J'étais monté dans le grenier pour y chercher un vieux chandelier quand j'ai trouvé cette malle. Oblongue, en bois vernis, elle semblait avoir traversé les époques sans être marquée par le temps. Je ne m'étais pratiquement jamais aventuré dans cette partie de la maison. Poussé par une curiosité beaucoup trop forte pour moi sur l'instant, je l'ai ouverte. Et je dois avouer que j'y ai découvert un véritable trésor. Rien de basiquement matériel, non. J'y ai plutôt (re)découvert mon histoire, ma famille, le foyer que j'avais momentanément quitté, dévoré par cette crise adolescente qui nous donne des ailes pour mieux nous pousser à faire la même erreur que notre ami Icare.

Un voile au blanc presque intact reposait sur le dessus. En y passant doucement les doigts, les histoires de ma grand-mère me sont revenues en mémoire. Elle qui me racontait sans cesse des vies de princes et de princesses dans mon enfance. Je n'ai réalisé que bien tard qu'elle me narrait notre Histoire. Celle des générations qui avaient précédé la mienne et qui devaient, selon elle, faire partie de ma culture. Le temps passant, je l'ai vite délaissée pour "vivre ma vie". Elle ne m'en a jamais voulu. Mais elle a bel et bien réussi à ancrer ces images en moi et, si j'en avais le pouvoir, je l'en remercierais. Simplement, avec pudeur.

Puis mes yeux se sont posés sur des photos jaunies de la boutique de tailleur que tenaient mes grands-parents dans leur jeunesse en Italie. Lui, grand et fier, les cheveux rabattus en arrière, ténébreux au possible. Elle, toute aussi fière, souriante, enceinte probablement de ma tante, au vu de la date inscrite au dos du cliché. Comme une fenêtre sur un passé à connaître. D'autres prises de vue faisaient partie de l'ensemble : comme par exemple trois fillettes en robes d'apparat, regardant l'objectif avec beaucoup de sérieux. Deux hommes coiffés de borsalinos, fumant leurs cigares, confortablement installés dans un jardin. Un nourrisson emmailloté dans son berceau. Et ma mère, vers l'âge de 07 ou 08 ans, un nœud dans ses cheveux épais, en train de danser visiblement de toutes ses forces. J'ai alors compris qui j'étais. Quelles étaient mes forces, justement, mes appuis indéfectibles.

Plongé dans mes rêveries, j'ai été brusquement remis face à mes actions passées quand j'ai ouvert un petit carnet ressemblant à un journal intime. Il appartenait à Éva. Éva, qui avait vécu avec moi dans cette maison pendant plusieurs années. Éva, que j'avais laissée partir aussi vite qu'elle était entrée dans ma vie. Je n'avais pas voulu lui offrir ce qu'elle voulait, car je pensais qu'il n'était pas logique qu'elle soit aussi amoureuse de moi, au vu de la façon dont notre histoire avait commencé. Mais c'était la raison officielle. J'avais peur de me tromper encore une fois et d'en avoir le cœur brisé. Alors c'est moi qui ai brisé le sien. Lâchement, alors qu'elle aspirait à une vie simple : un foyer, des enfants, et de l'amour. Pas de luxe ni d'ostentation. Juste Nous. Les notes consignées dans ce petit carnet rassemblaient aussi bien des réflexions personnelles que des listes de vie, ou même encore des recettes de cuisine. Avec des annotations ajoutées de ses propres mains, les adaptant toutes à mes goûts personnels. Elle était entière. Elle était belle. Elle était sincère. Je l'ai aimée. Mais peut-être pas aussi intensément qu'elle le méritait. J'en avais très envie, pourtant. Pourquoi m'étais-je obstiné à penser le contraire ? Pour la même raison : j'avais peur.

Par réflexe, j'ai refermé délicatement la malle, et suis redescendu au rez-de-chaussée. Ce n'est qu'une fois arrivé en bas de l'escalier que je me suis aperçu que j'avais également ramené le carnet de mon ancienne compagne. Assis sur la première marche, je commençais à le feuilleter plus en profondeur quand le heurtoir de la porte d'entrée a retenti. Était-ce le destin ou une divine intervention ? En effet, la porte ouverte, j'ai compris qu'une seconde chance m'était probablement offerte... Éva...