Chapitre 32 : Sacrifice, Partie 2
- Je dois louer ton courage, princesse, déclara finalement ce dernier, mettant fin à son attente. Te sacrifier à la place de tes camarades, ce n’est pas un acte de bravoure dont aurait fait preuve un nosferatu, pour ne pas parler des autres Nocturii. Mais c’est une vertu que ton père et ton oncle avaient tous les deux. J’aurais vraiment aimé que cela se passe autrement… Que nous puissions nous entendre, et que comme ton oncle et ton père avant toi, tu finisse par rejoindre notre cause de ton plein gré. Si nous avions eu plus de temps, ou s’il n’y avait pas eu cette menace à nos portes, alors peut-être que… cela aurait été possible. Malheureusement, je vois que le renégat a pollué ton esprit avec des idées dangereuses, et tu as commis l’irréparable en t’en prenant à notre peuple. Il est trop tard pour faire machine arrière. Tu es une ennemie de Varenn, et si nous ne te détruisons pas, c’est toi qui nous détruira.
Evander s’interrompit un instant pour pousser un soupir résigné, et Triss eut presque l’impression qu’il était sincère.
- Par respect pour Sirius et Jorenn, je ne vais pas te cacher la vérité, reprit le guide de Varenn. Tu vas souffrir terriblement avant de mourir. Ton agonie sera… douloureuse, mais nécessaire, crois-moi. Ce sera le symbole du début de notre rébellion contre Némésis. Sachant cela, es-tu toujours aussi déterminée à te sacrifier pour sauver tes amies ?
Triss déglutit, tandis que Philippa poussait un gémissement de douleur. Evander avait donc l’intention de la tuer. Il semblait s’être résolu à cette extrémité car il s’était rendu compte qu’elle ne serait pas aussi manipulable qu’il l’avait escompté. La jeune fille avait cependant l’impression qu’il ne lui avait pas tout dit… Toutefois au fond, peu importaient ses raisons désormais. Triss allait mourir. C’était une hypothèse qu’elle avait certes envisagée, mais s’entendre condamner ainsi fut comme recevoir un coup de massue sur la tête. Elle ressentit soudain un élan de panique à la pensée de sa mort imminente.
Il y avait tant de choses qu’elle désirait encore réaliser ! Retrouver Sheamon pour partir avec lui explorer le monde… venger ses amis et son oncle, détruire sa mère et les Nocturii, goûter à nouveau aux sorbets de Dast et rendre visite à Amalia, Mérissa et Noémie, guérir Philippa pour se redonner une chance de vivre à nouveau ensemble… Elle voulait grandir, vivre encore de nombreuses aventures, tomber amoureuse même et, qui sait… avoir un jour sa propre famille ?
Pourtant, ce fut en ignorant les élans de son cœur, sa raison et son instinct de survie, qu’elle parvint à sourire avec assurance malgré sa peur et à répondre d’une voix légèrement tremblante :
- Oui.
- NON ! hurla Philippa en s’agitant de nouveau en vain pour se libérer. Ne fais pas ça, Triss !
- Silence ! Ordonna sèchement Evander avant de ranger son couteau pour se tourner vers Triss. Dans ce cas, jeune fille, il est possible que nous parvenions à un accord.
***
- Et c’est ainsi que Merlin l’Enchanteur a réussi à enfermer Voldra dans cette région, acheva Ilyann d’un ton enjoué. Je pense qu’il n’avait pas d’autre intention que de contenir le mal que le dragon représentait, mais cela nous a ironiquement permis bien plus tard de conclure un accord avec lui pour pouvoir nous installer ici.
Il ajouta avec un sourire amusé :
- On pourrait y voir un coup du destin, non ?
- Aucune idée, rétorqua brutalement Sheamon en le dépassant.
Le sourire d’Ilyann se figea quelque peu, mais il retrouva vite un air insouciant et se remit en marcher.
Cela devait faire plus de cinq heures qu’ils s’étaient mis en route, mais Sheamon ne parvenait pas à imaginer la fin de leur périple à travers cette région montagneuse et escarpée. Ils avançaient en direction du nord-ouest afin de se rapprocher de Béhémoth et les séparatistes démons. Son jeune guide devait le conduire à la limite du territoire de Voldra, et ensuite s’assurer que l’exorciste quitte la région pour accomplir sa vengeance. Pourtant, cette idée n’effleurait même pas l’esprit du renégat, dont toutes les pensées étaient tournées vers Triss.
Pendant tout le trajet, Ilyann avait tenté d’alimenter la conversation avec Sheamon, mais ce dernier n’avait aucune envie de parler. Une certaine tension s’était progressivement installée entre les deux hommes. Le seul qui paraissait content de ce voyage était Ryku qui grimpait avec légèreté sur les rochers et ne se gênait pas pour fureter dans tous les coins, se cacher et pourchasser quelques insectes. Plusieurs fois cependant, il vint se frotter avec affection contre son maitre, mais celui-ci ne le remarqua pas. Il était trop préoccupé par le sort de la jeune fille. Evander tiendrait-il parole ? La protègerait-il ? Il l’espérait de tout son cœur, même si un mauvais pressentiment le tenaillait depuis qu’il avait quitté le refuge.
Son instinct se rebellait, lui disant de faire demi-tour pour retourner chercher Triss et l’arracher aux griffes d’Evander. Mais c’était trop dangereux pour elle. De plus si Voldra était dans le coin, il devrait affronter le gardien de Varenn : or lui-même ne savait pas s’il serait capable de vaincre un tel adversaire. Il avait écouté avec un certain intérêt Ilyann lorsque celui-ci, à court d’idées, avait entrepris de lui raconter l’histoire du dragon… Mais tout ce qu’il en avait retenu, c’est que Voldra c’était aussi fait avoir par Evander. Le guide de Varenn savait en effet s’y prendre pour obtenir ce qu’il voulait…
Il envisagea pendant une bonne vingtaine de minutes de prendre Ilyann en otage afin de l’échanger contre Triss, puis il se ravisa. D’abord, parce que malgré tout l’amour qu’Evander semblait éprouver pour son fils, Sheamon connaissait sa résolution : il n’était donc pas absolument certain que le guide de Varenn ne serait pas capable de sacrifier son fils au nom de sa cause. Ensuite, parce que pour lors, Evander disposait potentiellement de plusieurs otages, ce qui les mettait tous en danger tant que les autres ne l’auraient pas rejoint sain et sauf. Enfin tout simplement, parce qu’il lui répugnait malgré tout de mettre en jeu la vie d’un gamin comme Ilyann pour parvenir à ses fins. Il savait que Triss ne le lui pardonnerait pas… et d’ailleurs, il ne se le pardonnerait pas non plus.
Il leur fallut encore une heure de marche en suivant sentiers tortueux creusés entre plusieurs montagnes, montant et descendant à intervalles réguliers, pour atteindre une sorte de plateau offrant une vue imprenable sur le désert qui s’étendait devant eux, tel un océan doré.
- Nous y sommes ! s’exclama Ilyann en posant son sac pour admirer le panorama. C’est le chemin le plus court en direction du Comté de Goma. Il ne nous reste plus qu’à attendre vos amis ici… A mon avis, ils doivent être déjà être à mi-chemin.
- Tu n’es pas obligé de rester, lui dit Sheamon.
- Je pense que ce serait préférable, au contraire. Si Voldra vous trouve ici tout seul, il risque de vous attaquer, Monsieur Wave. Après tout, vous êtes encore sur son territoire…
- Ton père risque de s’inquiéter.
- Il sait que je connais ces montagnes comme ma poche. De toutes manières, je ne bougerai pas d’ici. J’ai promis de vous accompagner et de garantir votre sécurité jusqu’à ce que vous et vos camarades ayez quitté la région. Et je compte bien m’acquitter de cette mission.
Sheamon l’observa attentivement, essayant de déceler la moindre trace de fourberie sur son visage, mais il n’en trouva aucune. Apparemment, le fils d’Evander paraissait sincère. Une différence de taille avec son père…
Même si le renégat aurait préféré rester seul, il ne trouva pas la force de l’expliquer à Ilyann. La bonté que ce garçon portait en lui était contagieuse.
Ils attendirent plus de deux heures sans que personne ne se présentât au point de rendez-vous. Le ciel s’assombrissait déjà. Sheamon commençait à trouver le temps long, tout comme Ilyann. Ryku s’était roulé en boule dans un coin pour une petite sieste, après avoir constaté qu’ils ne bougeaient plus.
- Je ne comprends pas ! marmonna Ilyann. Ils étaient supposés partir une heure après nous… Ils devraient être déjà arrivés depuis longtemps.
Sheamon, tendu, ne répondit pas. Il consulta l’Horologium du regard pour la dixième fois en une minute. La montre désignait la plume et l’orage. Ce qui signifiait que Triss était endormie, même si sa tristesse était toujours vive. Le renégat se sentit rassuré… pour l’instant. Mais cela n’expliquait toujours pas pourquoi le second groupe était autant en retard… Sheamon n’aimait pas les surprises, surtout quand elles mettaient en jeu la vie de ses camarades.
Une autre heure passa. Ilyann avait entrepris de tailler une flûte dans du bois, laissant son compagnon en paix. L’air si chaud d’habitude dans le désert étant devenu étrangement froid, Sheamon décida de faire un feu, qu’il alluma en ramassant de solides sarments de vignes poussant entre les rochers. Ils étaient si secs qu’ils flambèrent instantanément. Le renégat s’installa sur une pierre devant les flammes, le regard à nouveau perdu dans le vide.
- Vous pensez toujours à Triss, n’est-ce pas ?
Sheamon tressaillit, en fusillant Ilyann du regard. Ce dernier sursauta, mal à l’aise. Il était en train d’affiner les traits de son instrument de fortune au couteau.
- Je suis désolé si je vous ai importuné ! s’excusa-t-il, l’air confus en posant son œuvre et son ustensile. Je me suis juste dit que… Vous aviez l’air triste.
Perplexe, Sheamon plissa les yeux. Ce garçon était-il tout simplement innocent, ou bien jouait-il les bons samaritains uniquement pour amener le renégat à baisser sa garde ? Le jeune vampire avait aussi emporté son fusil ; pour se protéger en cas de danger, avait-il déclaré… Allait-il tenter de l’achever sur l’ordre de son père ? Sheamon secoua énergiquement la tête. Il devenait paranoïaque.
- Je ne suis pas triste, prétendit-il. Je suis content d’avoir achevé ma mission et que Triss soit en sécurité ici. J’espère juste qu’elle continuera à être heureuse. Elle le mérite.
- Elle le sera, assura Ilyann avec un sourire confiant. La vie ici est un peu difficile parfois, mais au moins nous sommes libres et personne ne peut nous priver de cette liberté. Cela peut prendre un peu de temps… mais je vous promets que Triss trouvera sa place parmi nous.
Sheamon ne répondit pas tout de suite, gardant pour lui ses réflexions ; son regard glissa à nouveau lentement vers l’Horologium à son poignet. Il s’aperçu alors que l’aiguille s’était désormais obstinément figée sur le crâne.
En un instant, le renégat bondit sur ses pieds et la peur s’empara de lui. Triss était en danger de mort. Ryku leva la tête, alerté par le brusque mouvement de son maitre.
- Que… que vous arrive-t-il ? s’inquiéta Ilyann en l’imitant.
Avant que Sheamon eût le temps de réagir, un croassement attira son attention vers les airs. Il aperçut alors dans le ciel, survolant les montagnes, ce qui semblait être une silhouette avec de grandes ailes noires, poursuivie par un ptérodactyle, l’un des grands chasseurs aériens de la région.
- C’est une personne ! l’informa Ilyann qui avait suivi son regard, et dont la vue perçante allait plus loin que la sienne. C’est… C’est Monsieur Perceval ! Ne sait-il pas que voler ici, c’est du suicide ?! Il sera vite rattrapé à cette allure !
Le vampire avait raison car la silhouette parut brusquement changer de cap pour piquer dans leur direction, probablement attirée par le feu. Sheamon put alors reconnaitre le devin à son tour. Il était difficilement ratable avec son manteau émeraude… Le renégat se raidit, assailli par un sombre pressentiment. Que Jonas arrivât seul en ayant pris le risque de voler, alors qu’il savait pertinemment à quel point l’espace aérien était dangereux dans ce coin, n’était pas normal…
Sheamon s’apprêtait à s’envoler pour lui porter secours lorsqu’Ilyann, devinant ses intentions, l’arrêta d’un geste.
- Vous ne pouvez rien faire, l’interrompit le vampire en tendant le doigt vers les rochers. S’ils se mettent à voler trop bas, ils seront dans le champ d’attaque des piranhodons. Et ces saletés pourraient tout aussi bien s’en prendre à vous !
En effet, Sheamon pouvait sentir l’énergie de centaines de petites créatures ailées grouillant entre les rochers ; celles-ci devaient observer la scène avec intérêt, attendant que Jonas et le ptérodactyle soient à leur portée pour leur fondre dessus. Pouvait-il utiliser son Souffle contre elles et neutraliser la colonie entière avant que Jonas n’en soit victime ? Il n’eut pas le temps d’essayer.
Ilyann le devança ; enlevant la bandoulière retenant son fusil, il posa un genou à terre et visa calmement sa cible. Il tira ; deux secondes après la détonation, le ptérodactyle poussa un cri de souffrance, alors que la balle transperçait son crâne. Il tomba en chute libre. Aussitôt les piranhodons, attirés par l’odeur du sang, sortirent de leur cachette pour se jeter sur lui et le déchiqueter avidement en plein vol. Cela permit à Jonas de continuer son chemin sans être importuné par la horde de prédateurs, trop occupés à dévorer leur proie.
Il atterrit enfin, le souffle court et tremblant d’épuisement. Sheamon l’aida à se redresser. Jonas avait l’air de vouloir parler, mais il avait apparemment la gorge sèche. Ilyann tendit une gourde à l’exorciste, qui s’en empara pour donner lentement à boire au devin, en veillant à ce qu’il ne s’étouffât pas.
- Que se passe-t-il ? l’interrogea-t-il dès que celui-ci eut repris ses esprits. Qu’est-il arrivé à Triss et aux autres ?
Jonas inspira longuement, retenant son souffle. Sheamon remarqua qu’il observait d’un air méfiant Ilyann et le fusil que ce dernier tenait entre ses mains.
- La princesse… Elle a été capturée… révéla-t-il d’une voix pressée. Philippa et Naru aussi sans doute…
- C’est impossible ! balbutia Ilyann, déconcerté. Aucun ennemi ne peut entrer dans le refuge ! La garde n’aurait jamais laissé passer des inconnus !
- Ce sont Evander et les autres vampires qui ont pris Triss en otage, précisa alors Jonas, révélant tout haut ce que Sheamon avait déjà compris.
Le cœur du renégat se serra tandis que la colère le submergeait. Il avait été stupide d’imaginer qu’Evander protégerait Triss… Il aurait dû le tuer quand il en avait l’occasion !
- Comment osez-vous, Monsieur Perceval ? s’insurgea Ilyann. Nous sommes des gens honnêtes qui ne demandons qu’à vivre en paix, nous vous avons accueillis les bras ouverts ! Et vous osez salir notre honneur en…
A la vitesse de l’éclair, le renégat se retourna et braqua son arbalète en direction du jeune vampire stupéfait.
- Que faites-vous, Monsieur Wave ? s’exclama Ilyann en reculant lentement. Avez-vous perdu la raison ?
- Qu’est-ce que ton père a prévu de faire de Triss ? l’interrogea froidement Sheamon.
- Vous ne pensez tout de même pas…
- Ecoute-moi bien, gamin. Si tes camarades ont touché à ne serait-ce qu’un cheveu de Triss, je te promets que vous le payerez très cher. Si tu veux survivre, tu as intérêt à me révéler tout ce que tu sais, et rapidement.
Ilyann se figea, comme s’il venait seulement de comprendre que le renégat était déterminé à transformer ses paroles en actes.
- Ecoutez… finit-il par déclarer calmement, quoique légèrement tendu. Je vous assure que je n’ai absolument aucune idée de ce qui a bien pu se passer là-bas. Je persiste à croire qu’il s’agit d’une méprise regrettable et que si nous arrêtions deux minutes de paniquer pour réfléchir, nous pourrions éclaircir ce malentendu. Monsieur Perceval a peut-être mal vu ou mal interprété ce dont il a été témoin…
- Ah oui ? ricana Jonas. Et les esclaves planqués dans la cale de l’ancien aéronef, c’est aussi une méprise ?
- Des esclaves ? répéta Ilyann avec stupéfaction, avant de s’indigner. De quoi parlez-vous ? Nous n’avons aucun esclave à Varenn !
- Oh que si, je l’ai ai vu moi-même ! affirma Jonas. Ils les capturent, leur pompent régulièrement des litres de sang pour nourrir leur communauté, après quoi ils les vendent à des marchands d’esclaves ! C’est comme ça qu’ils se sont procuré des armes et tout ce qu’il leur fallait pour survivre ici !
- C’est faux ! s’indigna Ilyann. Je ne vais pas vous laissez ternir la réputation de notre communauté ! Tout ce dont nous avons besoin, nous le trouvons dans le désert, nous fabriquons nous-même ou nous l’échangeons en faisant du troc. Quant au sang qui nous nourris, il nous est gracieusement fourni par des sympathisants de notre cause vivant dans la société démoniaque !
- Les as-tu déjà rencontrés, ces braves gens ? l’interrogea sèchement Sheamon.
Ilyann se figea et déglutit.
- Non, admit-il à contrecœur, confirmant les doutes du renégat. Quand il partait avec les autres en expédition, mon père m’a toujours dit qu’il fallait que je reste au refuge pour protéger la communauté. Mais je n’ai aucune raison de mettre en doute sa parole ! C’est un homme bon et généreux qui ne demande qu’à préserver notre liberté. Il a accueilli la princesse alors qu’elle est une Nocturii, et d’ailleurs il prépare même une grande fête en son honneur, ce soir !
Sheamon tiqua. Il échangea un regard avec Jonas, comprenant aussitôt que le devin partageait son inquiétude.
- Une fête ? répéta-t-il. Il y en a déjà eu une hier… Pourquoi d’autres festivités encore ?
- C’est une célébration spéciale, expliqua le jeune vampire, qui semblait croire que l’ange déchu commençait à se calmer. D’après mon père, c’est une sorte d’intronisation pour que Triss puisse prendre la place qui lui revient de droit. Vous voyez bien que personne ne lui veut du mal !
- J’en ai entendu parler, glissa Jonas à Sheamon. Deux vampires ont évoqué à ce propos une déclaration de guerre…
Sheamon hocha la tête, tandis que les éléments s’assemblaient dans sa tête. Ce qu’il était en train d’en tirer lui faisait peur, cependant plus il y réfléchissait, plus sa conclusion lui semblait juste… Il pouvait se tromper, bien sûr, mais jusqu’alors son instinct ne lui avait que très rarement fait défaut.
- J’aurais dû m’en douter, gronda-t-il entre ses dents serrées.
- Que marmonnez-vous ? s’indigna Ilyann, mais personne ne lui prêta attention.
- Ils ont l’intention d’exécuter Triss, exposa le renégat, pour se venger des Nocturii qui les ont tant fait souffrir, afin d’envoyer un message à Némésis. Jamais un tel affront ne lui aura été infligé depuis qu’elle a été forcée de quitter la Surface. La mort de la fille de la reine vampire mettra le feu aux poudres. Les Nocturii vont se déchainer.
Sa déclaration laissa Ilyann et Jonas muets, comprenant comme lui les conséquences d’un tel scénario. Némésis n’était pas un Seigneur Primordial. Mais elle n’en disposait pas moins d’une puissance et d’une autorité égalant, ou peu s’en fallait, celle d’un des quatre membres de la Tétrarchie. Si sa fille mourrait, elle serait folle de rage. Ses armées débarqueraient à la Surface et marcheraient en Enfer pour éliminer les rebelles, sans prendre en compte les victimes innocentes qu’une telle opération engendrerait inévitablement. A leur tour, les Seigneurs Primordiaux : Azaël, Satan, Dieu et Dracula dont les liens étaient déjà tendus, ne manqueraient pas d’intervenir pour défendre leurs propres intérêts. Cela provoquerait une guerre d’ampleur mondiale.
Une nouvelle Aube Ecarlate…
- Mais Evander doit se douter qu’en agissant ainsi, l’armée de Forlwey arrivera bientôt et les massacrera tous, objecta Jonas. S’il nous ont retrouvé jusqu’ici, ils parviendront facilement jusqu’au refuge, maintenant. En tuant Triss, Evander perd toute chance de négocier et condamne les siens. Même Voldra ne peut pas être partout pour défendre le refuge contre une armée de shinobis et une flotte entière du Harakaï.
- Je suis certain que c’est exactement ce qu’Evander veut. Il m’a fait croire qu’il voulait que j’attire le nosferatu et ses troupes loin d’ici, mais en fait il n’attend que ça. Evander sait qu’en abattant Triss, il provoquera la colère de Forlwey, et que le nosferatu foncera sur la Montagne Décapitée pour les punir. Et c’est ici qu’il compte l’écraser. Imagine un peu quelle claque ce sera pour Némésis… Sa fille, tuée, son plus dévouée serviteur et l’armée de shinobis qu’il commandait, vaincus par d’anciens esclaves… Quel meilleur moyen de déclencher une rébellion contre les Nocturii que de leur infliger une défaite pour prouver qu’il ne sont pas invincible ? Cette victoire fera gagner du prestige à Evander, et grossir les rangs de ses partisans.
- Formidable plan, mais je ne vois toujours pas comment Evander compte tenir tête à Forlwey surtout si ce dernier a l’appui du Harakaï et celui des shinobis. Les habitants de Varenn ne m’ont pas paru être vraiment une armée d’élite.
- Il doit avoir un plan. A mon avis, Evander sait quelque chose que l’on ignore encore et qui lui donnera un avantage certain contre Forlwey… Quelque chose qui le rend suffisament confiant en sa victoire pour qu’il prenne le risque de déclencher son plan. Et à mon avis, cela a un rapport avec Triss.
Tout en parlant, Sheamon échafaudait déjà un plan pour empêcher le guide de Varenn de mener ses projets à bien.
- Nous devons agir vite. Le seul moyen d’arriver là-bas rapidement, c’est en volant.
- C’est dangereux, frissonna Jonas. Je te rappelle que j’ai failli me faire dévorer il y a quelques minutes seulement !
- Peu importe, c’est notre seule chance d’y parvenir à temps ! Je massacrerais tous les volatiles de la régions s’il le faut pour retourner à la Montagne Décapitée !
- Attendez une seconde ! intervint Ilyann avec colère qui les avaient jusque-là écouté sans rien dire avec stupéfaction. Quelles sont vos intentions ?
- Récupérer Triss et mes compagnons ! rétorqua Sheamon. Par tous les moyens nécessaires… Reste en dehors de ça, gamin. Ça vaut mieux pour toi.
Il tourna le dos au jeune vampire et voulut éteindre le feu. C’est alors qu’il entendit un déclic que tout soldat avait déjà entendu : le bruit d’une arme prête à faire feu. À ses côtés, Jonas étouffa une exclamation de surprise. Quant à Sheamon, il poussa un soupir agacé.
- Lorsque je t’ai dit de rester en dehors de ça, gamin, je voulais évidemment parler d’éviter ce genre de stupidité, grommela-t-il en se retourna vers son compagnon de route, qui le tenait désormais en joue.
A suivre...
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