Chapitre 30 : La Lame de Forlwey, Partie 1
- Maintenez-là ! ordonna Naru.
- On fait ce qu’on peut ! s’écria Triss, qui faillit prendre un coup de coude dans la mâchoire. Mais elle a une force de titan !
- On ne dirait pas qu’elle est mourante ! renchérit Ilyann, en s’efforçant tant bien que mal d’empêcher les jambes de la patiente de ruer comme celles d’une monture devenue folle.
Les deux adolescents essayaient de maintenir Philippa aussi immobile que possible, mais cette dernière en état de transe et comme possédée par une force démoniaque, tentait de se libérer pour s’attaquer à Naru en lui jetant des regards de haine absolue. Au début, la sorcière qui avait anticipé sa révolte, l’avait attachée au lit sans rencontrer de résistance. Mais quand elle lui avait administré le remède, Philippa, reprenant subitement vie, avait commencé à se débattre et avait failli lui mordre la main. Les liens qui la retenaient avaient très vite fini par céder, forçant Triss et Ilyann à intervenir. Néanmoins, même en combinant leurs forces, les deux adolescents parvenaient à peine à contenir la rage de Philippa qui s’était métamorphosée. Ses yeux étaient devenus totalement noirs et elle poussait des grondements de bête sauvage. A chaque fois que le bâton magique touchait la marque sur son cou, Philippa se tordait de douleur tandis que l’impassible Naru psalmodiait des incantations malgré les cris de sa patiente.
- Ce sont les sortilèges qui la rendent aussi forte ! les prévint-elle. Ils essayent de résister à la destruction en forçant leur hôte à agir !
« Ravie de le savoir… » ironisa mentalement Triss alors qu’elle se prenait un coup de coude.
Naru continua à réciter ses incantations, et les cris de Philippa se firent de plus en plus stridents, tandis que les marques noires enserrant son cou saignaient abondamment quand le sceptre magique les touchait. Implacables, Triss et Ilyann tenaient toujours aussi fermement l’espionne malgré ses ruades effrénées.
Ce fut un combat acharné que les trois adolescents livrèrent contre ce sortilège depuis si longtemps ancré dans le corps de Philippa et bien décidé à ne pas se laisser déloger aussi facilement. Mais ils ne cédèrent pas. Triss sentait s’échapper de son corps l’énergie que puisait Naru pour alimenter ses incantations ; cependant, l’adrénaline générée par cette bataille contre le mal et la volonté d’aider Philippa s’étaient substituées à ses forces manquantes. Peu à peu, l’éclat des symboles sur le cou de l’ancienne espionne diminua progressivement, puis les marques qui semblaient l’étrangler s’estompèrent à leur tour.
- Ça marche ! s’exclama Triss, soulagée.
Toujours impassible, Naru ne répondit pas, absorbée par ses incantations. Elle continua ainsi jusqu’à ce qu’il n’y eût plus la moindre trace de sortilège sur la gorge de Philippa. Finalement, le sceau maléfique disparut du corps de l’espionne. Cette dernière eut alors un brusque sursaut et se figea avant de s’effondrer sur le lit, inconsciente. Triss et Ilyann échangèrent un regard incertain.
-Vous pouvez la lâcher… déclara Naru en s’essuyant le front d’un revers de la main. Je ne pense pas qu’elle se réveillera de sitôt…
Les deux vampires, après un instant d’hésitation, suivirent son conseil et libérèrent l’espionne. C’est alors que Philippa ouvrit brusquement les yeux, avec un air confus et hagard… Presque aussitôt, le masque sombre et déterminé de l’espionne refit surface sur son visage.
D’un brutal coup de pied, Philippa projeta Ilyann contre le mur avant de jaillir hors du lit pour se jeter sur Naru. Mais Triss réagit juste à temps et la plaqua contre la paroi avant que celle-ci eût le temps d’atteindre sa cible.
- Elle n’était pas vraiment évanouie ?! grommela Ilyann en se redressant avec difficulté.
- Je n’ai jamais vu personne se relever juste après une telle opération ! rétorqua Naru, le visage blanc de stupéfaction et d’effroi.
L’espionne cherchait à se dégager mais Triss la maintenait fermement.
- C’est moi, Philippa ! s’écria-t-elle tandis que son adversaire ruait de nouveau. C’est moi, Triss !
Mais l’ancienne secrétaire de Sirius parvint à se dégager et à saisir Triss à la gorge. Surprise, celle-ci eut du mal à s’en défaire. Heureusement, Philippa était bien plus affaiblie qu’elle, sa prise n’était pas très puissante. Elle réussit donc à repousser l’espionne puis à la plaquer au sol. Son adversaire se débattait néanmoins de plus belle. Triss comprit alors que si elle continuait à s’agiter ainsi, l’espionne finirait par gaspiller ses dernières forces et mourrait.
- Naru ! appela Triss, alarmée. Fais quelque chose !
Ilyann vint en renfort pour aider à maintenir Philippa : à deux, ils parvinrent à l’immobiliser fermement. Naru, reprenant ses esprits, se pencha aussitôt sur sa patiente, passant une main inquiète au-dessus de cette dernière.
-Elle est encore en transe ! murmura Naru. La disparition du sortilège qui contrôlait sa volonté est un changement trop brutal à suivre pour son esprit. Elle est déboussolée et ne se rappelle plus qui elle est vraiment !
- Il faut la calmer ! lança Ilyann. Sinon elle va finir par se tuer…
- Tu ne connais pas un moyen, Naru ? supplia Triss.
- Je ne sais pas ! gémit la sorcière, complètement dépassée. Je n’ai aucune idée de comment réagir pour recoller les morceaux d’un esprit fracturé…
Soudain, elle se tut, puis son visage parut s’illuminer.
- C’est… ça peut marcher… marmonna-t-elle.
- Quoi ? la pressa Triss.
- Je peux essayer de connecter ton esprit au sien, Triss, lui expliqua Naru en touchant du bout de son sceptre le front de Philippa qui poussa un nouveau cri de rage. Si tu atteins directement sa conscience et parviens à lui remémorer qui elle est, cela devrait suffire pour lui permettre de reprendre le contrôle d’elle-même. Elle te connait très bien : donc, en mélangeant tes souvenirs aux siens, on peut peut-être réussir à la calmer. Ça peut marcher avec toi.
Naru paraissait pourtant hésitante, voire légèrement apeurée.
- Il y a un risque ? s’enquit Triss.
- Eh bien… oui. Le problème, c’est que te connecter à un esprit aussi instable risque d’avoir des conséquences sur toi. Tu pourrais être en quelque sorte… contaminée, par cette instabilité. Et si tel était le cas... tu pourrais en perdre la raison.
- Essaye, lui dit la jeune fille sans hésiter.
- Princesse, protesta Ilyann. C’est risqué…
- Si on n’agit pas maintenant, elle va mourir et je refuse de courir ce risque ! Naru, vas-y !
La jeune sorcière resta silencieuse quelques secondes, puis hocha lentement la tête. Elle posa son sceptre à côté du lit pour poser la main sur le front de Philippa, avant de reproduire son geste sur Triss. Elle jeta un dernier regard hésitant à la jeune fille, mais cette dernière acquiesça. Naru débuta l’incantation.
Triss perdit connaissance.
Ou plutôt elle eut l’impression d’être comme aspirée par le plafond de la grotte pour se retrouver téléportée dans ce qui semblait être une cellule sombre, qu’éclairait une seule petite ouverture protégée par d’épais barreaux de métal, laissant à peine passer un semblant de lumière.
« Du calme » s’ordonna-t-elle mentalement. « Naru t’a connectée à l’esprit de Philippa. Tu es sûrement dans ses souvenirs… »
En effet, elle ne reconnaissait absolument pas cet endroit lugubre. Cependant, Triss eut à peine le temps de se demander où elle se trouvait que la porte s’ouvrait.
Deux enfants, sales et habillés de haillons, furent jeté sans ménagement dans la cellule par un gros vampire à la barbe proéminente. Il tenait dans ses mains un redoutable fouet.
- Deux jours là-dedans ! hurla-t-il de sa voix de stentor en regardant les deux enfants avec dégoût. Je n’ai rien à faire d’esclaves comme vous qui me causent tant de problèmes !
L’un des deux enfants étaient une fille ; elle paraissait un peu plus âgée que le garçon ; Triss lui aurait donné neuf ou dix ans. Les deux étaient d’un blond naturel qui faisait ressortir la pâleur de leur peau. Ils étaient maigres et portaient de nombreuses marques de coups…
- Estimez-vous heureux d’être encore en vie, sale vermine ! Si vous n’arrivez pas à rester à votre place, on vous jettera en pâture aux chimères ! Surtout toi, Philippa !
Triss se figea brusquement en se tournant vers la fillette, qui se relevait lentement, méconnaissable.
- Ce garde cherchait à se défouler sur Luka… gronda-t-elle, le regard déterminé. Je lui ai juste arraché un œil, c’est de la légitime défense. Il peut s’estimer heureux d’être en vie…
Le vampire poussa un soupir exaspéré. Il envoya un puissant coup de pied dans les côtes de la petite fille, qui s’effondra en crachant du sang.
- Philippa ! s’écria le petit garçon en précipitant à ses côtés.
Il l’aida à se redresser et celle-ci, affaiblie par la blessure, se laissa soutenir. Mais son regard glacé et haineux resta braqué sur le garde qui tressaillit, avant d’esquisser un sourire forcé en faisant craquer ses jointures.
- Toujours aussi féroce à ce que je vois… ironisa-t-il. Tu es une vraie bête sauvage, sale gamine. Mais tu vois, il y a une raison pour laquelle je commande ici. Le maitre me fait confiance pour garantir l’obéissance de ses esclaves et s’assurer qu’ils s’acquittent de leur travail. Toi et ton frère, vous êtes des mineurs, vous devez donc creuser la pierre pour trouver des cristaux. Les gardes, eux, vous surveillent et vous commandent. Restus est un sale imbécile, c’est clair, mais il est au-dessus de vous. Tu l’as attaqué parce qu’il voulait frapper ton frère et tu crois avoir raison ? Reste à ta fichue place ! Cela fait bien trop longtemps que tu me manques de respect, gamine… Je crois qu’il va falloir que je te rappelle ta position par la manière forte !
Il se dirigea à grand pas vers Philippa, le poing serré, mais son petit frère s’interposa entre les deux.
- Je vous en supplie, épargnez-là, quartier-maitre ! implora le petit Luka, les yeux remplis de larmes. Elle ne voulait absolument pas vous manquer de respect, ni vous causer des problèmes…
- Ecarte-toi de là, Luka ! gronda le vampire. Ou je vais arranger ton joli portrait comme le sien !
- Elle est très affaiblie à cause de la punition qu’elle a reçue ! continua néanmoins le petit garçon avec cran, refusant de céder à la peur malgré ses membres tremblants. Si vous la punissez davantage, elle risque d’en mourir… Je pense que vous n’aimeriez pas que la meilleure guerrière de vos combats clandestins disparaisse… Comment feriez-vous pour gagner vos paris sans elle ?
Les paroles de Luka parurent fléchir le vampire, qui après quelques instants d’hésitation, abaissa sa main. Il quitta la pièce avant de refermer la lourde porte en fer.
- Tu as deux jours, Philippa, la prévint le gardien en tournant la clé dans la serrure. Récupère autant que possible, tu as un combat dans trois nuit et il y aura une grosse cote contre toi. Tu as intérêt à le gagner si tu veux sortir de cette cellule un jour. Et ne t’avise pas de mourir, ou je te jure que c’est ton frère qui en subira les conséquences…
Sur ces derniers mots menaçants, il partit en fermant à double tour. Triss entendit le bruit de ses pas s’éloigner. Aussitôt, le petit Luka sortit de sa poche ce qui semblait être un chiffon assez crasseux avec lequel il entreprit de nettoyer le visage de sa sœur.
- Je suis désolé, grande sœur… s’excusa-t-il en contenant ses larmes de son mieux. Pardon d’être aussi faible… Tu aurais dû laisser Restus me battre, je l’aurais enduré…
- Ne raconte pas de bêtises, Luka, murmura Philippa en lui caressant la joue avec tendresse. Je te l’ai promis, non ? Je ne laisserai personne te faire du mal…
- Mais à cause de moi, tu risques d’être tuée… Restus finira par récupérer et il cherchera à se venger de nous !
Philippa esquissa un sourire triomphant.
- Il n’en aura pas le temps… murmura-t-elle avec une sombre satisfaction en plongeant la main dans sa poche pour en ressortir un trousseau de clés rouillées. Je l’ai récupéré sur Restus avant qu’on ne m’arrête. C’est le passe-partout de la mine que les gardes ont toujours avec eux. Il ouvre pratiquement toute les portes. Avec ça, on peut profiter du fait que nous sommes enfermés ici pour nous évader, pendant que les autres travaillent dans la mine et que les gardes sont trop occupés à les surveiller. Il n’y aura presque personne pour garder les sorties.
- Tu as perdu la tête ! s’exclama Luka avant de baisser la voix, apeuré. Si on est pris, c’est la mort assurée !
- Si on reste, Luka, c’est la mort aussi ! répliqua Philippa, agacée. Qu’on meure ici ou là-bas, je ne vois aucune différence, excepté qu’on a une chance de ne pas gaspiller notre vie comme esclaves ! Sois un peu plus fort, Luka !
Ce dernier tressaillit, comme s’il avait été piqué ; une larme coula le long de sa joue. Philippa se rendit alors compte qu’elle avait probablement été trop loin car elle serra aussitôt son petit-frère dans ses bras.
- Désolée, Luka… s’excusa-t-elle sincèrement. Je ne voulais pas dire ça… C’est injuste de ma part de m’en prendre à toi. Mais je veux qu’on sorte d’ici, qu’on quitte le Royaume Submergé et qu’on puisse avoir cette liberté qui nous a toujours été refusée ! Tu sais que je ferai tout pour te protéger... et je ne laisserai rien de mal t’arriver. Alors fais-moi confiance, d’accord ?
Luka inspira profondément, avant d’esquisser un frêle sourire d’espoir.
- D’accord, répondit-il d’un ton qui se voulait léger, mais qui paraissait terriblement lourd de doutes et de peur.
Le décor disparut brusquement, Triss se retrouva soudain dans un nouvel endroit. Une grande salle richement décorée de tapisseries, de sculptures et de tableaux. Un palais probablement.
Philippa et Luka étaient présents, agenouillés sur le sol, les mains enchainées et couvertes de sang. Luka pleurait en gémissant, tandis que Philippa, le souffle court et le corps tremblant de fatigue, gardait le silence, même si ses yeux exprimaient le désespoir. Ils étaient fermement maintenus par deux gardes aux allures de montagnes armées de hallebardes…
En face d’eux se trouvait un autre vampire aux cheveux blancs noués en tresses dans son dos. Sa simple vue fit instinctivement frémir Triss, comme si son corps entier la mettait en garde contre cet homme. Il n’était pas armé, mais il irradiait la puissance. Ses vêtements étaient des plus sophistiqués, aussi riches que tout ce qui l’entourait ; les nombreuses bagues ornées de joyaux à ses doigts indiquaient à Triss qu’il était certainement le propriétaire du lieu, et quelqu’un de très important.
- Eh bien… susurra celui-ci d’une voix de serpent à la fois douce et très menaçante. Voilà une surprise à laquelle je ne m’attendais pas… Deux enfants travaillant dans mes mines de cristaux ont presque réussi à s’évader, le tout en tuant au passage cinq de mes gardes, dont le contremaitre… Vous m’avez causé un grave préjudice, les enfants… Dans de tels cas, je torture généralement les petits malins qui défient mon autorité jusqu’à ce qu’ils m’implorent de les tuer, puis je les exécute devant les autres esclaves pour donner l’exemple. Vous comprenez j’imagine, qu’il en va de ma crédibilité…
Luka éclata en sanglots tandis que le visage de Philippa se contractait sous l’effet de la douleur et de la colère. En poussant un cri de rage, la fillette voulut se jeter sur le seigneur, mais le garde derrière lui la projeta au sol d’un coup de hampe dans la nuque, avant de plaquer son pied sur son dos pour l’empêcher de bouger. Mais cela ne parut pas décourager Philippa, qui continua de se débattre, en vain.
- Essayez de toucher à mon frère et je vous arracherai le cœur ! rugit-elle.
Forlwey éclata de rire.
- Ça, c’est ce que j’appelle un instinct de tueuse ! s’exclama-t-il. C’est toi qui as tué mes gardes, je me trompe ?
Un sourire sadique étira ses traits.
- Dis-moi, petite…. Tu veux me tuer, moi aussi ?
Philippa ne répondit pas, se contentant de fixer le vampire avec une haine absolue.
- Inutile de répondre, reprit le vampire, amusé. Tes yeux sont assez clairs… Tu sais, petite tueuse, je me pose des questions sur toi. Ou ceux que tu as éliminés étaient faibles, ou bien tu es tout simplement très douée… Et je ne peux imaginer que mes gardes soient des incapables… Tu m’intéresses, gamine, tu m’intéresses beaucoup. Ce serait un tel gâchis de tuer une guerrière aussi prometteuse que toi...
Philippa releva la tête, incertaine et stupéfaite. Elle échangea un regard avec Luka, un regard d’étonnement puis d’espoir.
- Enlevez-leur ces chaines, ordonna-t-il aux garde. Et relevez-les !
Bien que déconcertés, ceux-ci s’exécutèrent et libérèrent les enfants, qui se redressèrent en grimaçant.
- Je vais te faire une proposition, jeune fille, lui dit le seigneur. Je vous épargne ton frère et toi. Mais, en contrepartie, tu deviendras ma lame : une véritable machine qui exécutera le moindre de mes ordres sans hésiter. Cependant, pour être assuré de ton absolue obéissance afin que je sois certain que tu ne te retourneras pas contre moi, tu vas devoir me donner ta vie, petite. Tes muscles, ta chair, ton âme… tout ce que tu es sera à moi, tu comprends ?
Le seigneur vampire se pencha en avant, tel un rapace prêt à fondre sur sa proie. Philippa recula légèrement malgré l’air farouche qu’elle affichait.
- Qu’en penses-tu ? continua-t-il d’une voix mielleuse. Tu peux aussi tenter le pari d’essayer de me tuer… et mourir dans l’instant.
- Si je vous obéis, vous protègerez mon frère ? voulut-t-elle s’assurer.
- Bien entendu… Je te promets qu’il sera bien traité et que je ne toucherai pas à un seul cheveu de sa tête. En fait, il restera près de moi au palais. Pour te montrer que je prends mes engagements au sérieux…
La menace était évidente… et Philippa l’avait bien compris. Elle resta silencieuse pendant quelques secondes. Puis elle posa lentement le genou à terre et inclina la tête devant le vampire, dont le sourire carnassier s’élargit.
- Grande sœur… Non… l’implora Luka.
Mais Philippa ne l’écouta pas. Dans ses yeux brillait l’espoir, non pas de s’échapper et d’obtenir enfin sa liberté, mais plutôt celui d’arracher son petit frère à une mort cruelle.
- Je jure de vous obéir et de servir sans jamais remettre en question votre autorité… Seigneur Forlwey… déclara-t-elle avec résignation.
Triss tressaillit en entendant ce nom. Elle tourna un regard stupéfait et haineux vers le nosferatu, mais déjà le décor se brouillait à nouveau pour changer de scène.
Ils se trouvaient toujours dans la même salle : Philippa, agenouillée de nouveau, Luka et Forlwey étaient également présents, ainsi que trois autres gardes. Curieusement, Luka n’avait absolument pas grandi alors que Philippa était devenue la jeune femme adulte que Triss connaissait bien. Elle était dans la tenue de combat complète qu’elle portait encore, son épée et son couteau à la ceinture. L’écart d’âge entre le frère et la sœur semblait s’être anormalement creusé… mais Triss était trop obnubilée par Forlwey pour y prêter attention.
Son regard s’attarda sur le visage du nosferatu cette fois assis sur un impressionnant trône digne d’un roi. C’était donc lui, le responsable de la destruction d’Umbrella, le monstre qui la traquait et qu’elle voulait tuer… La jeune fille serra les poings de colère. Que n’aurait-elle pas donné pour transpercer la poitrine de son ennemi juré avec sa lame de lumière…
Hélas, ce n’était qu’un souvenir et Triss était donc cantonnée au rôle de spectatrice… Mais elle grava les traits du monstre dans sa mémoire.
- Ah… s’exclama Forlwey en poussant un long soupir de satisfaction. Ma chère Philippa… C’est un plaisir et une joie immense pour moi de voir à quel point tu as grandi. Je sais déjà combien tu es impressionnante au combat, et tes instructeurs ne tarissent pas d’éloges sur tes autres compétences… Comment s’est passée ta première mission à la Surface ?
- J’ai retrouvé le traitre, annonça Philippa d’une voix creuse, sans aucune émotion et le visage inexpressif. Il est mort en suppliant la reine de lui pardonner. Je l’ai fait souffrir longtemps comme vous me l’avez demandé.
- Parfait… Et dis-moi, as-tu réussi à t’adapter à tes nouveaux… ajustements ?
- Oui, Maitre.
- Montre-moi, ordonna Forlwey avec un sourire sadique.
Philippa hocha lentement la tête… A la vitesse de l’éclair, elle dégaina son couteau et fit volte-face, sa lame décrivant un arc de cercle qui décapita instantanément l’un des gardes situé derrière elle. Elle enfonça aussitôt son couteau dans la poitrine du second soldat, trop stupéfait pour se défendre alors que son camarade s’écroulait à peine. Le troisième combattant réagit enfin, mais sa hallebarde n’atteignit jamais l’espionne qui se baissa et esquiva sans difficulté le coup avant de se jeter sur sa cible… Et de lui transpercer la poitrine à main nue en perforant son armure, arrachant le cœur de sa victime de la même manière que lors de l’exécution de Romy…
Triss détourna le regard, dégoûtée par cette scène qui la replongeait dans cet atroce souvenir. Elle aperçut le visage blanc et rempli de larmes de Luka, qui semblait littéralement terrorisé par ce que sa sœur était devenue…
Forlwey applaudit lentement, une sombre satisfaction sur le visage, avant de se lever et de se diriger vers Philippa.
- Excellent ! s’exclama-t-il. Vraiment excellent, ma très chère Philippa. Tu me remplis de fierté ! Assister à l’accomplissement de toutes ces années de façonnement pour créer une lame d’une telle finesse… d’une telle beauté…
Il écarta lentement le cuir du vêtement recouvrant le cou de Philippa, révélant ainsi le terrible sortilège en forme de collier gravé dans sa peau. Forlwey en effleura les symboles de ses doigts, son éternel sourire sadique aux lèvres. Philippa tressaillit presque imperceptiblement, mais ne broncha pas, comme si elle y était habituée…
- Les marques de ta loyauté… et de ta volonté aussi, murmura le nosferatu, songeur. De tous ceux qui ont subi cette transformation, tu es la seule ayant réussi à survivre… C’est pour cela que je voulais que tu sois à moi. Pour que tu sois mon ombre, ma chère. Mon ombre et ma lame.
- Je suis votre ombre, Maitre, répéta Philippa, toujours aussi impassible. Je vous appartiens et votre volonté est la mienne…
- Quelle dévotion admirable… susurra le vampire. Mais est-ce entièrement vrai ?
A suivre...
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