nocturii payeraient.
Mais d’abord, Forlwey allait payer.
A suivre...
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