3 - Samuel
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Samuel
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Adossé au mur derrière ma tête de lit, je tourne distraitement une page de bande dessinée, les yeux déjà lourds de sommeil. L'entraînement de cross-fit de ce soir m'a littéralement cassé en deux. J'ai craché mes poumons comme rarement ça a été le cas, me suis presque écroulé en tombant de la barre fixe, ai descendu quatre bouteilles d'eau en une seule heure.
Je suis exténué. Mes bras tremblent toujours de l'effort surhumain que j'ai du fournir pour ne pas craquer au milieu de notre séance. Rafaël et Damian ont plus assurés que moi : l'un semblait prendre ça pour une balade de santé, tandis que l'autre de part sa petite taille et son poids plume, n'a eu aucun mal à se soutenir aux barres, et à faire ces exercices atroces que demandait le coach.
Je soupire, attrape ma bouteille d'eau, en bois une gorgée, la repose lorsque je vois ma porte de chambre s'ouvrir du coin de l’œil. Doucement, discrète, elle s'ouvre en un souffle et se referme presque aussitôt derrière l'ombre qui s'y adosse.
Quand on parle du loup.
Un sourire étire mes lèvres tandis que je soulève ma couette, et que l'ombre se glisse jusqu'à moi, avant de venir se nicher entre mes jambes, la tête contre mon torse.
Je sens son souffle chaud, même à travers le tissu de mon haut de pyjama.
— Tu sais qu'il est vingt-trois heures... ?
— … oui.
Sa voix est ensommeillée. Il devait dormir avant de subitement décidé de migrer jusqu'ici.
Ma main trouve instinctivement sa place dans ses épais cheveux sombres, alors qu'il gigote pour trouver une meilleure place contre moi.
— Sam ?
— Oui mi amor ?
— … je suis désolé pour avant-hier midi. Tu avais raison c'était de... j'étais un peu... jaloux.
Je manque rire, me rattrape de justesse : c'est rare qu'il s'excuse, alors si je commence à lui rire au nez, ça risque de compliquer les choses.
Son souffle s'est légèrement accéléré contre mon cou, mais rien d'affolant. Il est nerveux voilà tout.
— Dami, c'est pas grave. Et puis tu avais pas tout à fait tort : c'est toi à qui ce type a fait du rentre-dedans.
— Si ça peut te rassurer, il m'attire pas du tout.
Je ris doucement, dépose un baiser sur le haut de son crâne, avant de me tordre pour poser mon comics sur ma table de nuit, et éteindre ma lampe de chevet.
— Étonnant, je murmure en le serrant plus fort contre moi. Il est plutôt pas mal pourtant.
— Quand on aime le genre ''insipide'' et ''banal'', ouais, il est pas mal.
— Sois pas mauvais comme ça, je susurre contre sa peau.
Il se retourne vers moi, et vient coller son front au mien.
— Moi y'a qu'une personne que je trouve attirante...
— C'est trop mignon mi amor.
— … c'est Isak. Mais vu qu'il est pas là, je me contenterai de toi.
Offusqué, je lui donne un coup dans les côtes, m'attire un rire entrecoupé de plaintes. Son souffle contre ma peau s'accélère au rythme de ses gloussements, me fait frissonner.
Dans le couloir, j'entends une porte s'ouvrir, des pas brusques se rapprocher de notre porte.
— Première et dernière fois que je me lève, siffle mon frère à travers le panneau de bois. Sinon c'est retour chacun dans votre chambre, c'est clair ?
Damian rit encore un peu, avant d'enfouir son visage sous la couette, tandis que je grogne une réponse à peu près cohérente à mon Rafaël.
Nous attendons que ses pas s'éloignent et alors seulement mon petit ami se calme pour se coucher plus confortablement dans mon étreinte. Son nez dans mon cou, je m'oblige à calmer les battements de mon cœur qui augmentent de seconde en seconde, et le câline avant de fermer les yeux.
— Je rigolais hein, souffle t-il.
— Je sais. Faut dormir maintenant.
— Te amo.
— Mi tambien.
…
Ce qu'il y a de bien dans le fait d'être dans la même classe que Damian, c'est que nous partageons le même emploi du temps. Même horaires, mêmes pauses, ce qui permet une optimisation considérable de nos déplacements. Le vendredi matin par exemple, nous ne commençons qu'à onze heures, ce qui nous permet a plupart du temps de faire la grasse matinée, ou bien lorsque mon petit ami est motivé, d'aller faire du sport sur le bord du Rhône. J'adore profiter de la ville presque silencieuse aux premières heures du jour, de la fraîcheur des quais, de l'entrain des autres sportifs que nous croisons. Les structures sportives ont spécialement été aménagées pour ce qu'on appelle le ''street workout''. Avec le crossfit, c'est ma pratique favorite.
Ce matin, ça a cependant été un tout autre programme. Pas de sport, et encore moins de minutes grappillées sur notre heure de réveil habituelle. Depuis l'annonce du petit soleil à venir du côté de Jay et Fiona, je suis euphorique. Je m'interroge ur tout, du sexe au prénom, en passant par tous les cadeaux abominables pour les parents que j'offrirai au futur bébé : piscine à balles, guitare électrique d'éveil, instruments de percussion, pistolet à balles en mousse... que d'idées ! Ce n'est pas l'envie qui me manque de courir acheter tous ces formidables jouets, mais je me connais : si je commence à craquer dès maintenant, lors de l'arrivée du bébé, je serai propriétaire d'un semi-remorque rempli à craquer de babioles en tous genres.
Alors je me restreins. Cependant, se restreindre ne veut pas forcément dire ne pas continuer ma liste d'idées.
C'est pourquoi ce matin, j'ai tiré Damian du sommeil sur les coups de sept heures, sous ses grognements irrités au possible, pour ensuite me rendre au plus grand magasin de jouets de notre arrondissement. Deux étages immenses et aux odeurs persistantes d'un mois de décembre qui vient de se finir. Dans ce genre d'endroits, je suis euphorique : j'ai envie de tout toucher, de tout essayer, de tout acheter. Damian est plus... réservé, voir blasé, surtout face aux regards condescendants des vendeuses.
Après une bonne heure à faire trois fois le tour des lieux, j'ai pris quelques références dans mon carnet réservé à mon futur petit filleul, sous le regard plus que dépité de mon petit ami.
Nassim claque des doigts devant mon visage pour me ramener à moi, tandis que je rêvasse, les yeux dans le vide. Au tableau, madame Leclaire s'agite, tente de capter notre attention pour aborder le sujet si passionnant qu'est ''La figure de l'héroïne dramatique'' dans la littérature actuelle.
J'ai la tête ailleurs, et c'est bientôt l'heure de manger, alors je n'ai que peu d'intérêt pour son cours.
— Nassim, arrête donc de bousculer Samuel. Je suis sûr qu'il a très bien compris ce que je viens de dire.
Par pitié, non. Je balaye le tableau d'un regard affolé, cherche désespérément de quoi madame Leclaire vient de parler exactement lorsque, sauvé par le gong, on toque à la porte de la salle.
Un soupir à peine retenu s'échappe de mes lèvres.
— Entrez, marmonne notre professeure en roulant des yeux.
Damian m'adresse un pouce en l'air, deux rangs devant moi.
Un des nombreux surveillants du lycée apparaît, et balaye la salle de classe avant de s'arrêter sur moi et de secouer un petit coupon dans sa main droite.
— Samuel Portgas, tu es attendu à la vie scolaire. Prends tes affaires, tu ne reviendras pas en cours après.
Nassim m'interroge d'un regard étonné. Je le suis autant que lui, c'est pourquoi je ramasse mes affaires sans mots dire, intrigué.je n'ai pourtant aucun retard à faire réguler, aucune absence, et aux dernières nouvelles Rafaël a payé la cantine.
Je traverse la salle en serrant mon sac contre moi, croise le regard inquiet de Damian : d'expérience, il ne doit pas voir d'un très bon œil que je me fasse ainsi convoquer sans raison apparente.
Madame Leclaire me souhaite une bonne fin de journée et un bon week-end, avant que je ne quitte la salle, la tête enfoncée entre les épaules.
— Pourquoi je suis convoqué ?
— Je sais pas trop, une histoire de rendez-vous ou je ne sais pas quoi. La CPE ne nous donne jamais les motifs des convocations.
Il se passe une main dans les cheveux de façon mélodramatique, tandis que je suis de plus en plus stressé. La CPE ? Mais pourquoi ? Je n'ai eu aucun ''dérapage'', n'ai pas eu de mauvaises notes.
Je comprends rien.
Mon portable vibre dans ma poche :
« Tu me tiens au courant de ce qui t'arrive si jamais ils te renvoient ou un truc du genre XD » - Damian.
« Hilarant, petit con » - Samuel.
Un sourire étire le coin de mes lèvres, tandis que je passe la porte en verre de la vie scolaire. La porte de notre CPE est ouverte, et des voix s'en élèvent, atténuées par la distance qui nous sépare.
— Vas-y, me lance le surveillant en me désignant la porte.
D'un pas peu assuré, je rejoins le panneau de bois, frappe trois coups contre celui-i, avant de faire un pas en avant. Un instant, je reste figé dans l'encadrement de la porte, les yeux écarquillés.
…. c'est pas possible.
— Bonjour Samuel.
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