17 ans de mensonge

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C’était un matin comme un autre. Du moins, c’est ce que je croyais jusqu’à ce que j’ouvre cette lettre arrivée au courrier. Je revois encore l’enveloppe d’un blanc immaculé avec mon nom écrit dessus. Je n’avais jamais reçu de courrier avant ça. Mon tout premier courrier en 17 ans. Je me demandais qui avait bien pensé à m’écrire. William, peut-être. Depuis qu’il avait déménagé à Portland, je n’avais plus eu de ses nouvelles. Ce qui était très surprenant de la part de mon volubile préféré. Il me manquait énormément. Plus que je ne l’aurai cru.

Etant de ceux que l’on appelle communément la « nouvelle génération », vulgairement la « génération WTF » ou sans surprise la « génération androïde », j’étais plutôt étonnée et déconcertée que l’on ne m’avait pas plutôt envoyé un mail ou simplement passé un coup de fil. Ou même laissé un message sur Facebook, si compte Facebook il y a. Mais cela ne me déplaisait pas. Non, loin de là ! Je trouvais ce geste particulièrement attentionné et attendrissant.

Lorsque je découvris le nom et l’adresse de l’expéditeur, je lâchais le verre que j’avais en main. Il se brisa à mes pieds en mille morceaux, les éclaboussant au passage de lait en début de péremption. Tremblante, j’ouvris péniblement l’enveloppe et déglutit en sortant une feuille jaunie par le temps, je suppose. Je la dépliais et portais une main à ma bouche, la recouvrant en sentant l’émotion me submerger et les larmes arriver. Ils m’avaient répondu. Ils m’avaient vraiment répondu. Je n’arrivais pas à le croire.

Je parcourais rapidement la lettre lorsque mes yeux bloquèrent sur : « nous attendons ta visite, Megan ». Ils m’avaient répondu et attendaient ma visite. J’allais enfin avoir toutes les réponses. J’allais enfin pouvoir mettre des visages sur des noms. J’avais réussi.

Sous le poids de l’émotion, je tombais lourdement sur une chaise, me mettant instantanément à pleurer. Je pleurais parce que j’étais heureuse, parce que j’allais enfin pouvoir être heureuse. Je l’espérais en tout cas. J’avais attendu ce moment tellement longtemps, tellement longtemps. Et maintenant que c’était arrivé, je ne savais quoi faire. Tout comme le jour où Pitt m’avait embrassé, j’étais perplexe avec un arrière-goût de surprise et de chewing-gum mentholé.

Lorsque j’avais envoyé un courrier à cette adresse, il y a de cela une semaine, je ne m’attendais à aucune réponse. J’espérais, mais n’étais pas bornée. Mais maintenant que j’en avais une, je ne savais tout bonnement quoi penser. C’était si imprévu et inespéré. Je détestais les surprises et les imprévus. C’était comme sentir l’envie de vomir, sans pourtant vomir : c’était frustrant. C’est vrai quoi, qui ne serait pas frustré à ma place !

J’avais appris, il y a de cela deux mois, que j’avais été adoptée. Je ne l’avais appris non pas par mes parents, mais en cognant le gros orteil contre le bureau de mon père. Dans ma chute, j’essayais de m’accrocher à un des tiroirs qui s’ouvrit et me tomba dessus. Je ne vous raconte pas la douleur ! Déjà que j’avais l’orteil en compote, le lourd tiroir finit de m’achever en me tombant sur le ventre. Je pris plus d’une minute avant de me relever, encore tordue par la douleur. Lorsque j’y arrivais, je rassemblais les dossiers éparpillés et les remis dans le tiroir. Je trouvais une feuille de papier pliée en deux. Aujourd’hui encore, je ne sais pas ce qui m’avait poussé à l’ouvrir. Mais je l’avais fait.

C’était une lettre. Une lettre remerciant mon père d’avoir adopté une enfant au nom de Lucinda Talbot. Mais mes parents n’avaient adopté aucun enfant, j’étais fille unique. Et je ne m’appelais pas Lucinda Talbot, mais Megan Johnson. Sauf que Lucinda Talbot était née le même jour, à la même heure et dans le même hôpital que moi, d’après l’extrait d’acte de naissance épinglé à la lettre. Je me rappelais soudain que quand j’étais petite, les filles de ma classe trouvaient bizarre le fait que je ne ressemblais pas vraiment à ma mère. Pour ma part, je trouvais ce détail anodin. La génétique était encore bien trop complexe pour moi à cet âge. Mais maintenant que j’y repensais, je ne pus m’empêcher d’avoir des doutes. Je me mis à les énumérer dans un coin de ma tête. Il faut avouer qu’ils étaient assez impressionnants. Je ne pouvais plus me leurrer.

Ce soir-là, j’avais eu une des discussions les plus importantes de ma vie. C’étaient des cris, des larmes, et du désespoir. Après près d’une heure de dispute, je sortis prendre mon vélo et pédalais jusqu’au parc en plein 21h42, laissant derrière moi les voix affolés de ceux que je considérais désormais comme des inconnus. Abandonnant le vélo, je me réfugiais sur mon banc fétiche, éclairé par la lumière quasi aveuglante d’un réverbère. Là, je laissais place à mes larmes, à une colère vieille de 17 ans, à un désarroi et à une rage contre le monde entier. Comment ne m’étais-je pas rendu compte ? Les signes étaient pourtant là. J’avais été si aveugle !

La tête calée dans mes jambes, je n’avais pas entendu quelqu’un arriver. Je sanglotais tellement fort que je ne m’aperçus même pas que cette personne s’était installée près de moi. Je sentis juste une main dans mon dos et un souffle chaud dans mes cheveux afro frisés.

- Megan ?

Je reconnus la voix de Pitt Michelson, mon binôme de Sciences Nat, le capitaine de l’équipe de foot, le garçon le plus populaire de l’école qui depuis un mois n’arrêtait pas de me coller, moi la mocheté de service. Je le soupçonnais de m’être redevable à cause de l’heure de colle que je m’étais volontairement prise à sa place pour l’éviter de rater son match contre les Lions de Waverly High School – qui était, soit dit en passant, le match de l’année.

- Hé, Megan ! Continua-t-il en dégageant mon visage.

J’essayais de lui donner des coups pour qu’il puisse me laisser tranquille, sans résultats. Il essaya de me relever la tête.

- Fiche moi la paix ! Hurlais-je d’une voix que je ne reconnus pas.

Il réussit à relever ma tête et à la caler contre son torse. Je me débattis comme une folle avant de battre en retraite. Il était trop fort pour moi. Alors je m’abandonnais, pleurant toutes les larmes de mon corps à forte voix. Je m’en voulais un peu de m’afficher comme ça, mais allez dire ça à mes traitresses de larmes. Pitt me serrait dans ses bras musclés en me caressant le dos et la tête. Je m’agrippais à lui comme si ma vie en dépendait. Et je le détestais pour ça.

- Pourquoi tu ne me laisse pas tranquille ? Parvins-je à dire entre deux sanglots.

- Parce que je ne peux pas. Je ne peux pas, Megan. Je ne peux tout simplement pas.

Sa réponse m’acheva. Je redoublais de larmes et de sanglots. Il ne pouvait tout simplement pas, avait-il dit. Je ne comprenais pas pourquoi. Pourtant ces quelques mots suffirent à me réconforter. Je ne saurai vous dire si c’est parce que j’étais en manque d’affection ou que je voulais à tout prix le croire, mais ce soir-là je cru à sa réponse. Juste ce soir-là.

La semaine suivant ma découverte fut tendue. Surtout à la maison, entre mes parents et moi. Bien entendu, ils ne voulaient me donner aucun détail. Mais je me rappelais que la lettre provenait de la Nouvelle-Orléans en Louisiane. Je fis donc des recherches sur la Louisiane. Je ne savais pas vraiment ce que je cherchais, je fouillais juste.

J’avais revu Pitt à la bibliothèque. Après qu’il m’ait raccompagné ce soir-là sans pourtant m’avoir posé de questions, je l’évitais comme si il était porteur d’un virus mortel. Mais pendant que j’étais occupé à lire, à la bibliothèque, un article sur le carnaval du mardi gras qui se déroulera cette année en Nouvelle-Orléans, il se matérialisa devant moi. Avec un mince sourire, il s’assit en face de moi.

- Megan ! Me salua-t-il.

- Qu’est-ce que tu veux ? Rétorquais-je sans le regarder.

N’écoutant aucune réponse de sa part, je levais les yeux et le vis me regarder, son sourire toujours plaqué à ses lèvres.

- Tu es charmante !

Je retournais à mon article non sans avoir lever les yeux au plafond.

- Alors, qu’est-ce que tu fais de bon ? Je peux t’aider ? Il faut que je fasse quelque chose de mes mains. Ils sont en manque. Cela fait trois jours qu’ils n’ont pas touché un ballon de foot. Je vais finir par devenir fou. Expliqua-t-il un peu trop fort.

A contre cœur, je me penchais pour lui signifier de parler moins fort, car je ne voulais pas me faire éjecter de là à cause de lui.

- Vas voir ailleurs si j’y suis. Et même si je n’y suis pas, profites-en pour te faire foutre !

- Un peu de tenue, mademoiselle !

J’avais parlé un peu trop fort. Joanne, la bibliothécaire, me lança un regard assassin qui me fit pâlir.

- Excusez-nous, Joanne. C’est ma faute, je lui ai provoqué. Ma défendu Pitt en lui proposant son plus beau sourire.

Joanne secoua la tête et continua la lecture de son Arlequin. Je fixais Pitt perplexe. Je ne savais pas qu’il connaissait le nom de la bibliothécaire. Je ne savais pas qu’il connaissait le chemin de la bibliothèque. Je ne savais même pas qu’il savait qu’il y avait une bibliothèque dans le lycée. Tout comme quoi, même les sportifs étaient plein de surprise.

- Alors, on va enfin parler de cette nuit ? Chuchota-t-il en me prenant le journal des mains.

Il me raccompagna peu après chez moi et je lui racontais tout dans sa décapotable. C’est lui qui trouva leur adresse et me proposa de leur envoyer un courrier.

Maintenant que j’avais une réponse, je devais prendre une décision. Et je l’avais déjà prise après ce petit flashback. Mon téléphone sonna.

- Pitt. Répondis-je.

- Megan !

- Oui ?

- Ca y est, j’ai fini. Donc, j’ai deux semaines de repos devant moi. Le prochain match a été reporté pour le mois prochain.

- C’est génial.

- Et comment ? Je vais enfin pouvoir … Megan ? Ça va ?

Je restais silencieuse un instant. Je ne savais pas comment il avait pu deviner que quelque chose n’allait pas. Je me décidais de savoir si je devais le lui dire ou pas. Mais mon traite de cœur choisi à ma place.

- Ils ont répondu, Pitt. C’étaient bien eux, on ne s’était pas trompé.

Je l’entendis inspirer lentement avant de me répondre.

- Alors ? Qu’est-ce qu’on fait ? Me questionna-t-il.

- Rien du tout. J’ai eu des réponses, c’est tout ce que j’attendais. Merci pour tout. Ça ne serait pas arrivé sans toi.

Je le sentis sourire en plissant les yeux comme il avait l’habitude de le faire.

- Je t’en prie !

- Il faut que je te laisse, j’ai une machine à faire. Je suis contente pour toi, c’est vraiment super.

- Je t’appelle ce soir ?

- A ce soir.

Je mettais fin à la conversation et me précipitais dans ma chambre. Je pris mon sac à dos et mis un jean et deux t-shirt à l’intérieur. J’ajoutais aussi ma brosse à dent, mon dentifrice, mon porte-monnaie, deux culottes et quelques élastiques. Je me changeais rapidement, remplaçant mon pantalon de jogging par un short en jean et mon t-shirt Nirvana. Je chaussais ma vieille paire de converse, pris une feuille de papier et écrivis un mot à mes parents que je déposais sur la table basse du salon. La hanse de mon sac à l’épaule, la lettre et le téléphone en main, je sortais de la maison et tombais sur Pitt accoudé à sa décapotable.

- Qu’est-ce que tu fais ici ?

- Et toi, où comptes-tu aller ?

Je le toisais, sentant la colère monter.

- Tu sais très bien où je vais. Tu n’as pas le droit de m’en empêcher, ça ne te concerne pas.

Il avança et instinctivement, je reculais d’un pas.

- Je ne cherche pas à t’en empêcher.

- Alors qu’est-ce que tu fais ici ?

Il me lança un sourire en haussant les épaules.

- Je me suis dit que tu auras besoin d’un chauffeur et d’un guide plutôt mignon.

J’écarquillais les yeux.

- Pas question, tu ne viens pas.

- Ce n’est pas négociable.

- Je ne t’ai rien demandé.

Son expression s’est adoucit.

- Je sais, Megan.

Puis je me rappelais que je ne lui avais pas mentionné mon plan de tout plaquer et d’aller les rencontrer.

- Comment as-tu su ? Je lui demandais.

- Tu n’es pas crédible quand tu mens. Tu es mignonne quand tu mens, mais pas crédible. Ajouta-t-il en me souriant.

- Pitt …

- Oui, je sais. Laisse-moi t’accompagner là-bas, c’est ce que font de vrais amis.

Pitt était imprévisible. Imprévisible et casse-cou. Mais je devais avouer que faire ce voyage seule m’aurait stressé à mort. En plus une voiture à disposition ne serait pas de refus.

- Très bien. Obtempérais-je en m’avançant vers la voiture.

Il se hâta de m’ouvrir la portière et je grimpais dans son bolide. Je déposais mon sac à dos sur la banquette arrière à côté d’un sac de sport que je soupçonnais contenir ses effets personnels pour ce voyage. Il me rejoignit et me détailla longuement.

- Prête ? Me demanda-t-il.

Je pouffais. Qui pouvait être prêt dans ce genre de situation ?

- Pas le moins du monde.

Il me prit la main et la pressa.

- Je suis là.

Je hochais la tête beaucoup plus par politesse que par consentement.

- Et pour tes parents ? Me questionna-t-il.

J’essayais de dénouer nos doigts, mais il raffermi sa prise. J’abandonnais et me contentais de hausser les épaules en me refrognant.

- Ils s’en remettront.

Il me toisa en haussant les sourcils.

- Megan … commença-t-il avant d’être interrompu.

- Non, Pitt. Je dois y aller. C’est ma seule chance de connaitre mon passé, mon histoire.

- Quitte à tout abandonner et partir comme une voleuse ? Ce n’est pas raisonnable, tu le sais.

- Je les ai laissé une note.

Il me regarda comme si j’étais folle.

- Et tu crois que ça suffit ? Tu ne peux pas juste partir comme ça et laisser une simple note espérant être comprise.

- Ce n’est que pour deux jours. Juste le temps de voir où je suis née et si mes géniteurs sont encore dans le coin.

- Et après ? Il se passera quoi ? Tu resteras habiter avec eux et vous formerez la famille parfaite que vous auriez dû être depuis le début ? Ils t’ont abandonné !

Je retirai ma main de force.

- Et c’est pour cela que je veux les rencontrer. Je veux des réponses. Tu ne sais pas ce que ça fait. Il me faut des réponses.

- C’est complètement fou.

- Je ne t’ai rien demandé. Laisse tomber, je vais me débrouiller seule. Ajoutais-je en ouvrant la portière.

Il m’attrapa le bras et se pencha pour refermer la portière.

- Non. Je viens avec toi. Je ne peux pas te laisser partir seule.

- Et ton père ?

- Il est en voyage d’affaire. Il rentre dans cinq jours.

Je soupirai et il passa une main sur ma joue.

- Je suis désolé que tu ais à endurer tout ça.

Je me dégageais puis regardais la banquette arrière où reposaient son sac et le mien.

- Tu étais sûr que j’allais partir. Et que j’allais accepter que tu m’accompagne, d’où ce sac déjà préparé à l’avance. Ce que je ne comprends pas par contre, c’est pourquoi me dissuader de rester ? Si tu savais que rien ne me ferait changer d’avis.

Pitt se gratta la tête et haussa les épaules. J’avais remarqué qu’il affectionnait ce geste.

- Juste pour essayer. D’habitude, c’est toi la responsable. Alors quand tu ne l’es pas, je panique un peu. Mais tu as raison, j’étais sûr que tu partirais. Alors après ce coup de fil, j’ai fait mon sac et suis venu te chercher. Je ne pouvais pas te laisser faire ce voyage seul.

J’eu un pincement au cœur après cette révélation. Je trouvais cela tellement gentil. Personne n’avait jamais été si gentil avec moi, à part Will. Ce garçon m’impressionnait encore plus que le touchdown phénoménal qu’il avait marqué lors de son dernier match. Je lui offris un sourire sincère et il me retourna mon sourire en plissant ses yeux. J’aimais quand il le faisait. Puis il démarra et me fit un clin d’œil.

- Bon aller, c’est parti ! La nouvelle-Orléans, nous voilà !

Merci !

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