Il était une fois, dans un pays si lointain qu'il serait trop ardu d'en prononcer le nom, un roi endormi par un maléfice que lui seul s'infligeait régulièrement. Couronné beaucoup trop jeune et presque par hasard, il avait été contraint d'abandonner cette innocence frivole et spontanée propre à sa jeunesse pour s'entourer de nombreux conseillers déjà très à l'aise dans l'exercice de cette fonction, et dont les discours plus ou moins avisés se voulaient officiellement prompts à mener le royaume à la prospérité. C'est donc plongé dans un sommeil profond qu'il reprenait des forces avant cette réunion au sommet...

- Sire ! Sire ! La séance de doléances va bientôt commencer !

- J'arrive ! Je viens ! J'accours ! Pas d'inquiétude, me voici.

Installé sur son trône imposant, le roi vit arriver devant lui un homme coiffé d'un chapeau de paysan qu'il ne retira pas. Vaguement froissé par cet affront, il lui donna prestement l'autorisation de dévoiler sa requête afin d'en finir au plus vite.

- Sire, je veux réparer mon enclos à moutons.

- Ai-je bien entendu ?

- Oui. Je veux réparer mon enclos à moutons.

- Eh bien, mettez-vous à l'ouvrage ! Je ne vais pas le faire à votre place !

- Sire ! Il se murmure que vous avez donné une somme bien rondelette au Père Izogoulde pour son potager ! J'en veux autant pour mon enclos !

Un conseiller se pencha soudain à l'oreille du souverain.

- Il serait judicieux de témoigner votre soutien à cet individu qui n'en est pas moins un honnête sujet de votre Majesté. Peut-être n'avez-vous d'ailleurs plus en mémoire le nom de son honorable père ? Ce dernier aurait émis le souhait à votre propre père d'intégrer son armée de chevaliers, en vain. Qu'importe la raison. Notre pauvre hère considèrerait votre refus comme une offense supplémentaire à la dignité de sa lignée.

Le roi se tourna alors vers son délégué.

- Mais que dois-je comprendre à cette rumeur qui semble gronder sur d'hypothétiques sommes d'argent versées à des exploitants dont je n'ai absolument jamais entendu parler ?

D'abord nerveux, la voix du conseiller se fit plus mielleuse encore.

- Sire, vous avez récemment cédé aux affres de votre condition d'homme divin en vous adonnant aux plaisirs de la chair en compagnie de demoiselles visiblement fort douées en la matière. Nous avons été contraints de répondre aux inquiétudes de notre peuple qui lutte chaque jour pour votre bien-être, cela va sans dire, dans l'attente de votre retour, plus valeureux que jamais. Nous avons en effet répondu favorablement à des requêtes s'inscrivant dans un intérêt similaire. Soyez également assuré de notre loyauté toujours plus éclatante envers votre Majesté. Nous n'avons agi de la sorte que parce qu'il est en notre devoir de vous garantir le meilleur. Nous rappelons en outre régulièrement votre ascendance divine à quiconque tente de vous jeter l'opprobre.

Le roi hésitait, tout à la fois flatté dans son orgueil par cette tirade élogieuse, et circonspect sur le choix à faire devant ce paysan. C'est ainsi qu'une douce voix féminine lui souffla sa réponse.

- Votre Majesté se tourmente trop à ce sujet. Permettez-moi de vous suggérer d'accéder à la demande de cet homme pour, bien entendu, plus d'harmonie dans votre royaume. Un peuple en discorde devient le pire ennemi qui puisse exister si le Pouvoir absolu, la volonté même de Dieu, ne lui accorde jamais de faveurs à la vue de tous.

Une main sur celle de son roi, elle attira son regard.

- Ayez confiance... Vous êtes plus populaire que jamais, grâce à notre soutien sincère et indéfectible. Nous sommes continuellement soucieux de vous satisfaire entièrement. Ayez confiance... Accordez votre bonté à cet homme et vous pourrez vérifier votre gloire tout votre saoul. Sire, ayez confiance...