Chapitre 33 : Vive la Révolution, Partie 1
Même si elle haïssait le vampire, Triss devait le reconnaitre : Evander était un chef charismatique qui savait tenir une foule. Elle lisait sur le visage des réfugiés le respect mêlé à l’espoir que leur inspirait leur chef. Pour tous, Evander avait été celui qui les avait guidés dans ce monde si hostile pour assurer leur survie. Il était leur héros.
Ce dernier leva encore une fois la main pour réclamer le silence, afin de poursuivre son discours :
- Nous avons acquis notre liberté au prix de nombreux sacrifices, grâce au sang versé par nos frères et sœurs… Nous avons erré pendant des années à travers le monde comme des vagabonds, avant d’arriver dans cette région... Mais nous avons tenu ! Et à la sueur de notre front, nous avons réussi à bâtir notre sanctuaire ici même. Je suppose que ceux qui étaient avec moi au début se souviennent à quel point ce fut dur. Il nous semblait pratiquement impossible de parvenir à reconstruire nos vies dans cette région si hostile, cachés des démons qui nous détestaient… Et pourtant, nous y sommes parvenus ! Regardez-nous aujourd’hui, regardez ce que nous sommes devenus ! Je crois que nous pouvons être fiers de tout ce que nous avons accompli ensemble !
Nouveau rugissement affirmatif de la foule. Triss remarqua qu’Evander lui avait totalement tourné le dos. Le bracelet magique attaché à son poignet était bien visible. Imperceptiblement, la jeune fille testa la solidité de ses chaines. Elles étaient bien plus lourdes que celles qu’elle avait détruites précédemment et les deux poteaux servant de point d’appui étaient solidement ancrés dans le sol. Triss pourrait probablement s’en extraire, mais pas en deux secondes. Elle jeta un coup d’œil aux douze gardes qui l’entouraient en demi-cercle, le fusil braqué sur elle. Au moindre mouvement, elle serait sans nul doute criblée de balles. Et même si elle réussissait à s’en sortir, Evander aurait largement le temps d’activer son bracelet, ce qui condamnerait Naru et Philippa. Aucune échappatoire…
- Cependant… reprit justement Evander en levant le bras d’un geste théâtral. Cette liberté, si difficilement arrachée, n’en reste pas moins aussi fragile que la flamme d’une bougie face à la tempête ! Une seule bourrasque et elle s’éteindra à jamais. Nous devons nous rendre à l’évidence, mes amis… notre vie restera encore et toujours sous la menace des Nocturii ! Jamais ils ne nous tolèreront, parce que notre simple existence est un affront pour leur suprématie ! Alors que devons-nous faire, camarades ? Comment nous affranchir définitivement de la malédiction de nos anciens maitres ?
Evander arpentait désormais l’estrade comme un fauve, prenant à parti la foule qui semblait boire ses paroles.
- La réponse est simple ! Nous devons nous battre ! Mais comment lutter contre des adversaires aussi puissants ? Encore une fois, la réponse est évidente, mes amis…
Evander se tourna alors vers Triss avec un sourire triomphant, la désignant d’un geste de la main.
- La princesse Triss ici présente est, vous le savez tous, la fille de Némésis Nocturii, notre fléau !
- Qu’elle meure ! réclama un homme, aussitôt relayé par la foule enragée.
- …Mais elle est également la fille de mon frère d’armes Jorenn Aleyran, précisa Evander d’un ton plus calme.
A ces paroles, les vampires se turent, conservant un silence respectueux. Triss redressa la tête et observa le visage d’Evander, à la fois sérieux et empreint d’une peine qui semblait sincère.
- Vous le connaissez tous : d’ailleurs, beaucoup d’entre vous doivent la liberté à cet homme, reprit-il. Le héros de l’arène, celui qui a mené la dernière révolte, il y a deux cent cinquante ans. L’homme qui a permis à ses camarades de s’échapper à la Surface en tenant tête, avec juste une poignée de braves, à une armée de shinobis. L’homme qui, à lui seul, a réussi à terrasser un nosferatu ! Vous connaissez tous ses exploits… ils n’ont pas échappé à Némésis elle-même, puisqu’elle a voulu faire de lui l’un de ses plus grands généraux. Elle lui a donné le pouvoir et la richesse pour le séduire… mais Jorenn n’a pas capitulé ! Il s’est servi de sa position pour permettre à de nombreux frères de s’échapper à leur tour, en retournant les pouvoirs que lui avait donné la reine contre elle ! Ensuite, lorsqu’il a compris que sa fille risquait de donner à Némésis le pouvoir suprême auquel celle-ci aspirait par-dessus tout, il n’a pas hésité à arracher l’enfant à ses griffes pour la conduire chez son frère, notre ancien camarade Sirius. Il a empêché Némésis d’accomplir ses sombres desseins mais hélas, il payé cette prouesse de sa vie…
Evander marqua une pause et inspira profondément.
- Je ne vous cache pas que cela m’est difficile, avoua le vampire. Il s’agit en effet de la fille et la nièce de deux hommes que j’ai aimés comme des frères. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté la requête de Sirius lorsque celui-ci m’a demandé de l’accueillir parmi nous, bien qu’elle soit la fille de Némésis. Car je me suis laissé convaincre par l’espoir, qu’un jour, cette enfant deviendrait suffisamment puissante pour nous donner la liberté et la paix à laquelle nous aspirons…
Evander se tourna alors vers Triss, le regard rempli de haine.
- Mais le sang des Nocturii et leur noirceur contamine toujours ceux qui le portent, lâcha-t-il avec colère. A elle seule, la princesse a provoqué la mort de Jorenn, notre héros, de Sirius, son propre oncle, et de nos camarades du Quartier Umbrella qui l’avaient pourtant recueillie. N’oublions pas non plus que, sur son chemin jusqu’à Varenn, les morts se sont s’empilés à cause d’elle ! Aujourd’hui encore, alors que nous les avions accueillis elle et ses amis avec tous les honneurs, ce monstre s’en est pris à nous ! Elle et le démon qui l’accompagnait ont éliminé neuf des nôtres, causant plus de morts parmi nous que nous n’en avons jamais eu en deux siècles !
- Je n’ai fait que me défendre ! protesta Triss. C’est vous qui m’avez attaquée !
Mais elle ne put se faire entendre face aux cris de colère et aux insultes qui montaient de la foule dans un véritable déferlement de haine. La voix de Triss fut noyée sous celles des centaines de vampires qui hurlaient presque à l’unisson leur envie de la voir mourir. Et quand bien même quelqu’un l’aurait entendue, personne ne l’aurait crue... Ils ne réclamaient ni des explications, ni même des excuses. Leur unique désir était qu’elle mourût dans les plus atroces souffrances.
- Elle a trahi notre confiance et notre générosité ! tempêta Evander, excitant encore plus la foule. Telle la peste, elle s’est glissée parmi nous pour tous nous détruire ! Que prévoyait-elle donc ? De nous torturer et nous massacrer jusqu’au dernier ? Ou bien de nous réduire en esclavage à nouveau ?
- NON ! rugit Triss mais son intervention fut tout aussi inaudible que la première.
Elle serra les dents pour supporter la violence de cette nouvelle diatribe. Evander avait gagné la foule à sa révolte. Que pouvait-elle dire pour tenter de leur faire entendre raison ? Ils connaissaient celui-ci car il les avait protégés depuis deux siècles, ils avaient souffert et s’étaient battus à ses côtés. Alors qu’elle était la fille de leur pire ennemie…
- Que devons-nous faire, mes amis ? s’écria Evander en écartant les bras d’un geste théâtral. Comment devons-nous punir cette Nocturii qui a fait couler notre sang ?
- LA TUER ! hurla la foule en chœur.
- C’est exact ! Œil pour œil, dent pour dent… sang pour sang ! Mais la tuer simplement serait une erreur, camarades ! Comme les Nocturii se sont servis de nous, nous utiliserons cette princesse pour les détruire !
La foule parut hésiter entre l’allégresse, la surprise et l’incompréhension. Triss fronça les sourcils. Evander voulait la tuer et se servir d’elle pour détruire sa famille ? Son cœur se mit à battre de plus en plus vite. Qu’avait-il prévu précisément ?
Elle ne tarda pas à le découvrir.
- Nous autres vampires, sommes spéciaux, révéla Evander. Notre race recèle de nombreux secrets que les seigneurs vampires ont cherché à préserver, de peur que certains s’en servent pour s’opposer à leurs prérogatives et privilèges. Ils ont toujours clamé à la face du monde que leurs pouvoirs étaient un droit divin qui leur avait été dévolu par le destin. Ils nous ont continuellement répété que si seuls les nosferatus et les Nocturii possédaient une telle puissance, c’était parce qu’ils avaient le droit de régner sur nous autres, servilis, qui en étions dépourvus. Comment, dès lors, pouvions-nous lutter contre eux ? Nous étions faibles, et c’est ainsi qu’ils voulaient que nous restions.
La foule resta silencieuse, car elle le savait mieux que quiconque. La rigidité des castes dans la société vampire n’était un secret pour personne ici. Mais tout le monde savait qu’Evander n’avait pas rappelé cette vérité par hasard. Beaucoup étaient curieux d’écouter ce qu’il allait dire ensuite. Le vampire se tourna alors vers Triss avec un sourire cynique sur les lèvres.
- Et pourtant, camarades, j’ai appris que les pouvoirs de ces seigneurs tout puissants pouvaient leur être arrachés ! révéla-t-il soudain. Je tiens cette information de Sirius, lui-même l’ayant appris de Jorenn, un servilis comme nous, devenu un véritable nosferatu ! Voici cet inestimable secret que l’on vous a caché toute votre vie : si l’on boit directement le sang d’un nosferatu ou d’un Nocturii en quantité suffisante, on peut acquérir sa force et ses pouvoirs !
La nouvelle provoqua des cris de stupeur au sein de la foule, tandis que les murmures enflaient. Triss elle-même était estomaquée. C’était donc ainsi que son propre père Jorenn était devenu un nosferatu ? Plus important encore, c’était une information capable d’ébranler le règne des Nocturii. Si on apprenait qu’il était possible d’arracher les pouvoirs des seigneurs vampires, de nombreux individus, tueurs avides de puissance et chasseurs de primes compris, chercheraient à les traquer pour leur dérober leurs forces. Or si ces seigneurs étaient certes puissants, ils n’étaient pas invincibles car jamais à l’abri d’une trahison ou d’un piège. Une telle révélation pouvait donc s’avérer fort dangereuse pour eux, car elle mettrait leur tête à prix. Or si la plupart renonceraient probablement à s’attaquer à un nosferatu et encore plus à un Nocturii, ceux qui n’avaient rien à perdre en revanche n’hésiteraient pas à tenter leur chance…
Et cela incluait Triss. Car si ses pouvoirs pouvaient lui être dérobés par n’importe qui, sa vie n’avait désormais plus aucune importance… Elle pouvait facilement être éliminée…
Soudain, Triss comprit ce qu’Evander avait en tête : elle faillit éclater de rire en comprenant brutalement l’étendue de sa naïveté. Le guide de Varenn avait tout prévu depuis le début… depuis que Sirius lui avait révélé son existence, probablement. Et cette évidence rendait la situation encore plus ironique : car malgré les multiples embuches, elle avait parcouru tout ce chemin pour chercher un refuge, sans savoir que tout ce qui l’attendait serait la mort.
- C’est ainsi que nous allons vaincre les Nocturii ! martela Evander. En nous emparant du pouvoir de la princesse, pour le retourner contre chaque seigneur vampire que nous affronterons. Et leur sang viendra, à leur tour, nourrir notre ambition ! Plus nous en tuerons, plus nous deviendrons forts, jusqu’à ce que notre puissance devienne une vague irrépressible qui renversera définitivement nos ennemis !
La foule, jusqu’alors hésitante, rugit son accord. Triss remarqua que les regards qui se tournaient vers elle n’étaient plus simplement haineux : désormais, une perverse avidité se lisait sur le visage des habitants de Varenn… Ils ressemblaient à des chiens devant une proie alléchante, n’attendant qu’un mot pour lancer la curée et se gaver de son sang si convoité.
Evander s’approcha alors de Triss, sourire aux lèvres.
- Alors, princesse… ironisa-t-il. N’es-tu pas contente ? Tu vas tout de même servir à libérer nos frères de l’oppression, comme ton père et ton oncle le voulaient…
- Ne parlez pas en leur nom… hurla Triss en tirant sur ses liens, les chaines tintèrent.
- Toi, ne parle pas en leur nom ! rétorqua Evander, avec une soudaine agressivité. C’est à cause de toi qu’ils sont morts !
Triss ouvrit la bouche pour répliquer mais les mots ne purent sortir. Evander avait raison. C’était pour elle qu’Oncle Sirius et son père s’étaient sacrifiés, après tout…
L’agressivité d’Evander sembla s’estomper quelques secondes, remplacée par une expression affligée ; Triss se demanda à quel point il avait réellement tenu à ses anciens frères d’armes. Elle aurait presque éprouvé de la pitié pour lui… si elle n’avait pas su ce qu’il était vraiment.
- Cela n’a plus d’importance, grommela le vampire en reprenant contenance. Au moins, ils ne seront pas morts pour rien.
- Votre plan ne marchera jamais, répliqua Triss. Qui vous dit que mon pouvoir peut effectivement être partagé entre plusieurs centaines de personne ? Vous n’en avez aucune idée, n’est-ce pas ?
- Je ne l’ai jamais expérimenté, reconnut Evander en haussant les épaules. Mais je suppose qu’il y a une première fois à tout !
- Et vous croyez pouvoir me tirer suffisamment de sang pour que tous vos camarades puissent en boire ? continua la jeune fille en arborant bravement un sourire ironique. Mon corps a ses limites, lui aussi…
- J’en suis conscient, petite, répondit Evander en retrouvant son sourire de mauvais augure. Mais heureusement, tu as une constitution très solide, n’est-ce pas ? Tu récupèreras rapidement ce que tu as perdu. Tu passeras ton temps enchainée ici, vidée continuellement de ton sang et de tes forces pour ne pas risquer que tu puisses te libérer, tout juste en vie pour continuer à remplir ton rôle. Des jours entiers, tu devras serrer les dents et endurer les morsures de ceux que les tiens ont oppressés. Et c’est seulement que lorsque le dernier habitant de Varenn se sera abreuvé de ton sang et approprié ton pouvoir que je t’achèverai, princesse…
Triss réprima un frisson de peur et de dégoût. Allait-elle vraiment agoniser ici, torturée du soir au matin, avec juste assez de repos pour survivre encore un peu avant d’être de nouveau jetée en pâture à ces fauves qui convoitaient son sang et ses pouvoirs ?
Elle dut mobiliser toute son énergie pour redresser la tête d’un air révolté et cracher au visage d’Evander.
- J’espère que Némésis vous tordra le cou, rugit-elle comme un fauve. Vous ne valez pas mieux qu’elle !
- Toujours cet air rebelle ! ricana le guide de Varenn en s’essuyant calmement le visage tandis que son sinistre sourire s’épanouissait. Nous verrons si tu continues à fanfaronner après ce qui va se passer.
Sur ces mots, il se redressa et adressa un signe de tête à deux de ses hommes, qui quittèrent l’estrade d’un pas rapide.
- Mes amis ! déclara alors Evander en se tournant à nouveau vers la foule, réduisant au silence la meute qui s’agitait par la seule force de sa voix. Je vous avais promis la tête de Triss Nocturii pour venger la mort de nos camarades : vous l’obtiendrez, soyez sans crainte ! Cependant, puisqu’elle nous est toujours nécessaire, elle ne peut pas encore payer ses crimes de sa vie. En revanche, pour ce qui est de la douleur qu’elle nous a infligé… Elle peut déjà s’en acquitter !
Les vivats de la foule retentirent de nouveau, tandis que Triss se demandait avec appréhension ce qu’Evander lui réservait.
C’est alors qu’elle vit revenir les deux gardes, l’un tenant un paquet rectangulaire aussi long qu’un bras tendu, l’autre armé d’un fouet à gaine noire, dont la lanière était striée d’anneaux métalliques sur lesquels étaient gravés des signes étranges. Triss sentit ses entrailles se tordre à la vue de cet objet terrifiant. Elle savait d’instinct que cette arme n’était pas qu’un simple fouet. Il s’en dégageait une étrange aura… pure et lumineuse, qui lui rappelait curieusement celle de Meira Lynn.
- Vous vous souvenez sûrement comment nos maitres nous apprenaient le respect… continua Evander en enfilant des gants de cuir. Par le sang et la douleur, pour imprimer la peur au plus profond de notre chair… A présent c’est à notre tour de prendre le fouet…
Il adressa un signe de tête aux deux gardes, lesquels se dirigèrent vers Triss, l’un d’eux dégainant un couteau qui fit monter encore plus la tension de la jeune fille. L’autre lui maintint les bras, tandis que le premier passait derrière elle. Elle le sentit tirer sur sa tunique blanche et entendit le bruit caractéristique du tissu qui se déchire. Triss eut peur de se retrouver nue, mais apparemment Evander n’avait pas décidé d’aller jusque-là, puisque le garde se contenta de dénuder son dos avant de s’écarter, laissant la place à son chef. Triss comprit ce qui l’attendait, et serra les dents, sentant tous les muscles de son corps se contracter.
- Voyons un peu quel son font les Nocturii quand on les fait SOUFFRIR !
Le dernier mot d’Evander fut ponctué par un sifflement suivi aussitôt d’un claquement retentissant, alors que le fouet tailladait brutalement le dos de la jeune fille. La douleur submergea son corps, tandis qu’une affreuse sensation de brûlure la submergeait. Triss ne put retenir un cri de souffrance. Elle n’avait pas imaginé que son supplice serait aussi atroce…
La foule, excitée par la souffrance de la jeune fille, répondit par une acclamation réjouie. Cette dernière respirait avec difficulté, essayant tant bien que mal de ne pas s’évanouir sous la douleur qui l’embrasait. Elle sentit vaguement quelqu’un s’approcher derrière elle.
- Ça fait mal, n’est-ce pas ? susurra Evander. Ce fouet a été conçu pour les chasseurs de vampires qui servaient l’Eglise et nous traquaient à l’époque où notre peuple vivait encore à la Surface sans se cacher. Il a été béni et consacré, ce qui en fait une arme terriblement efficace contre nous. Comme tu as pu l’expérimenter, la douleur est dix fois plus atroce. Certaines de ces armes ont fini par tomber entre les mains des nosferatus… et que crois-tu qu’ils en aient fait ? Ils s’en sont servis contre nous bien sûr. A leurs yeux, il s’agissait de jouets susceptibles d’accroitre nos souffrances pour leur plus grand plaisir. Ne penses-tu pas que ce n’est qu’un juste retour des choses que notre tour soit enfin venu de nous en servir ?
- Si vous tenez tant que ça à vous en servir, vous n’avez qu’à vous l’enfoncer dans le… rétorqua Triss, mais elle laissa échapper un nouveau grognement de douleur quand Evander appuya sur son dos à vif.
- Impressionnant… murmura le vampire en l’observant. La blessure commence déjà à se régénérer… Cela me rassure, en un sens. Je craignais que tu ne puisses supporter plus de dix coups. Néanmoins, je constate que le fossé qui nous sépare des vampires nobles est vraiment terrifiant...
- Rassurez-vous, sur le plan de la cruauté, vous êtes incontestablement leur égal, répliqua Triss avec difficulté. Tout ça uniquement pour servir votre cause… Mon père et mon oncle n’auraient jamais toléré ces atrocités et vous le savez !
- Ils sont morts avant de me donner leur avis, riposta Evander. Je ne te croyais pas si naïve, petite. Le monde n’est pas un conte de fées. On ne combat pas la cruauté et le mal en lui opposant l’amour et la bonté. Ça, c’est le genre de choses que les puissants ne cessent de répéter, parce qu’ils ne saisissent pas la réalité du monde. Mais pour que le faible surpasse le fort, il n’a pas d’autre moyen que d’être prêt à tout. Même si cela implique de devenir pire que son ennemi…
Il s’adressa ensuite à l’un des gardes.
- Toi, prends un sceau d’eau et surveille-la, ordonna-t-il. Si elle s’évanouit, tu lui en verses sur la tête jusqu’à ce qu’elle se réveille. Je ne veux pas qu’elle puisse échapper à la souffrance qui l’attend… Nos frères et sœurs martyrs n’ont pas eu cette chance.
Ainsi, on ne lui accorderait même pas le luxe de s’évanouir… La jeune fille devrait supporter son châtiment, pleinement consciente de la douleur qui allait s’abattre sur elle. Triss entendit alors son bourreau s’éloigner d’elle de quelques pas ; elle profita de cet instant de répit pour essayer de se préparer mentalement au prochain coup. Elle avait été surprise la première fois, mais elle serait prête pour la seconde. Pas un seul cri ne franchirait ses lèvres.
- Dans l’arène où j’étais jadis, on administrait aux récalcitrant et aux perdants cinquante coups de fouet, déclara alors Evander.
La jeune fille sentit la peur s’emparer d’elle. Elle s’était presque évanouie de douleur après le premier coup … Jamais elle ne parviendrait à en supporter cinquante !
- Mais puisque la princesse Triss est une Nocturii, je pense qu’elle peut aisément en encaisser cent ! s’exclama son implacable bourreau derrière son dos.
La foule laissa éclater sa joie, tandis que Triss sentait son cœur cesser de battre. C’était trop. Elle n’en pouvait plus. Sur le point d’éclater en sanglots, elle aurait voulu s’enfuir pour échapper à cette cruauté et ces regards impitoyables qui se réjouissaient d’avance de la poursuite de son supplice.
Triss réalisa soudain que c’était exactement l’objectif d’Evander. Il voulait la briser, la voir crier, pleurer, implorer sa pitié, pour assouvir enfin l’envie de vengeance qui les dévorait lui et ses compagnons. A leurs yeux, Triss, bien qu’elle n’eût pourtant jamais possédé ni tourmenté des esclaves, restait une impitoyable Nocturii…
Elle se ressaisit. Ils s’apprêtaient à la torturer et à la tuer. Elle n’allait pas en plus leur donner la joie de la voir brisée. La jeune fille se jura de serrer les dents et d’encaisser autant qu’elle le pourrait. Elle ne les laisserait pas se réjouir de ses cris et de ses larmes.
Alors malgré la douleur qui la tenaillait, son dos en feu, la foule haineuse face à elle et la perspective imminente de la souffrance accrue qu’elle allait devoir endurer, Triss redressa la tête et soutint le regard de la foule d’un air résolu.
Le fouet claqua de nouveau.
A suivre...
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