Chapitre 31 : La face cachée de Varenn, Partie 1

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Jonas se réveilla avec un mal de tête insupportable, comme si un marteau se servait de son crâne comme d’une enclume. Mal en point, le devin se força néanmoins à se redresser en grimaçant. Il s’aperçut en un coup d’œil qu’il avait été ramené dans la cabine qui lui avait été attribuée. Il regarda tout de même dans son lit, mais aucune trace de l’une des jolies filles vampires abordées la veille. Légèrement déçu, mais aussi curieux de savoir comment il s’était retrouvé là (car il doutait sérieusement de ses capacités à retrouver son chemin tout seul vu la quantité impressionnante d’alcool ingurgitée au cours de la fête), Jonas essaya de rassembler ses souvenirs. C’était le trou noir. Il tenta alors de faire appel à ses pouvoirs, même échec. Pire, son mal de tête ne fit qu’empirer. Le démon aperçut alors un verre d’eau posé sur la table de nuit et le vida d’un coup. Il eut l’impression d’avoir les idées plus claires, et sa migraine sembla même diminuer légèrement. Très légèrement.

Le devin entendit alors du bruit provenant du couloir, des pas qui se rapprochaient… Puis deux voix, l’une masculine, l’autre féminine, qui discutaient…

  • …Encore un autre qui a succombé, pesta l’homme. Je croyais que tu devais éviter que ce genre d’incident n’arrive, Opra ! C’est ta responsabilité de gérer les prisonniers !

Jonas dressa l’oreille. Des prisonniers, ici à Varenn ?

  • Ce n’est pas ma faute ! rétorqua la femme. Nos stocks de provision s’épuisent rapidement, et nous n’en avons plus assez pour les nourrir convenablement ! Evander n’aurait pas dû en capturer autant !
  • Notre communauté augmente et nos besoins aussi. Si nous n’en capturons pas suffisamment, nous n’aurons pas assez de sang pour nourrir tout le monde. En tout cas, trouve une solution, Opra. Les contrebandiers n’achèteront jamais de la marchandise à moitié morte. Et nous aurons vraiment besoin de leur soutien après la cérémonie de ce soir…
  • La déclaration de guerre… susurra son acolyte. J’en frémis d’avance… C’est le moment que nous attendions tant, Waldo.
  • Oui… mais trop de précipitation pourrait nuire à nos plans. Surtout que…

Jonas entendit les voix s’éloigner dans le couloir et se précipita aussi silencieusement que possible vers la porte, qu’il ouvrit doucement avant de se glisser dans l’ouverture.

Il aperçut alors les deux vampires qui s’apprêtaient à descendre l’étroit escalier en métal. Jonas attendit qu’ils fussent hors de vue avant d’emprunter la même direction, en veillant à ne pas faire de bruit. Il savait que c’était dangereux, mais son instinct lui soufflait qu’il avait plutôt intérêt à découvrir ce qui se tramait derrière cette conversation inquiétante. Il semblait en effet que Varenn avait une face cachée… et que ses habitants n’étaient pas aussi innocents qu’ils le laissaient croire.

Discrètement et à distance, Jonas suivit ainsi les deux vampires qui descendaient toujours plus bas dans l’aéronef reconvertie. Heureusement, le démon ne croisa personne dans le sens inverse. A cette heure, il était probable que la plupart dormaient, les vampires préférant généralement se reposer pendant le jour. Ou bien ils vaquaient à leurs occupations, sans doute à l’extérieur du bâtiment. Il avait appris en bavardant avec des habitants, qu’à part Evander et les plus importants membres de la communauté, peu de personnes habitaient dans l’ancien aéronef qui disposait d’un grand nombre de chambres vides.

A travers les couloirs sinueux du vieux bâtiment de guerre, les deux vampires le conduisirent, sans le savoir, jusqu’à une impasse située au pont inférieur, à l’endroit précis où une trappe, fermée par un lourd verrou, semblait mener à ce qui devait être la cale de l’ancien vaisseau. Le dénommé Waldo (l’ingénieur de Varenn si la mémoire de Jonas était bonne) jeta cependant un coup d’œil suspicieux derrière lui pour s’assurer qu’il n’était pas suivi ; heureusement, le devin s’était collé juste derrière une paroi, invisible pour le vampire.

La femme, Opra, sortit de ses poches une grosse clé de fer et déverrouilla la serrure, avant d’ouvrir la trappe et de s’engager dans l’escalier ainsi découvert, suivie par l’homme qui referma soigneusement l’ouverture derrière lui.

Jonas attendit quelques secondes, le temps de leur laisser un peu d’avance. Il avait encore trop mal à la tête à cause de l’alcool qu’il n’avait pas fini de digérer pour pouvoir utiliser sa magie, à sa plus grande frustration. Une petite voix intérieure lui disait qu’aller plus loin risquait certes de mal tourner, mais aussi que la vérité qu’il pourrait découvrir serait vitale pour lui et les autres invités. Jonas déglutit et choisit de suivre son instinct. Il avança à son tour.

Le démon constata que le verrou s’était refermé automatiquement en même temps que la trappe, sans que cela le découragea pour autant. Il sortit de son manteau une épingle et un crochet puis testa la serrure. Jonas avait appris de longue date à ouvrir des portes et autres cadenas pour s’introduire dans des endroits interdits et « emprunter » des objets de valeur ou de l’or à de riches personnages. Il était donc rapidement devenu très adroit dans ce domaine. Tant que la serrure n’incluait pas un enchantement quelconque, Jonas en faisait son affaire.

Deux minutes plus tard, un léger déclic annonça au devin qu’il avait réussi. Il souleva alors la trappe et se glissa à l’intérieur.

L’endroit était sombre, et la seule source de lumière visible provenait du bas de l’escalier, faible et tremblotante. Avec d’infinies précautions, Jonas descendit les marches silencieusement. Presque aussitôt, une odeur épouvantable l’assaillit. C’était un mélange de sang, de puanteur, et de mort. Jonas dut se retenir de vomir le contenu de son estomac, ce qui aurait trahi sa présence. Le devin fut néanmoins contraint de s’immobiliser pendant une minute, le temps de s’accommoder à l’horrible senteur (ou, du moins, essayer…), avant de trouver le courage d’avancer à nouveau. Il finit par arriver au bas des marches, devant ce qui semblait être une grande salle tout en longueur, éclairée par des torches accrochées aux murs et n’offrant que très peu de visibilité. Si le devin ne se trompait pas, ils devaient se trouver dans l’ancienne calle du vaisseau. Veillant à rester caché, Jonas se colla au mur avant de risquer un coup d’œil dans la pièce.

Et ce qu’il découvrit le glaça d’effroi.

Il y avait dix cellules constituées de barreaux de fer qui n’étaient probablement pas là à l’origine, à en juger par les traces de soudure et l’aspect rudimentaire des cachots, comme si elles avaient été bricolées avec les moyens du bord. Chacune était cependant suffisamment grande pour accueillir une vingtaine de personnes : elles étaient toutes remplies à craquer de prisonniers en tous genres, vêtus de haillons, sales, fatigués et squelettiques. Ils avaient les jambes et les bras enchainés, ce qui limitait considérablement leurs déplacements, si tant est que cela fut possible considérant l’étroitesse de leurs cellules. Au fond, une collection d’étagères remplies de bouteilles en verre : certaines étaient vides, mais d’autres pleines d’un liquide sombre. Au centre, une table d’opération équipée de sangles et d’un système de pompe avec des tuyaux transparents, l’ensemble paraissant étrangement déplacé dans ce décor d’horreur. Il y avait du sang séché dessus…

Jonas n’eut pas besoin de réfléchir davantage pour comprendre à quoi cet attirail servait… Les doutes de Sheamon venaient d’être confirmés.

  • Restez bien au fond ! Le premier à bouger recevra une telle correction qu’il me suppliera de l’achever ! ordonna Opra devant la première cellule avant de désigner un adolescent malingre au premier rang. Toi ! Approche ! Tu es le prochain !

Tremblant de peur, le prisonnier obéit. La femme vampire ouvrit la porte et l’attrapa sans ménagements, aidée par Waldo. Ensemble, ils le forcèrent à s’allonger sur la table et l’attachèrent. Puis, Opra saisit une aiguille reliée au système par un tube transparent et l’enfonça dans le pli du coude de l’adolescent, qui tressaillit, blanc de peur. Sa tortionnaire activa ensuite la pompe en pressant un levier.

  • Tu as intérêt à te détendre petit, lui conseilla Waldo avec un sourire cruel. Sinon tu risques de gaspiller plus d’énergie que nécessaire. Cela pourrait te coûter la vie avec la dose de sang qu’on va devoir te prendre.
  • Ce serait dommage, renchérit Opra, railleuse. Chacun d’entre vous vaudra son pesant d’or quand les contrebandiers reviendront… Ils cherchent toujours de nouveaux esclaves.

Elle tourna la tête vers les autres prisonniers, qui regardaient avec terreur leur camarade se faire aspirer le sang.

  • Ne vous réjouissez pas trop, vermines ! s’écria-t-elle. Après lui, il m’en faudra quatre autres pour reconstituer nos réserves !

La terreur des prisonniers redoubla, Waldo éclata de rire.

  • Vous devriez vous réjouir ! ricana-t-il. Car ce soir sera une soirée mémorable, qui risque de changer notre monde à jamais. Alors…
  • -Pour l’instant, aide-moi à le dégager, l’arrêta durement Opra. Le gamin n’a pas tenu le coup.
  • -Bon… j’imagine qu’il faut en prendre un plus résistant, n’est-ce pas ?

Jonas en avait assez vu. Il caressa le manche de son couteau, tiraillé par l’idée d’aider les prisonniers en neutralisant les deux vampires. Cependant, pas besoin d’être devin pour comprendre que c’était trop risqué. Il avait laissé son fusil dans sa cabine et même s’il était confiant dans sa capacité à manier le couteau, affronter deux vampires en même temps était trop dangereux, surtout si par malchance ces derniers parvenaient à donner l’alerte. D’ailleurs, même s’il réussissait à s’en débarrasser, sortir discrètement de la ville avec un nombre aussi important de fugitifs serait impossible. En quelques minutes, il aurait toute la communauté de vampires sur le dos… Jonas n’avait pas survécu toutes ces années dans le monde qui était le sien en fonçant tête baissée. La dernière fois lui avait servie de leçon.

Le démon fit donc discrètement demi-tour. Il ne pouvait pas aider ces prisonniers. Seul, il n’aurait pas les ressources nécessaires.

Mais avec l’aide de Sheamon, oui.

Il remontait l’escalier quand la trappe s’ouvrit brusquement devant lui, livrant passage à un vampire transportant un sac de pain noir et sec, sûrement le repas des prisonniers. Pendant un instant, Jonas et lui se regardèrent, aussi stupéfaits l’un que l’autre. Puis le vampire poussa un cri de surprise et, laissant tomber son chargement, voulut s’emparer du hachoir à sa ceinture. Mais Jonas fut plus rapide : en un éclair, il lança son propre couteau dans la poitrine de son assaillant, qui rugit de douleur. Le devin se jeta alors sur lui, le plaquant au sol en lui couvrant la bouche, enfonçant plus profondément l’arme dans la poitrine de sa victime qui cherchait vainement à agripper son adversaire, alors que déjà ses forces le quittaient. Jonas maintint tout de même la pression, connaissant la résistance hors normes de ces créatures.

-Qu’est-ce que c’est ?! retentit soudain au loin la voix alarmée d’Opra.

-Un intrus ! s’écria Waldo.

Des bruits de pas précipités se firent entendre en provenance de la cale. En poussant un juron, Jonas retira le couteau du corps et s’empara dans sa ceinture d’une petite bombe blanche qu’il alluma alors que les deux vampires atteignaient l’escalier. Ces derniers découvrirent d’abord le cadavre de leur camarade gisant au sol, puis le démon lui-même.

-Toi ! rugit Opra en croisant le regard du devin.

-Oui… moi ! répondit l’intéressé avec une grimace.

Opra, ivre de rage, fit un pas vers lui, mais Jonas jeta la bombe directement à ses pieds. Une explosion de fumée blanche enveloppa aussitôt la cage d’escalier, arrachant des cris de stupeur et des hoquets étouffés aux deux vampires. Le démon, qui avait pris soin de retenir sa respiration et de fermer les yeux, détala aussitôt à l’aveuglette sans demander son reste. La main collée au mur pour ne pas se perdre dans le brouillard de fumée, il courut aussi vite que possible, sachant pertinemment que s’il était rattrapé, une mort certaine l’attendait.





A suivre...

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