Chapitre 16 : Amis pour la vie, Partie 3
Philippa relâcha Triss et se releva, sans plus de préoccupation pour la jeune fille prostrée dans sa douleur autant morale que physique...
- Enfin, pour ce qui est de ta capture, je dois reconnaitre que le mérite est partagé, admit-elle en couvrant Marco, Stella, Vanessa et Romy d’un œil sarcastique. Tes amis ont très bien joué le jeu… J’avoue qu’ils m’ont étonnée ! Ces retrouvailles m’ont presque donné les larmes aux yeux !
Elle émit un ricanement qui fit frémir ses quatre complices.
- Pourquoi, Marco ? demanda soudain Triss, la voix brisée. Stella, Romy, Vanessa… comment avez-vous pu…
Stella poussa un cri de rage et se jeta sur elle. Son poing s’écrasa sur la tempe de cette dernière, la jetant à terre. Ivre de colère, Stella sauta sur sa victime et la martela de coups de poing. Triss, les mains liées dans le dos, ne put que subir, impuissante…
- SALE MONSTRE ! rugit son bourreau. Tu oses nous accuser ?! C’est de ta faute si tout cela est arrivé ! Si tu n’avais pas été là, si tu n’étais jamais née, RIEN DE TOUT ÇA NE SERAIT ARRIVÉ ! Nos familles seraient encore en vie ! PERSONNE N’AURAIT EU A SOUFFRIR !
Les mains de Stella se refermèrent sur le cou de Triss. Cette dernière commençait à suffoquer. Sans savoir pourquoi, les souvenirs de sa première rencontre avec son bourreau lui revinrent en mémoire. Elle lui avait paru un peu arrogante avec un côté m’as-tu-vu qui l’avait très vite incitée à s’en méfier. Mais Triss et Stella avaient appris à s’apprécier au fil du temps, chacune complétant l’autre. Triss savait qu’au fond de Stella, se terrait la crainte d’être rejetée par les autres. Alors pourquoi essayait-elle maintenant de l’étrangler de toutes ses forces ?
- Arrête ! intervint Marco. Tu ne peux pas faire ça !
Ses bras puissants ceinturèrent Stella et l’arrachèrent à sa victime. Marco essayait de retenir la jeune fille qui se débattait avec la férocité d’une démente. Triss fut prise d’une quinte de toux, cherchant sa respiration. Tout son visage la faisait souffrir. Ses lèvres paraissaient avoir doublé de volume et elle sentait que son nez coulait… Le goût de son propre sang emplit sa bouche, lui donnant des haut-le-cœur.
- Lâche-moi ! hurla Stella. C’EST DE SA FAUTE ! Mes parents, mon petit frère…
Elle éclata en sanglots amers, tandis que Marco l’étreignait avec force.
- C’est fini, murmura-t-il tendrement. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger…
Il prit une inspiration et, pour la première fois depuis qu’il l’avait poignardée, il affronta le regard meurtri de Triss.
- Quand le Quartier Umbrella a été anéanti, nous avons essayé de revenir au plus vite pour rejoindre nos familles, mais tout était détruit… et ils étaient tous morts… révéla-t-il avec difficulté. Nous avons été capturés par les shinobis sans pouvoir nous défendre. Le nosferatu nous aurait tués, si Philippa n’était pas intervenue à temps pour l’en empêcher. Elle a dit qu’on pouvait encore être utiles pour te retrouver. Mais le nosferatu… il a répliqué qu’il voulait s’amuser et…
Marco parut perdre la parole pendant quelques secondes. Il déglutit avant de reprendre d’une voix brisée :
- Il nous a torturés, Triss… Jour et nuit, l’un d’entre nous était appelé, et ses hurlements nous hantaient pendant des heures et des heures… Même quand nous lui avons révélé tout ce que nous savions… ce sadique continuait ! Tu n’as pas idée à quel point nous avons souffert, Triss… Alors quand il nous a proposé de regagner notre liberté, nous n’avons pas hésité une seule seconde. Même si cela signifiait te vendre aux Nocturii. On… Je… je ne veux pas revoir ce monstre…
Marco paraissait terrifié par ses souvenirs. Lui qui était d’habitude toujours prêt à jouer les braves semblait sur le point de s’effondrer. Triss savait qu’il était autrefois quelqu’un de droit et de généreux. Désormais Marco était rongé par les remords, mais surtout par la peur. Une indicible terreur d’être de nouveau la victime… A quel point avait-il souffert aux mains de Forlwey pour changer ainsi ?
- Alors tout ça, c’était du vent… articula Triss entre deux souffles. Vous m’avez menti… depuis le début.
- Toi aussi ! rétorqua Vanessa, avec une rage qui surprit Triss. Tu ne nous as jamais avoué que tu étais la fille de Némésis ! En restant auprès de nous, tu nous mettais tous en danger ! Ton oncle aussi le savait et il a préféré sacrifier Umbrella pour toi ! Tu n’as pas le droit de nous juger, Triss ! Nous sommes les victimes ici ! C’est comme ça que tu nous voyais, nous comme ceux qui sont morts ?! Un tas de pions que tu peux utiliser à loisir ?
- Je n’ai jamais… protesta Triss d’une voix faible.
- TOUT LE MONDE est mort à cause DE TOI ! C’est la moindre des choses que tu te sacrifies aujourd’hui pour nous, espèce de monstre !
Elle dévisageait Triss avec de la haine à l’état pur. Jamais cette dernière n’avait vu Vanessa se mettre en colère, ou haïr quelqu’un. Elle était toujours timide et en retrait, préférant sourire et suivre les autres plutôt que d’oser donner son avis… Pourtant, à ce moment précis, elle avait l’air de mourir d’envie de planter à son tour son épée dans le corps meurtri de Triss.
Le regard de cette dernière se tourna alors vers Romy. Il avait les yeux rougis et serrait les poings, se mordant la lèvre inférieure en évitant de la regarder dans les yeux.
- Toi aussi, Romy ? murmura Triss.
Elle savait qu’il allait l’insulter comme Stella et Vanessa, ou bien se justifier comme Marco. Mais elle devait l’entendre. Elle éprouvait le besoin de constater de ses propres yeux la haine que lui témoignaient ses anciens amis pour admettre enfin qu’elle s’était complètement trompée. Et surtout qu’elle avait échoué…
Mais à la surprise de Triss, des larmes se mirent à couler sur le visage de Romy.
- Tu n’aurais jamais dû venir nous aider… déclara-t-il en s’essuyant la figure d’un revers de manche. J’ai voulu te prévenir, dans l’escalier, mais tu ne m’as pas écouté… Je voulais t’expliquer mais… j’ai eu peur… J’ai eu peur de la souffrance qu’il nous aurait infligé si on ne t’avait pas capturée ! Je… je suis désolé, Triss ! Je préfèrerais mourir plutôt que de retourner là-bas…
Romy ne put contenir ses larmes. De tous, c’était probablement celui dont elle avait été la plus proche. Les deux adolescents ne s’ennuyaient jamais ensemble. Il trouvait toujours le moyen de la faire rire et les histoires qu’il racontait étaient fantastiques. Triss l’écoutait parler pendant des heures sans jamais se sentir lassée. Mais Romy n’était pas d’un naturel brave comme Marco. Il avait peur des insectes, des piqures et il abhorrait l’idée de se battre. Elle avait essayé de lui apprendre les rudiments de l’escrime, mais il finissait toujours par faire le pitre avec son épée sous les éclats de rire de Triss. Si quelqu’un comme Marco avait été brisé sous la torture par Forlwey, alors Romy…
Or malgré tout Romy avait combattu ses propres craintes pour la prévenir, au mépris de sa vie. Mais Triss, bien trop naïve, n’avait pas su comprendre les signes, ni écouter ceux qui s’efforçaient de l’avertir.
« Quand on y pense, c’était évident, non ? » lui murmura alors sa conscience avec ironie. « Drôle de coïncidence, retrouver tes amis dans la forteresse du maire, avec Philippa en position de secrétaire ! Tu as cru à tous ces mensonges sans même essayer d’imaginer la possible présence d’un traître parmi eux... Sheamon t’avait prévenue, et tu ne l’as même pas écouté, parce que tu voulais croire de toutes tes forces que ton entourage ne tenterait jamais de te faire du mal ! Le monde est impitoyable, pauvre sotte ! »
Triss se rendit compte que Stella et Vanessa avaient raison. C’était elle, et personne d’autre, qui avait causé l’anéantissement du Quartier Umbrella comme les souffrances que ses amis avaient dû endurer. Ils avaient perçu une mince lueur d’espoir au fond des ténèbres dans lesquelles ils avaient été jetés et l’avaient saisie pour tenter de survivre. Leur colère, leur trahison, étaient donc parfaitement justifiées. Triss était l’unique responsable de leurs tourments. C’était son fardeau, le péché qu’elle devrait supporter jusqu’à la fin de ses jours.
Elle avait perdu son foyer, sa seule famille… et désormais aussi ses derniers amis.
- Préparez la retraite, ordonna alors Philippa à l’un des shinobis. Les miliciens en auront bientôt fini avec les mercenaires. Ils ne tarderont pas à rappliquer ici en force et nous devons absolument nous éclipser avant.
- Et pour les prisonniers ? questionna le shinobi.
- Je croyais avoir été claire ! rétorqua Philippa. Pas de prisonniers !
- Ce ne sont pas des miliciens. L’un d’entre est un démon et les deux autres sont des monstres, une lamia et un tigre à dents de sabre. Ils nous tiennent toujours tête.
Philippa haussa les sourcils, puis se tourna vers la direction que lui indiquait le vampire. Triss fit aussitôt de même. Elle vit que Dast avait matérialisé un mur de flammes entre son groupe et les shinobis, Syana bandait son arc prête à l’assaut et Ryku continuait de montrer les crocs pour maintenir l’ennemi à distance. La jeune fille reprit espoir. Peut-être qu’au moins Dast et Ryku allaient s’en sortir ! Mais elle croisa le regard de Philippa, qui lui glaça les veines.
- On dirait que tes nouveaux amis ont survécu à la bataille, dit-elle avec un sourire froid. Ils auront au moins vécu quelques minutes de plus…
Elle indiqua d’un signe de tête les portes des Enfers. Triss réalisa alors que certains shinobis pointaient les canons des fortifications en direction de Dast et Ryku.
La colère s’empara d’elle, lui insufflant de nouvelles forces.
- Non ! hurla Triss.
Du sang jaillit de sa blessure, mais la jeune fille l’ignora. Elle oublia sa fatigue et sa souffrance pour réussir à se redresser, les yeux rivés sur Philippa qui la regardait se débattre avec indifférence. En poussant un cri de rage, la jeune fille voulut se jeter sur sa tortionnaire. Elle savait qu’elle ne tiendrait pas longtemps, désarmée et affaiblie. Mais son seul but était de détourner l’attention de leurs adversaires pour permettre à Dast et Ryku de s’enfuir.
Triss se tenait à deux mètres de Philippa quand elle entendit quelque chose de lourd atterrir derrière elle. Elle n’eut même pas le temps de se retourner qu’une main puissante attrapa sa nuque. L’instant d’après, elle se retrouva plaquée au sol, luttant pour tenter de se redresser, mais la pression était si forte qu’elle faillit s’évanouir. Triss, grimaçant de rage, essaya de tourner la tête pour découvrir son nouvel ennemi.
Un visage d’acier féminin incroyablement réel, bien qu’aussi inexpressif que celui d’une statue, lui apparut alors. Les yeux de la colossale créature brillaient d’un curieux éclat azuré : ses pupilles étaient en fait de minuscules rouages tournant sans arrêt, dotant ainsi son regard d’un effet hypnotique. C’était comme si ses yeux d’origine avaient été remplacés par des prothèses mécaniques bien plus puissantes. Son corps était couvert d’une armure bleu nuit qui semblait s’ajuster parfaitement à son physique aux courbes féminines… Non, l’armure ne couvrait pas son corps… c’était comme si cette sorte de carapace était son corps ! Au centre de sa poitrine, un cristal d’énergie azuré laissait échapper une puissante lumière. La créature, qui dépassait aisément les trois mètres, était froide, sans vie, telle une machine. Seuls les courts cheveux blonds qui s’échappaient de l’arrière de son masque semblaient être vivants. Dans son dos, enfin, étincelait la lame d’une redoutable hache de combat.
- Tu ferais mieux d’abandonner, Triss, déclara Philippa en observant la jeune fille essayer d’échapper à la pression de ce nouvel adversaire. Tuesday que voici est une arme spécialisée dans le combat. Elle était censée s’occuper de Sheamon Wave, mais cela n’a pas été nécessaire, grâce à toi. Si tu résistes encore, tu ne feras qu’aggraver tes blessures. Et puis…
Philippa désigna les canons d’un signe de tête, puis Dast et Ryku derrière le cercle de feu. Triss comprit le message. Elle cessa de se débattre.
- Je vois que tu es devenue bien plus raisonnable, ironisa Philippa. Peut-être que ce voyage a enfin fini par te faire grandir ! Bon, je crois qu’il est temps de nous retirer. Maitre Forlwey est impatient de faire ta connaissance, Triss…
- Attendez ! intervint brusquement Marco en retenant Philippa par l’épaule. Et notre récompense ? Vous allez nous rendre notre liberté, non ?
Le sourire glaciale de Philippa s’accentua.
- C’est exact, susurra-t-elle. Forlwey m’a dit de vous récompenser et de vous rendre votre liberté…
Elle croisa le regard de Triss et soudain la terreur envahit la jeune fille. Elle chercha à se redresser, mais la poigne de fer de Tuesday était toujours aussi puissante.
- Marco ! cria-t-elle pour l’avertir.
Ce dernier tourna la tête vers elle, surpris.
Mais il était déjà trop tard. D’un revers, Philippa trancha la gorge de Marco à une vitesse fulgurante. Le corps de ce dernier s’immobilisa pendant une seconde qui parut durer une éternité. Puis il s’écroula dans une mare de sang, tandis que sa tête roulait aux pieds de Stella.
Triss, trop sonnée pour réagir, vit le visage de la jeune fille pâlir à vue d’œil. Stella poussa un hurlement terrifiant avant de tomber à genoux, un torrent de larmes roulant sur son visage dévasté. Vanessa et Romy fixaient le cadavre avec horreur, tétanisés par la peur.
- MARCO ! hurla Stella, au bord de la folie. NOOO…
Elle ne put finir sa phrase. En un instant, la lame de Philippa s’enfonça dans sa gorge, noyant son cri dans un geyser de sang. Ce fut un électrochoc pour Triss, qui reprit ses esprits.
- Stella ! cria Triss en tentant de se redresser malgré la pression que lui imposait la créature mécanique.
Pourtant, même en mobilisant toute sa volonté, la jeune fille se débattit en vain. La dénommée Tuesday la maintenait sans effort apparent.
Stella cracha un mélange de salive sanguinolente tout en cherchant sa respiration. Elle empoigna vainement l’épée de Philippa, cherchant à l’extraire de son corps, tandis que ses yeux devenaient vitreux, comme s’ils ne voyaient déjà plus le monde autour d’eux. L’ex secrétaire retira elle-même son arme d’un coup sec. Stella s’effondra sur elle-même tandis que Triss poussait un hurlement désespéré..
- Cela devrait être suffisant pour une adolescente comme toi, déclara l’espionne en jetant un regard dédaigneux à la victime gisant à ses pieds. J’imagine que tu n’as jamais mordu personne, non ? Tu n’es pas encore un véritable vampire. Ah, mais je crois que tu ne m’entends déjà plus…
Philippa se tourna alors vers Vanessa, désarmée et tombée à genoux, déjà pâle comme la mort, le regard figé sur le cadavre de sa sœur. Elle paraissait déconnectée du monde réel, comme si la mort de Marco et de Stella avait brisé son esprit au point qu’elle s’était séparée de ce qui l’entourait. Triss remarqua qu’une tâche humide s’élargissait sur son pantalon. Vanessa avait perdu tout contrôle de son corps.
Pourtant ; quand Philippa s’avança, cette dernière parut soudainement reprendre conscience.
- Non… gémit-elle en rampant à reculons pour échapper à son bourreau. S’il vous plait, non… par pitié…
Vanessa sanglotait, tentant désespérément de ramper hors de portée de Philippa qui marchait lentement vers elle. Triss hurla de rage.
- Arrête ! rugit-elle presque hystérique. Je t’en supplie, Philippa ! Arrête !
Les supplications de Vanessa se transformèrent en un terrible cri de douleur quand Philippa lui écrasa la cheville. Son épée s’enfonça sans la moindre pitié dans le cœur de sa victime. Cette dernière ferma les yeux et parut sourire, comme libérée enfin de la douleur et la peur.
Triss poussa un rugissement bestial. Sa colère lui redonnait des forces. Elle tenta de se relever de nouveau. Et cette fois, la poigne métallique qui la retenait parut trembler légèrement… Encouragée, Triss se débattit encore plus.
Mais la main de Tuesday la plaqua brutalement au sol avec tant de force que celui-ci se fissura. Triss s’évanouit pendant une fraction de seconde. Le monde tremblait devant ses yeux et elle n’entendait plus rien d’autre que des sons lointains et brouillés. A demi consciente, le visage en feu et l’esprit brisé, Triss chercha Romy du regard, bien qu’elle eût l’impression d’être sur le point de s’évanouir à tout instant. Était-il déjà mort ?
Non, il était encore debout. Son ami faisait face à Philippa, son épée tendue devant lui. Il avait eu la présence d’esprit de reculer et de se servir de son arme pour éloigner Philippa. Mais il tremblait de tous ses membres. Romy était littéralement pétrifié par la peur, tandis que l’espionne s’avançait lentement vers lui.
- Eh bien, voilà un fier guerrier ! se moqua Philippa en laissant apparaître ses canines effilées.
- Je… ne mourrai pas ici ! rétorqua Romy en serrant les dents.
Philippa éclata de rire.
- Vraiment ? ironisa-t-elle. Ne vaudrait-il pas mieux pour toi de renoncer et d’accepter une mort rapide ? Crois-moi, c’est préférable. En te rebellant, tu ne feras que souffrir davantage…
Romy parut incapable de répondre. Malgré sa douleur et ses vertiges, Triss essayait toujours vainement de se relever. Elle devait venir en aide à son ami et le secourir pendant qu’il en était encore temps ! Mais elle ne parvenait même plus à remuer les bras.
- Philippa… articula-t-elle d’une voix brisée. Je… Je t’en supplie… Laisse-le… vivre… Je ferai tout ce que tu voudras… mais par pitié…
- Je regrette, Triss, ce n’est pas en mon pouvoir. C’est un ordre direct du seigneur Forlwey, vois-tu. Ta mère souhaite couper tous les liens de ton ancienne vie, afin que tu n’aies plus d’attache qui t’empêchent de reprendre ta place auprès d’elle. De toute façon, tes camarades en savaient beaucoup trop pour être laissés en vie.
Puis elle ajouta, en haussant les sourcils avec perplexité :
- Je ne te comprends pas… avoua-t-elle. Tu défends encore tes « amis » ? Ils t’ont trahie sans le moindre remords uniquement pour survivre. Comment peux-tu encore les protéger ?
- C’est ma faute s’il sont devenus comme ça… murmura Triss en s’efforçant d’affermir sa voix. Ils ont tant souffert… à cause de moi…
Romy tressaillit.
- C’est faux, Triss ! affirma-t-il avec une force qui surprit Philippa autant que cette dernière. Tu n’es en rien responsable de ce qui s’est passé à Umbrella ! Tu as toujours été sincère. Contrairement à nous qui t’avons abandonnée, tu as tout fait pour nous aider… et même maintenant…
De nouvelles larmes de tristesse coulèrent sur son visage. Pourtant, malgré ses tremblements, il esquissa un sourire en direction de son amie.
- Tu sais, Triss, je m’en suis rendu compte il y a longtemps… continua-t-il. De nous cinq, c’était toi la plus forte. Tu l’as toujours été. Nous… on était terrorisés et complètement dévastés. J’ai accepté la proposition de Forlwey, parce que j’avais peur de la souffrance et je ne voulais pas mourir. Mais au fond de moi j’espérais que tu… qu’on ne te retrouverait pas… Je voulais que toi au moins, tu parviennes à t’échapper.
Il serra les dents et fit face à Philippa. Ses mains tremblantes s’affermirent.
-Mais au final, je suis content de t’avoir revue, déclara-t-il. Je vais pouvoir te dire ce que je ressens au fond de moi et te montrer que je ne suis plus un lâche. Moi aussi je peux me battre !
- Romy, non ! le supplia Triss dans un cri étranglé.
Elle remarqua alors que la position de Romy avait évolué. Il avait en effet adopté la posture de garde typique des épéistes que le maître de Triss lui avait enseigné autrefois. Comment...
Triss se rappela soudain que Romy avait assisté à pratiquement tous ses entraînements d’escrime. Il se moquait d’elle quand elle ratait ses enchaînements et l’applaudissait avec autant d’énergie que cent personnes réunies lorsqu’elle était parvenue à l’impressionner. Ses pitreries la faisaient parfois éclater de rire, à tel point que la jeune fille devait s’arrêter quelques minutes pour retrouver son calme. Triss lui répétait qu’il l’agaçait au plus haut point, mais elle était toujours contente de le voir assister aux séances. Avait-il profité de ces moments pour enregistrer les mouvements qu’elle pratiquait ?
Un espoir, fou et soudain, emplit le cœur de la jeune fille. Romy pouvait peut-être…
Puis elle vit le visage de Philippa, dont le sourire glacial avait disparu.
- Ne la lâche pas, Tuesday ! ordonna-t-elle froidement. Le Maitre veut qu’elle assiste à tout…
La peur s’empara de Triss.
- Va-t’en Romy ! hurla-t-elle désespérément. Elle va te tuer !
- J’en ai assez de fuir ! rétorqua ce dernier.
Ses jambes continuaient de trembler et la peur qui le dévorait était évidente. Néanmoins, Romy poussa un cri de guerre et s’élança vers Philippa, l’épée brandie au-dessus de sa tête. Il abattit sa lame en direction de l’espionne, qui n’avait pas esquissé un seul geste pour se défendre. L’arme n’était plus qu’à cinq centimètres de sa cible…
Tout fut terminé en l’espace d’une seconde.
Philippa bougea si vite que ses gestes parurent flous. Elle esquiva la lame de Romy, passa sous la garde de ce dernier et, de sa main nue, transperça la poitrine de l’adolescent, avec une puissance surhumaine.
Triss crut que la scène sortait tout droit d’un terrifiant cauchemar. Romy fixa avec incrédulité le trou dans sa poitrine, les quelques couleurs qui lui restaient désertant peu à peu son visage. Quand Philippa retira son bras, il s’écroula. Triss réalisa soudain avec horreur que l’espionne tenait quelque chose dans sa main ensanglantée...
Le cœur de Romy !
La jeune fille poussa un rugissement inhumain. Elle mobilisa encore une fois toutes ses forces pour échapper à la pression implacable de Tuesday. Encore et toujours ,en vain…
- NON ! rugit Triss tout en se débattant avec l’énergie du désespoir.
La main de Philippa serra brutalement le cœur qui éclata dans un effroyable bruit de succion. Triss fixa l’espionne, figée dans une douleur physique et morale absolue. Elle avait l’impression que son esprit explosait.
- Triss… murmura alors une voix presque inaudible.
Romy, crachant du sang dans une longue traînée écarlate, rampait vers elle dans un dernier sursaut de volonté.
- Ne bouge pas ! s’écria Triss. Garde tes forces, et…
Le sourire épuisé de Romy lui coupa la parole et la réalité la frappa de plein fouet : son ami allait mourir et il le savait. Son cœur lui avait été arraché. Quand bien même il aurait été un nosferatu, sa capacité de régénération liée à sa nature de vampire ne pourrait empêcher l’issue fatale.
Pourtant, Romy souriait, comme si c’était le plus beau jour de sa vie. Il continuait de ramper vers Triss en mobilisant ses dernières forces. Elle crut que Tuesday allait réduire celui-ci en pièces, mais la créature mécanique n’en fit rien. Elle ne considérait probablement pas le mourant comme une menace.
Son ami parvint donc presque miraculeusement à la rejoindre. D’une main tremblante il caressa la joue de Triss, qui se figea.
- Je voulais te dire, Triss… murmura-t-il dans un dernier souffle. Ce que Marco a dit était vrai… Je… J’ai… toujours eu un faible pour toi. Tu dois avancer s’il-te-plait… pour moi et les autres… Ne les laisse pas… te contrôler.
Soudain, sa main retomba et il ferma les yeux. Le jeune garçon cessa de bouger, tandis que son souffle s’évanouissait. Triss, hébétée, comprit que Romy avait rendu l’âme.
Alors, ses larmes commencèrent à couler en un flot intarissable. La douleur qui la dévorait se fit plus insupportable encore. Marco, Stella, Vanessa… et Romy. Ils étaient tous morts, par sa faute. Elle n’avait sauvé personne.
Un souvenir ressurgit brutalement de sa mémoire. Le jour où elle et ses amis, encore enfants, étaient montés sur le toit de l’hôtel de ville pour échapper aux gardes de Triss. Marco leur avait proposé avec une fierté manifeste de prononcer un serment.
- De quel genre ? lui avait demandé Stella, méfiante.
- D’amitié ! On jure de se soutenir jusqu’à la mort, et…
- Jusqu’à la mort ? avait répété Vanessa avec effroi.
- C’est juste une façon de parler ! Ça veut dire qu’on restera soudés pour l’éternité et qu’on pourra toujours compter les uns sur les autres !
- C’est mignon… s’était moqué Romy avec un sourire malicieux. Tu as peur de te retrouver seul, Marco ?
- Pas du tout ! C’est juste que… Hé, arrêtez de rigoler !
Un éclat de rire les avait emportés. Même Marco, légèrement boudeur, avait fini par se joindre à eux. Une fois leur hilarité retombée, Triss avait tendu le poing vers Marco.
-Je suis d’accord, moi ! avait-elle déclaré avec enthousiasme.
Le visage de Marco s’était illuminé et il avait alors collé son poing à celui de Triss. Stella les avait aussitôt rejoints en jetant un regard farouche en direction de celui-ci. Vanessa et Romy avaient fini par suivre le mouvement.
- Amis pour la vie ! avait déclaré Marco.
Tous avaient repris la phrase en cœur. Triss avait senti dès cet instant un lien très fort se tisser entre elle et ses camarades. Un lien qu’elle pensait indestructible, capable de surmonter toutes les épreuves…
- Amis pour la vie, avait-elle répété avec un sourire éclatant.
C’en était trop pour l’esprit de la jeune fille. Epuisée et incapable d’affronter encore cette vision d’horreur, Triss sentit le monde basculer. Elle sombra dans l’inconscience.
A suivre...
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