Printemps

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Mei ne regardait pas beaucoup à travers la verrière en plongée. Ces petits sauts dans la strate entre les espaces donnaient un spectacle visuel déroutant auquel elle ne s’était jamais habituée.

Les mêmes paysages stellaires se déformaient pour se réorganiser en sphères autour de puits gravitationnels eux-mêmes démultipliés.

Des grappes d’yeux froids aux pupilles arquées.

L’intrastrate se déchira devant son vaisseau, au seul son strident et répétitif de l’alarme que les capteurs déclenchaient dans ces moments-là.

Les courbes affichées sur l’écran de navigation semblaient flotter dans le cockpit, quelque part un peu au-delà de la visière de Mei.

Le voile tridimensionnel s’évapora pour laisser place à une vision plus familière. Le signal sonore s’évanouit en un sifflement plaintif.

De puits rougeoyant surgissaient des volutes glaciales.

Des nébuleuses diaphanes libéraient des orbes d’ombre.

Des vortex noirs perçant le fond du ciel crépitaient dans une brume orangée.

Elle était arrivée, ou presque.

Son regard quitta les étendues cosmiques pour errer sur une image attachée au tableau de bord.

La photographie avait été prise dans l’appartement qu’elle partageait avec Aris et Eneko. Elle était seule à l’image. Un sourire un peu absent éclairait son visage acéré, adoucissait sa mâchoire résolue. Mélancolique, dure, mais heureuse. Aris était absent ce jour-là, pour une séance d’entraînement. Eneko avait tenu l’appareil.

Lorsqu’elle contemplait ce souvenir, c’était aux deux autres qu’elle pensait, même si ses yeux ne voyaient qu’elle, comme un négatif de l’esprit de communauté partagé avec eux. Un amour intense, mais platonique, à part quelques rares fois avec Eneko, en des occasions récréatives plus que des moments de communion.

Ils avaient tout partagé dans cette vie-là, sans retenue, sans arrière-pensées. Les autres élèves de l’Académie les considéraient à part et d’un bloc. Pourtant Aris avait suivi un parcours particulier qui l’avait éloigné de ses deux compagnons. Une lente et irrémédiable transformation destinée à l’adapter aux voyages interstellaires l’avait rendu à la fois plus et moins qu’humain.

Quand la séparation était devenue réelle, qu’Aris n’avait pu continuer à résider avec Mei et Eneko, tout avait changé. La relation entre les deux êtres abandonnés qu’ils étaient devenus ne signifiait plus rien. Finalement, ils étaient partis chacun de leur côté. Mei n’avait plus eu de nouvelles directes d’Eneko. Elle ne pouvait affirmer qu’il avait ressenti la même solitude qu’elle. Profonde. Douloureuse. Glacée.

Ici, ce vide en elle devenait plus supportable. Il s’étendait au cosmos entier au lieu de la dévorer de l’intérieur.

À l’inverse, la vie s’était réduite au fragment d’espace engoncé dans la combinaison de Mei, elle-même suspendue dans un cercueil de métal ballotté par les vents stellaires. Ces deux seules enveloppes la séparaient d’une mer stérile et froide. Pourtant elle ne se sentait pas fragile, elle éprouvait la carapace dure forgée en elle pendant des années, qui l’éloignait de l’instant présent, faisait flotter son regard et ralentir son rythme cardiaque, emprisonnait férocement un vide abyssal qui lui aurait déchiré la poitrine à chaque inspiration. Elle avait connu cette souffrance, mais ne pouvait plus s’en souvenir. Un temps, il lui avait semblé ne pouvoir échapper au poids de perdre tout ce qu’elle aimait. Cette époque était révolue.

***

Un croissant sombre grossissait devant l’appareil de Mei. Plus loin, une sphère lumineuse étouffée par les protections de la verrière dardait ses rayons affaiblis jusque sur son visage. Ses cils papillonnèrent tandis que sa vision s’accommodait avec difficulté. Elle vit les poussières danser dans le cockpit, les petits tourbillons qu’elles formaient près des bouches de recyclage.

Sa nef filant vers le côté sombre de la planète, une obscurité complète envahit son champ de vision, l’étoile ayant rapidement disparu derrière l’horizon. Mei programma l’approche.

Sans se faire d’illusions, elle activa les capteurs à large spectre, dans le cas peu probable où elle détecterait une trace des missions précédentes. Deux tentatives…

Une nef automatique avait d’abord été envoyée, pour installer le relais sans aucune intervention humaine. Il s’agissait de l’option la plus sûre et de loin la plus rentable pour pousser les limites du réseau à une telle distance. Pas d’exploration avancée sans réseau, pas d’exploitation minière possible et encore moins de colonisation.

À des milliers d’années-lumière du dernier avant-poste, Mei avait depuis longtemps quitté le réseau, en fait dès qu’elle avait pénétré dans l’intrastrate. Sur des routes plus habituelles, on retrouvait le réseau dès la sortie.

Mais pas ici.

Une personne seulement l’avait précédée en ce lieu. Et cette personne était Aris. Lorsque le drone avait échoué à installer le relais pour des raisons inconnues, et que les données n’avaient pu être récupérées par d’autres sondes automatiques, le Centre avait envoyé Aris. Avec son corps amélioré et son esprit capable d’improvisation, il représentait une chance de comprendre le phénomène semblant faire obstacle à l’installation.

Pourtant, le Centre n’avait plus eu de nouvelles, même en attendant d’éventuelles téléportations de données pendant des semaines.

La nef avait entamé une descente sans encombre. Aucune vibration perceptible du fait de l’absence d’atmosphère. Mei se demanda comment échouer à placer un relais sur ce rocher stérile, ce sol qui lui semblait stable et dénué d’impacts météoritiques.

À présent la surface s’approchait, et l’étoile du système se dissimulait à nouveau derrière le planétoïde. Le vaisseau de Mei ralentissait dans une nuit d’encre. Elle effectua les dernières corrections aux instruments et toucha la surface presque sans contrecoup.

***

La verrière s’ouvrit. Mei descendit un peu lourdement l’échelle, alluma la lampe frontale de son casque.

Elle éprouva du pied un tapis de poussière grisâtre, amortissant doucement ses premiers pas.

Aussi loin que pouvait porter son regard, le paysage ne présentait aucun relief marqué. Il n’y avait rien que cette terre élastique et légèrement collante. De légers scintillements révélaient peut-être au pinceau de la lampe quelques cristaux de glace.

Mei avait ciblé la zone de déploiement du relais lors de l’atterrissage, mais ne voyait aucune trace d’installation ou d’autres nefs. Le Centre n’avait jamais reçu de signaux retours, ni de la part d’une machine ni de celle d’Aris. Tout semblait perdu corps et biens, s’ils étaient jamais arrivés ici.

Elle éteignit sa lampe. Dans cette nuit complète, sans atmosphère pour diluer l’image, un ciel étranger l’entourait. Des voiles violines s’étendaient d’un horizon à l’autre, piquetés d’étoiles jaunes ou bleutées.

Des constellations qu’elle n’avait jamais contemplées ailleurs, un nouveau morceau d’univers à baliser pour le Centre. Elle était seule pour accomplir cette tâche, sur une planète qui cachait pour l’instant son hostilité. Mais quelque chose avait nécessairement oblitéré, perdu ou empêché les expéditions précédentes.

Mei retourna vers son appareil pour ouvrir la soute. Elle hésita entre le kit de sondage et le relais à installer. Il lui revenait de décider s’il s’agissait d’une mission de sauvetage ou de conquête. Quand elle prenait sur ses épaules le poids de cette responsabilité, sa solitude se transformait partiellement en quelque chose de plus supportable, comme une liberté timide et secrète.

Elle sortit les sondes et commença à les disposer en spirale autour du vaisseau, s’éloignant de plus en plus du seul endroit susceptible de lui offrir un abri. La surface se révélait désespérément nue. Aucun point de repère à portée de vue. Elle alluma l’écran de contrôle et attendit les premières images.

La coupe verticale montra des strates torturées s’entrelaçant en des motifs complexes. Les mêmes lignes se répétaient sur une grande profondeur.

Elle leva les yeux. Le lointain lui semblait plus trouble, comme vu à travers une couche d’air turbulente. Mais il n’y avait pas d’air ici. Peut-être son regard avait-il du mal à oublier le balayage de l’écran. Celui-ci émit une alarme visuelle, une lumière rouge qui se refléta sur son casque.

Des masses avaient été détectées, loin sous la surface. Elle crut d’abord apercevoir les fossiles fantastiques d’animaux élancés, mais elle reconnut assez rapidement les profils d’une nef semblable à la sienne, et d’une autre, un modèle automatique. Mei les identifia malgré la gangue irrégulière qui semblait avoir fusionné avec leur coque.

Non loin, dans les mêmes couches géologiques, ce qui ressemblait aux restes d’un relais.

Pourquoi s’attarder ici... Elle ne nourrissait aucun espoir fou. Quand elle avait vu cette surface aride, elle avait su qu’il n’y aurait pas de sauvetage. Elle voulait satisfaire sa curiosité, obtenir une réponse définitive.

Elle ne savait pas si elle cherchait pour elle ou pour le Centre.

Il se trouvait loin, mais sa bureaucratie exigeait des preuves, des images, des rapports. Pourtant, personne à part Aris n’était jamais parvenu aussi loin du Centre. Elle pouvait tout aussi bien l’oublier. Ici elle était parfaitement autonome, et parfaitement seule.

Mei retourna vers sa nef et y rangea les sondes et leurs enregistrements. Elle s’installa au poste de pilotage.

Elle observa, maintenant avec certitude, que le lointain n’était plus aussi net que lors de son arrivée. Le ciel se confondait avec la terre, par endroits. Lorsqu’elle engagea les propulseurs, le vaisseau vibra, mais ne s’éleva pas. Elle sortit une nouvelle fois pour trouver les patins d’atterrissage emprisonnés dans un enchevêtrement d’épaisses lianes noires émergeant du sol.

Elle tenta de les dégager. La matière, d’aspect végétal, s’avéra extrêmement dure et résistante à plusieurs outils.

Mei reprit son souffle contre le pied de l’appareil. Sa respiration était lourde, et très sonore dans le confinement de son scaphandre. Au loin, une lueur commençait à poindre. Elle voyait cette lumière se réfracter dans une masse gazeuse dansant sur toute la ligne d’horizon. Alors que la brume s’épaississait, le sol semblait disparaître.

Depuis le moment où Mei était sortie de la nef, elle pensait disposer de tout son temps, une éternité peut-être. Rien ni personne n’attendait d’elle quoi que ce soit sur cette lune morte. À présent pourtant, quelque chose de funeste avançait. En concentrant ses efforts sur les vignes poisseuses, elle se demandait si elle ne reproduisait pas les erreurs qui avaient conduit Aris à la mort.

***

Elle sentit le sol ciller. Non pas un séisme, mais une vibration continue, égale, comme si elle avait toujours été là et ne devait jamais s’étouffer ou s’intensifier.

Le sommet d’un orbe brûlant dominait maintenant cet « est » étranger. Les vapeurs s’élevant lentement de la surface troublaient à peine l’intense lueur.

Sous les pieds de Mei, la croûte du sol s’amollit tout en craquant. Elle s’élevait puis s’abaissait légèrement, une lente respiration tellurique. À des centaines de mètres devant ses yeux, ou peut-être à des kilomètres, la surface de la planète se fendait et s’effondrait rapidement. Un abîme avalait le bord du monde, de plus en plus proche.

Le gouffre arriva bien plus rapidement que Mei ne l’avait anticipé. Devant elle et sous elle, dans le chaos de matière, les vignes noires formaient une forêt éparse, libérée de cette poussière soufflée par la vague brûlante.

Tout se désagrégeait, des scories s’envolaient. Des bulles de gaz explosaient en silence. Et alors que la pression d’une nouvelle atmosphère s’établissait, des liquides commençaient à ruisseler ou s’agglutinaient en flaques. Le substrat géologique stable n’était plus directement au niveau des pieds de Mei, mais bien plus en profondeur. Elle vit les eaux à peine formées s’infiltrer avant qu’elle-même ne sombre. Elle descendit avec lenteur d’abord, puis chuta réellement à travers la surface qui perdait sa substance. Des vapeurs vertes et violettes emplissaient peu à peu le ciel tandis qu’elle tombait avec des fragments gris et des rivières fielleuses. Elle culbutait dans un ralenti, un spectacle kaléidoscopique brûlant et coloré.

Lorsqu’elle avait vu cette forêt, elle avait eu le réflexe de s’assurer à sa nef, en espérant que la vigne noire supporterait le vaisseau.

Elle laissait tout de même sa ligne de vie se dérouler, et sombrait dans un milieu intermédiaire, ni ciel ni terre, seulement un océan fragmenté hésitant entre les trois états de la matière. Un plasma épais qui semblait s’enflammer alors que le soleil s’élevait.

La chute était lente puis rapide, des gouttes de sueur dansaient dans son casque. Son souffle était saccadé. Elle ferma les yeux.

Mei finit par atteindre une nouvelle surface, se rétablit et regarda autour d’elle.

L’atmosphère était bleutée, ou légèrement verte. Les racines des vignes, épaisses, noires, formaient des réseaux intriqués. Dans les cimes, des vrilles fines saluaient l’étoile qui occupait une grande partie du ciel, dans une lumière à la fois douce et écrasante.

Des particules étincelantes flottaient dans l’air. Des courants verts, presque liquides, s’insinuaient entre les branches.

Des sons commençaient à lui parvenir, lointains d’abord puis de plus en plus précis. Cliquetis, bruissements et sifflements. La forêt était maintenant dense, humide, vivante.

Mei avança de quelques pas dans les mousses bleues qui envahissaient le sol. Elle leva les yeux vers sa nef, suspendue au-dessus d’elle, supportée par la canopée.

Elle perçut un craquement quelque part devant elle, et saisit un mouvement derrière des branches nues.

Dans le brouillard vibrant, quelque chose ou quelqu’un se dépliait. Elle reconnut immédiatement Aris.

Il s’ouvrait comme une fleur, se redressait avec des mouvements lents et fragiles, tel un insecte frêle émergeant de la rosée. Son allure élancée était peut-être due au programme de transformation pour l’adaptation spatiale, mais nombre de ses traits physiques trahissaient des changements plus radicaux, une symbiose avec cet environnement vivant.

Sa carapace noueuse, marbrée d’or, lui prêtait la texture d’un phasme fantastique. Son visage paraissait couvert par deux feuilles durcies, se joignant sur la ligne de symétrie verticale. Ses yeux immenses, très en amande, étaient totalement noirs.

La bouche de la créature se déforma et des paroles étouffées par le casque de Mei en surgirent.

«...este… ci »

Mei s’approcha d’un pas, Aris recula immédiatement.

«...este… ci »

Elle avança encore, mais la ligne de vie se tendit.

« Reste ici. » Il désigna de la main une jointure du scaphandre de Mei. Elle baissa les yeux et vit une épine qui émergeait de sa combinaison. Mei n’avait pas ressenti la différence de pression, avec la formation progressive de l’atmosphère.

D’un mouvement vif, avec une détente rapide, Aris s’élança et son bras sec et tranchant coupa la ligne de vie. Le câble claqua, Mei fut projetée à terre.

Elle tenta de se relever, mais il pesait déjà sur elle. « Pourquoi ? » rugit Mei. Il la maintenait immobile avec une facilité déconcertante. « … reste… Il n’y a personne vers qui revenir. Je suis là. Reste. »

Elle cessa de se débattre et reprit son souffle. Elle faisait maintenant imperceptiblement glisser son corps dans son scaphandre. Il ne bougeait pas. Millimètre par millimètre, les membres de Mei se soustrayaient à l’emprise d’Aris, laissant la combinaison vide sous ses pinces.

« Je vais revenir vers tout le monde. » Ses doigts se frayèrent dans la déchirure, autour de l’épine bleue. Elle ouvrit le scaphandre en écartant les bras brutalement. Elle roula sur le côté et entama l’ascension de l’arbre quasiment dans le même mouvement.

Elle ne risqua un coup d’œil vers le bas qu’après deux mètres franchis. Elle fut surprise de constater qu’il n’avait pas cherché à la suivre. Mais à observer le nouveau corps d’Aris, celui-ci ne semblait pas très apte à l’escalade. Mei ne le quitta pas du regard alors qu’elle s’assurait avec la ligne de vie sectionnée.

L’énorme soleil fuyait. Elle savait qu’elle n’avait plus beaucoup de temps. Il la fixait silencieusement pendant qu’elle le dévisageait une dernière fois.

***

Le soleil avait presque disparu au loin et la température extérieure chutait rapidement.

La nef de Mei décolla. Les vignes s’étaient dégagées facilement maintenant que la gangue du sol s’était évaporée.

Elle poussa machinalement les boutons, démarrant les programmes qui la guideraient vers l’intrastrate.

Le voyage serait inconfortable sans la combinaison. D’ailleurs, le cockpit paraissait étranger à Mei. Sa respiration ne cessait de la distraire, comme si elle était différente d’avant. Le bout de ses doigts picotait au contact des commandes. L’intérieur de sa propre bouche lui semblait amer.

Derrière elle, le site de contact passait dans l’ombre. Loin du terminateur, dans une nuit glaciale, la forêt se figeait sous des blocs bleu gris qui reflétaient une bioluminescence intermittente.

La cristallisation s’étendait et recouvrait la surface dans un réseau fractal se comblant peu à peu. Des unités fines poussaient au creux des unités grossières. Les chaînes continues se terminaient lorsque les plus petites extensions se rencontraient enfin. Il ne restait alors qu’un nouveau sol, nu et plat.

L’alarme siffla, les indicateurs entrèrent en zone rouge, et la nef plongea dans l’intrastrate avec un grincement. Le cosmos se liquéfia au-delà de la verrière, un geyser d’étoiles bouillonnant de la poupe à la proue.

Le signal sonore se tut. Les voyants repassèrent au vert. Un silence froid et profond s’imposa. Mei n’entendait plus que les battements de son cœur. Elle sombra dans le sommeil comme une enfant, sans s’en rendre compte, à l’époque où elle confondait ces battements avec les pas de géants qui parcouraient la terre, au loin.

***

Le directeur des opérations lorgnait la nef de Mei avec désapprobation. Comme si quelqu’un, peut-être la pilote elle-même, pouvait être désigné coupable de l’état de la machine.

L’intégrité du vaisseau ne paraissait pourtant pas atteinte. Mais il y avait cette fine pellicule irisée qui recouvrait la carlingue comme une seconde peau. Ou bien était-ce un effet de la lumière fantasque d’Axion qui jouait avec la condensation ?

Tout cela s’épandait en flaques huileuses qui s’évaporaient très vite.

Dans le doute il avait interdit quiconque de s’en approcher. La verrière avait été ouverte par des robots de débarquement. Ils avaient ramené le corps de Mei, inconsciente, dans le sas de décontamination.

Les médecins ensuite étaient entrés, l’avaient rapidement examinée, vêtue puis transportée en observation. L’équipe avait attendu la fin du syndrome de rupture.

Elle était rapidement revenue à elle, mais restait, comme attendu, murée dans le silence et la stupeur du syndrome.

Le directeur avait contenu son impatience et s’était retenu d’entrer en contact avec elle. L’interrogatoire était réservé à l’intelligence du Centre. Bien sûr, le directeur suivrait tout cela en direct, à distance.

***

Mei était consciente depuis seulement quelques heures quand elle entra dans la salle de débriefing.

Une salle nue, clinique. Une chaise. Un écran intégré au mur, des haut-parleurs dissimulés. Une voix claire et chantante, celle de l’Intelligence du Centre, résonna dans la pièce.

« Nous avons pris connaissance de votre rapport préliminaire. Certains points doivent être éclaircis. Êtes-vous prête à répondre à nos questions ? »

Mei restait debout. Elle soupira et regarda un lointain qui n’existait pas, comme si elle pouvait contempler un horizon imaginaire au-delà du mur. Elle s’éclaircit la gorge. « Oui. »

« Quel protocole avez-vous appliqué pour la recherche de traces des missions précédentes ? »

Elle s’entendit répondre de manière précise, détaillée, sans même réfléchir.

Sa tunique irritait sa peau. Dans l’air propre et piquant, ses avant-bras nus la démangeaient. Ses yeux s’embuaient… Et cette poussière…

« Avez-vous collecté des échantillons organiques ? »

« Vous devriez faire évacuer le Centre, déclara Mei. »

« Vous dites avoir retrouvé un de nos agents, vivant, mais changé… Quelle procédure avez-vous suivie pour établir le contact ? »

« Ça n’a plus d’importance, écoutez-moi. Faites évacuer la résidence des pilotes. »

Mei se tenait dans une nuée dorée, fleurissant en volutes vers les bouches de ventilation.

« Que faites-vous ? »

« Ce n’est pas vraiment moi… Je rends ce qui a été pris. Vous devriez vous préparer, la Frontière va avancer un peu… »

« Vous agissez contre vos engagements envers le Centre… »

Mei n’entendait plus les questions, elle écoutait les pas de géants qui étaient en fait les battements de son cœur.

Elle suivait des rivières de sang qui étaient en fait la sève de ses ronces.

Elle sentait fleurir son vide intérieur qui était en fait un jardin. Rien que des éléments extérieurs pouvaient combler, mais bien une partie d’elle-même qu’elle avait appris à cultiver.

« Vous nous laissez seuls… »

Si loin et tout près, elle percevait les ronronnements des ventilations.

Si loin et tout près, les murmures incrédules ou les cris affolés des résidents pris dans leur sommeil.

Si loin et tout près, dans son océan végétal, sa solitude qui avait poussé comme une forêt vorace.

Sa carapace devenait une écorce réelle. Mais elle touchait tous les autres, dans une étroite connexion.

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