Chapitre 4
Hollister fut tiré de son sommeil comateux par tout un remue-ménage à l'extérieur de la cabine où il s'était effondré.
- Bordel de bordel, pas moyen de piquer un somme après une dure journée de travail ! Dit-il à haute voix, riant de sa propre blague. Ces fainéants d'ouvriers ne me laissent pas une minute à moi ! Sangnoir !
Une dure journée de travail ? Haha, la bonne blague, songea Hollister. Il s'était dégotté le job idéal. La planque parfaite. Tout ce qu'il avait à faire, c’était surveiller l'endroit. Vérifier que ces idiots de travailleurs ne volaient pas et n’abîmaient pas la marchandise du Seigneur Helvetios. Hollister falsifiait aussi les registres de commerce pour le compte du Pourpre, car le Seigneur Helvetios faisait passer plus de caisses par la mer qu'il ne le laissait paraitre à l'administration de l'empire.
Homme de peu de scrupules, Hollister avait toujours vécu de petites escroqueries diverses et variées dans le Gouffre. Il n'avait que très rarement exercé travail honnête. Néanmoins, il avait réussi à se faire un nom dans la pègre, grâce à ses talents pour la parlote et pour sa discrétion. Il n'avait jamais balancé personne au guet, finissait toujours le boulot pour lequel il était payé. Quel qu'il soit.
Lorsqu'un gros bonnet l'avait approché, lui proposant le poste de superviseur dans l'un des entrepôts du Seigneur Helvetios, il n'avait pas eu à y réfléchir bien longtemps. On lui offrait un salaire exorbitant, pour le vaurien qu'il était, ça ne se refusait pas. Il avait désormais assez d'or pour assouvir tous ses vices. Tous ! Cela alors qu'il ne passait son temps qu'à roupiller toute la journée et inscrire des chiffres au hasard - mais pas trop gros ! - ainsi que sa signature, sur les papiers qu'on lui présentait.
Quelle aubaine ! Le destin lui souriait enfin. Après toute cette chienne de vie, Il allait pouvoir économiser assez pour se payer le voyage jusqu'à la cité de Katz où il avait des contacts. Où l'on vivait mieux que ce trou à merde qu'était la Cité de Valiskar - le cœur de l'Empire mon cul oui ! - et y ouvrir un petit commerce. Légal celui-là ! Oui monsieur ! Bon, il y aurait peut être deux ou trois minettes, se trémoussant entre les tables de sa future taverne. On y jouerait peut être aux Trois Rois et on y fumerait sans doute le Jisath Brun... Mais il n'y aurait pas mort d'homme !
Hollister se gratta une barbe sale et grisonnante, posa son chapeau sur le bureau et se leva pour apercevoir ce qui se passait à travers la vitre. Il aperçut les Hog'Shas, qui se dirigeaient dans sa direction.
- Oh merde !
Dans un regain de lucidité, Hollister s'empressa de rassembler la paperasse qui trônait en désordre sur le bureau. Il entreprit d'y mettre le feu, jetant les papiers et la lampe à huile dans la cheminée éteinte. Les documents s'embrasèrent rapidement.
La porte du bureau s'ouvrit avec fracas, Hollister eut à peine le temps de se retourner qu'il reçut un formidable coup de poing d'une main gantée de fer en pleine tronche. Projeté en arrière, il alla s'encastrer dans la chaise qui se fracassa sous son poids et la violence du choc. Il manqua de justesse de finir dans le feu, déjà vigoureux. Il se mit à quatre pattes, recracha du sang et plusieurs morceaux de dents en implorant d'une voix misérable :
- Mes Seigneurs ! De grâce !
Le garde qui l'avait cogné le releva d'une main.
- Tu vas répondre aux questions que Maîtresse Mircea va te poser. Si tu mens, nous le saurons. tu ne ferais qu'alourdir ta sanction !
- Je vous dirais tout ce que je sais ! Je coopère ! Je suis un honnête travailleur qui ne fait que ce qu'on lui demande de faire je ne...
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que le garde lui asséna une gifle retentissante, lui écorchant douloureusement la joue.
- Nous ne sommes pas venus écouter tes jérémiades. Répond Seulement à ce que nous te demanderons ! Rugis le Hog'Sha à travers son heaume.
Maîtresse Mircea s’avança, elle fit signe au garde de relâcher l'homme et se plaça en face de lui. Elle fit mine de réarranger la tenue en désordre d'Hollister, après le passage à tabac qu'il venait de subir.
- Tout va bien, tout va bien. Dit elle d'une voix apaisante. Maintenant que les présentations sont faites, tu sais qu'il vaut mieux pour toi que tu sois d'une franchise à toute épreuve, nous allons pouvoir avoir une discussion sur ce qui se passe ici.
Son regard se transforma en un trait de violence qui transperça l'homme, déjà brisé.
- Je travaille pour Lord Helvetios, Ma Dame, je suis juste chargé de surveiller l'entrepôt, c'est tout.
- Surveiller l'entrepôt, c'est tout ? répéta-t-elle d'un ton faussement surpris. Elle farfouilla un moment à l’intérieur de son armure et en sorti un papier chiffonné. (Les yeux Hollister s’écarquillèrent) C'est pourtant ta signature sur ce registre, tu es bien Hollister Kelgar, n'est-ce pas ?
- Ou...Oui, bégaya l'homme qui se savait coincé. Je me contente de compter la marchandise avant qu'elle ne soit chargée sur les bateaux, puis je l'inscris sur le registre.
Il marqua une pause d'hésitation en se disant qu'ils avaient forcément découvert le pot aux roses : autant tout déballer tout de suite. Il n’était certes pas dans ses habitudes de trahir la confiance de ses associés... Mais on ne plaisantait pas avec les Hog'Shas. Avec de la chance, il s'en tirerait.
- Je vois où vous voulez en venir. Je vais tout vous, dire ! Ce sont les hommes du Seigneur Helvetios ! Ils m'y ont obligé ! Je devais inscrire ce qu'ils me demandaient ! ils ont menacé ma famille ! geignit-t-il.
Sa famille, Hollister s'en foutait comme d'une guigne, cela faisait d'années qu'il n'habitait plus la masure qu'il partageait avec sa femme et ses cinq fils. N'y passant plus qu'occasionnellement, quand il était en fond. Pour faire l'amour à sa femme, s'assurer qu'elle ne le trompait pas et se donner bonne conscience en payant à ses fils quelques babioles.
- C'est très bien ça, Hollister, je vois que tu as enfin compris que tu ne pourrais pas nous mentir. Ton cas n'est peut-être pas sans espoir. Ton crime est grave, tu t'es rendu complice du Seigneur Helvetios qui a volé l’Empereur. Mais tu peux encore te racheter... Nous savons que son grand intendant est venu t'apporter un coffret. Tu vois de quoi je parle, il est très singulier, fait en bois précieux, décoré de motifs en or ? Sa voix était enjouée. Elle s'amusait de la détresse de l'homme, qui n’était rien de plus qu'une pourriture. Ils le savaient tous les deux.
- Oui, c'est vrai ! Le grand intendant de la lignée d'Helvetios m'a remis ce coffret dans la matinée. Il a dit que je ne devais pas m'en séparer, que c’était important. Il se mit à farfouiller dans le désordre de son bureau. Soulevant des objets d'une main tremblante et précipitée. Merde ! Il était là, je le jure !
- T-t-t, fais attention, tu ne t'en sortiras pas comme ça, Hollister, dit Mircea en secouant la tête.
Le garde qui l'avait cogné s'approcha de lui, la main sur la poignée de son épée. Hollister n'en pouvait plus, quoiqu'il fasse, il se savait perdu. Même si Maitrêsse Mircea l'épargnait, la boîte avait disparu et quand les hommes d'Helvetios l'apprendraient, il serait torturé puis tué avec sa famille. C’était un homme mort.
Plutôt que d'emporter les siens avec lui, mieux valait qu'il meure seul, dans un dernier geste honorable. Ces salauds allaient payer ! Les frères de l'ordre de la Renaissance avaient raison. Les Impurs ne sont pas libres.
- Attendez, dit-il d'une voix soudainement résignée. Je crois me souvenir ou je l'ai mise. Je l'avais planquée dans une caisse, là-bas, dit-il en désignant du doigt un endroit vague au fond de l'entrepôt, à travers la vitre.
Maîtresse Mircea lui fit signe d'avancer. L'entrepôt n’était éclairé que par la faible clarté lunaire, provenant de la porte entrouverte et des vitres, au plus haut du bâtiment.
- Mes Seigneurs, auriez-vous l'amabilité de me prêter un cristal de lumière ? Je me fais vieux. Et je n'y vois pas clair dans ce foutu gourbi.
Un garde fouilla dans une escarcelle accrochée à sa ceinture. Il en sortit deux petits cristaux jaunes qui se mirent à luire de plus en plus fort et en passa un à Hollister. Au moment où il retirait sa main, le garde saisie Hollister par l'avant-bras. Hollister failli crier de douleur, il se retint et soutenu le regard que le garde lui jetait. Il le relâcha et le groupe se dirigea vers le fond de l'entrepôt. Les deux Hog'Shas l'encadraient pendant qu'ils traversaient le bâtiment. Maîtresse Mircea fermait la marche.
Hollister trouva ce qu'il cherchait, une grande caisse cadenassée faite en acier.
- C'est là, dit-il d'une voix qu'il n'avait pas besoin de travestir pour la rendre hésitante, emplie de terreur.
Les gardes s’arrêtèrent à quelques pas derrière leur guide. Hollister fouilla dans la poche interne de son menteau de cuir abîmé et en sortit une clé. Il s’avança pour déverrouiller la caisse.
Parfait, ils sont là. C'est ton heure Hollister. Puisse Râkan l’éternel me pardonner mes péchés. Qu'il soit témoin de mon acte de foi et de bravoure.
Dans la caisse, des bocaux en verre renforcé étaient placés dans de la paille, un liquide vert les remplissaient. Hollister en saisit un, l'ouvrit et y mit son cristal avant de refermer l'engin. Ces bombonne étaient des explosifs utilisés dans les mines de Pierre-Rouge. La réaction du mélange se produirait très vite.
Alerté par la disparition de la lumière, l'un des gardes se précipita sur Hollister. Il le saisit à l'épaule et le retourna. Hollister arborait un grand sourire ensanglanté. Le garde regarda dans la caisse et vit l'engin qui déjà était en train de bouillir en émettant un petit sifflement aigu. Dans un geste d'une rapidité stupéfiante, il dégaina son épée et en porta un coup d'une précision parfaite tout en criant :
- Maîtresse ! Une bombe alkaeste !
La tête d'Hollister n'avait pas touché le sol que la bombe explosa dans un torrent de feu, faisant éclater les autres explosifs dans une déflagration infernale. Maîtresse Mircea, encore plus rapidement que le garde, leva la main. Un bouclier d’énergie se forma autour d'elle. L'explosion ravagea tout.
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