9 - Samuel

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Samuel

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   Les doigts graisseux, j'attrape une énième frite dans mon paquet, l'avale presque d'une traite. Je suis tellement stressé, si crispé, que j'en oublie presque de mâcher. La psychologie de comptoir de Rafaël voudrait que je pâlie mes angoisses par la bouffe et pour une fois, je serais d'accord avec lui. Depuis que nous sommes rentrés de la simulation de vol, je tourne et retourne le problème dans ma tête, à savoir comment larguer la bombe « Nouvelle-Zélande » sur Damian et les jumeaux et, c'est le vide. Rien, je sèche, ma tête est complètement vide.

Nous n'avons pas convenu de moment, d'heure propice, de signal pour me lancer, si je parviens à me lancer. Je ne sais pas si, en cas de coup dur, Rafaël et Ariana parviendront à me sortir la tête de l'eau, comment les principaux protagonistes de la scène vont appréhender la nouvelle. Mal, ça c'est une certitude mais chez les Cortez, il existe plusieurs façon de traiter le mal, de manière plus ou moins destructrice. Sous la table je croise les doigts, inspire, expire lentement.

Danny me fixe, de l'autre côté de la table. Ses yeux verts, plus sombres que ceux de Damian, suivent chacun de mes faits et gestes analysent mon visage avec attention.

Lui, a compris.

Sans me lâcher du regard, il porte son verre d'oasis à ses lèvres, en boit une gorgée, se racle la gorge :

— C'est quoi le problème ?

Ariana sursaute au ton sec de son frère, le vrille d'un drôle d'air avant de revenir à moi, les dents serrées.

— Quoi ? s'enquit Rafaël.

— Y'a un truc qui cloche. Depuis que t'as été chercher notre commande, toi et Ari avez presque pas décrocher un mot et Samuel est... super bizarre. Alors, c'est quoi le souci ?

C'est comme si un courant d'air glacé traverse la pièce. Chacun notre tour, nous nous figeons, jaugeons notre voisin, mal à l'aise. Danny lui, mordant, ne se détend pas du tout à nos airs déconfits renchérit :

— Vous avez perdu votre langue ?

— Danny s'il te plaît, baisse d'un ton.

— Ce qui est bien avec cette famille c'est qu'à force de nous retrouver face aux mauvaises nouvelles, on sait un peu comment chacun fonctionne. Et là en l'occurrence ça pue.

Pour illustrer son propos, il se pince le nez entre le pouce et l'index, fronce les sourcils.

Ariana soupire, croise ses doigts sous son menton. À côté de moi, Damian effleure mon bras de ses doigts bouillants, cherche mon regard, que je maintiens hors de porté. S'il capte tout ce qui doit être en train de se jouer dans mes yeux, c'est fini.

Le silence qui règne autour de la table est insupportable. Je sais que c'est à mon tour de prendre la parole, de donner le change mais, sèche, ma gorge refuse de produire el moindre son.

Pourquoi ai-je si peur de le dire ? Ce n'est qu'un mois après tout, ce n'est pas la fin du monde...

… non. C'est un mois pour Ariana, Rafaël et moi. Pour Damian et les jumeaux, c'est un départ, sans date de retour prévu, un départ contraint, je suis censé être la victime de cette affaire, celui qu'on arrache à sa famille.

Pas celui qui la quitte de son plein gré.

— Je..., je commence, tremblant.

— C'est ta mère c'est ça ?

La voix de mon petit ami claque comme un fouet. Il n'y a rien de bienveillant dans son ton, seulement une colère glaciale qui me rappelle amèrement nos débuts, lorsque cette façade glacée était la seule à laquelle j'avais droit venant de lui. Et, je sais bien que sa colère, ce n'est pas vers moi qu'elle est dirigée mais, le résultat est le même. Mon estomac se contracte, ma gorge se ferme, ma bouche aussi.

— Damian on se détend, ordonne Ariana.

— C'est sa mère oui ou non ? Raf ?

Danny porte sur son visage l'évidence de la situation, tandis que Mikky, visiblement troublé par la montée en pression très rapide de son frère, s'est tassé dans sa chaise.

— … je vais...

— Sam, hé...

Avec un temps de latence, il semble comprendre que peut-être, son ton était légèrement démesuré, attrape ma main, la serre au creux des siennes.

— Dis-moi... Dis-nous ce qui se passe ?

— … elle a gagné, je lâche finalement, un sanglot dans la voix.

Et je ne joues même pas la comédie. Car je réalise, je me heurte enfin au fait que je vais partir. Prendre l'avion, faire un trajet de treize heures, me retrouver à des centaines de milliers de kilomètres de mon frère, de Ari et les jumeaux...

… de lui.

Et pour la première fois depuis vendredi dernier, je me sens faiblir, aspiré dans un vaste trou noir ou n'existe plus que ma mère, et moi, loin de tout, seuls.

Rafaël tique, avise Ariana, qui ne semble pas plus avancée que lui.

Damian quant à lui, s'est légèrement reculé, blême. Je n'ai en soi, même pas à préciser la nature de sa victoire, il a d'ores et déjà compris.

— Raf ?

Il se tourne vers mon frère, comme si ce dernier pouvait, dans un éclat de rire et un sourire immense lui annoncer que je rigole, que ma mère repart bel et bien en Nouvelle-Zélande, mais seule.

Ce n'est pas le cas. Il hoche lourdement la tête, ferme les yeux, s'attire un air horrifié de la part de Damian, puis de Mikky.

— Quoi ? s'alarme le plus jeune, les yeux écarquillés. Ça veut dire quoi ça ?

— Les garçons écoutez, il faut que vous sachiez que nous avons réussi à trouver un arrangement avec la maman de Samuel. Il va... hum, il va repartir avec elle oui, mais il pourra revenir chez nous pour les vacances. Nous n'avions pas d'autre options...

— Bien sûr que si !

C'est la voix de Danny qui tonne, surpasse les autres. Désormais debout, les mains à plat sur la table, il vrille Ariana d'un regard noir, transpirant d'amertume.

— Il y a toujours une solution ! Vous avez pas le droit de la laisser nous prendre Sam !

— Danny a raison, rajoute Mikky, les yeux brillants de larmes : elle a pas le droit ! C'est du vol d'enfant, c'est toi son tuteur Rafaël, pas elle !

Les jumeaux sont explosifs, l'un et l'autre se renvoient la balle, avancent un à un les arguments en défaveur de mon départ mais, ce qui m'inquiète encore plus, c'est le silence de Damian, à côté de moi. Il est muet, les lèvres nouées, les yeux perdus dans le vide.

— Elle a de quoi nous traîner devant le tribunal, et gagner, contre Rafaël. On s'est arrangés avec elle pour que ce cas de figure n'arrive pas justement. Si elle récupère la garde, la garde complète, il n'y aura même pas de vacances envisageables ici. Lorsqu'on vous dit que c'était la seule solution, il faut nous croire !

Sa voix tonne, gronde comme un coup de tonnerre. Si Mikky semble se démonter, Danny lui repart de plus bel, explique à mon frère avec une maturité plus qu'impressionnante pour un enfant de son âge qu'un parent toxique, reste toxique.

Ariana semble aussi perturbée que moi par le silence de son frère. Elle le couvre d'un regard, sans mot dire, avance sa main pour lui toucher l'épaule. Il ne se dérobe pas, reste juste là, figé.

— Damian ça va ?

La question de Rafaël nous devance, Ariana et moi. Les jumeaux se sont tus, fixent désormais leur frère avec de grands yeux inquiets.

— Damian ?

Lentement, il tourne la tête vers moi, me dévisage comme si nous ne nous connaissions pas, avant de murmurer un « Depuis quand » à peine audible.

— … quoi ?

— Depuis quand t'étais au courant ?

Il n'y a aucune émotion dans sa voix, c'est vide, creux et ça me trouble encore plus que s'il avait hurlé, pleuré, ou fait n'importe quoi d'autre qui aurait pu trahir son état.

La réponse à sa question, il l'a déjà, alors pourquoi... ?

— Samedi, je réponds.

Il acquiesce, se penche en avant pour me serrer contre lui, dépose un long baiser contre ma tempe, avant de se lever. Sans rien ajouter, il quitte la pièce à vivre, remonte le couloir, rentre dans sa chambre et, dans un cliquetis alarmant, verrouille la porte.

— Dam, rouvre cette porte, s'exclame Ariana.

Elle se lève à peine qu'un vacarme retentit de l'autre côté du panneau de bois.

Comme si, tout ce qui se trouvait sur ses étagères venait de voler à travers la pièce.

Ariana et les jumeaux s'élancent dans le couloir et moi, je reste assis là, le souffle court, les yeux gorgés de larmes. Rafaël me rejoint, pose une main sur mon épaule pour attirer mon attention.

— On est des monstres, je murmure.

— Il comprendra, lorsque tout ça...

La porte de Damian se rouvre brutalement. Il en émerge, rouge de colère.

— Faut la plomber, gronde t-il avec fureur. On sait ce que c'est les parents comme ça : ils servent à rien, c'est de vrais déchets ! Alors, autant débarrasser le monde d'un énième nuisible.

— Non mais ça va pas ?

L'exclamation horrifiée de Ariana met en lumière les mots, les paroles tout à fait indécentes de mon petit ami. Il transpire la rage, nous rejoint Rafaël et moi d'un pas lourd, les poings crispés le long de son torse.

— Vous allez me dire qu'on a réussi à s'en tirer alors que Sam et toi étiez condamnés et que , on abdique face à cette grosse pute ?!

— Damian lang...

— Tais-toi Rafaël, tais-toi sans déconner !

Il le pointe d'un doigt tremblant, les sourcils arqués à leur paroxysme.

En à peine trois minutes, il est passé du vide à la fureur, du rien à l'excès, c'est assez ahurissant. Moi, droit comme un piquet sur ma chaise, je ne sais ni quoi dire, ni comment réagir pour calmer le jeu.

— Tu vas la laisser emmener ton frère ? Tu vas la laisser nous le prendre ?

— On a pas le choix, t'es assez grand pour comprendre non ?

— On a toujours le choix ! Le choix de la laisser gagner, et le choix de changer les règles du jeux pour s'assurer la victoire. Mais toi, et Ari, vous avez fait quoi pour la contrer ? Hein ?

Je vois Rafaël monter en pression de seconde en seconde. Pas qu'il soit fondamentalement en colère contre Damian, mais plutôt contre le fait qu'à tout moment, si les bons mots ne sont pas utilisés la supercherie pourrait tomber à l'eau. Et si c'est le cas, pour le coup, je serai vraiment condamner à rentrer avec elle, et pour de bon.

— Arrête de crier, ordonne Ariana.

— Et vous arrêtez de nous prendre pour des cons ! Elle a quoi contre nous ? Contre toi ?!

Du doigt, il appuie sur le torse de mon frère, attire son attention en se rapprochant inexorablement de son point de rupture.

— Elle a tout, siffle t-il. Elle a Soledo, elle a la fusillade chez Duke, elle a ton enlèvement, elle a le coup de feu qui a tué Donni, elle a notre fuite du territoire... elle a tout.

Tout à coup, la colère semble s'atténuer. Damian ouvre la bouche, la referme, fait un pas en arrière, me coule un regard vide, avant de me rejoindre en tremblant. Rapide, je me redresse pour l'attraper, le serrer contre moi, le contenir alors que l'ascenseur émotionnel le fait passer des cris aux larmes en quelques secondes.

Ariana et les jumeaux, en retrait, sont totalement démunis. Elle cherche Rafaël du regard, tient entre ses mains celles des jumeaux, hésite à nous rejoindre.

À quoi s'attendaient-ils, sérieusement ?

À ce qu'il saute de joie ? À ce qu'il réagisse bien ? Quelle belle connerie, bien sûr que ça ne pouvait pas bien se passer.

J'ai envie de tout annuler, de tout balancer, d'aller pousser ma mère dans le Rhône, qu'elle emporte ses secrets et ses chantages au fond de l'eau.

Mais je ne peux pas non. Tout ce que je peux faire, c'est rester là, tenir mon petit ami contre moi, lui murmurer que tout ira bien, que la distance n'est qu'un détail, que rien ne changera.

Avec le temps, j'appréhende de mieux en mieux l'art subtil du mensonge.

Et ça me dégoûte.

   Ce soir, peu importe toute la bonne volonté que j'essaye de mettre dans ma recherche infructueuse du sommeil, rien n'y fait. Les yeux grands ouverts, je fixe le plafond de la chambre sur lequel se reflètent les phares orangés des voitures qui percent à travers ma fenêtre. Quelques klaxons, quelques bribes de voix, qui me tiennent éveillé, me supportent dans mon insomnie.

De toute façon, mieux vaut ne pas me voiler la face trop longtemps : je ne dormirai pas ce soir, et c'est tout. Comment le pourrais-je, après la catastrophe qu'a été l'annonce de mon départ ? Comment puis-je seulement songer à dormir alors qu'au bout du couloir, Damian doit sûrement être dans un état pire que le mien, et par ma faute ?

Rafaël, Ariana et moi, c'est nous les méchants de l'histoire. Les méchants, les idiots, les inconséquents, il y aurait bien toute une liste d'adjectifs négatifs pour nous qualifier, je n'ai juste pas la force de tous les énoncer ce soir.

D'un soupir, je me redresse, attrape mon portable et considère l'heure un long moment. Trois heures passées, et mon réveil est censé sonner dans moins de quatre heures.

Je me passe une main sur le visage, désengourdis mes muscles, avant de me lever, pour quitter la chambre sur la pointe des pieds. La porte de Damian est entrouverte, je la vois d'ici.

Furtif, tel une ombre, je m'avance jusqu'à sa chambre, m'y introduis sans frapper, et constate avec un mouvement de stupeur que la pièce est vide. Personne dans le lit, au bureau, ou même assis par terre.

— Dam..., je murmure pour moi-même en roulant des yeux.

Je sais où il est.

Demi-tour, je retourne dans ma chambre enfiler un sweat et une paire de baskets, attrape mon portable que j'enfonce dans ma poche, et avant de partir, jette un plaid sur mon épaule.

J'espère sincèrement ne réveiller personne en faisant mon petit bout de chemin jusqu'au salon. La porte de la chambre de mon frère est fermée, ainsi que celle des jumeaux, ils ne sont donc pas censés entendre le murmure discret de mes semelles sur le parquet.

Comme je m'y attendais, l'une des fenêtres du salon, la plus à droite, est ouverte, bien que tirée pour feindre l'inverse. De gauche à droite,ma tête se secoue avec tout le désappointement que j'ai pour cette solution de secours que s'obstine à adopter mon petit ami lorsque ça ne va pas.

Avec la mollesse de ma journée mouvementée, j'enjambe le rebord de la fenêtre, me retiens au mur de l'immeuble adjacent, avant de me hisser sur un rebord de fenêtre qui, une fois passé, me permet d'accéder aisément au toit de notre immeuble.

Il gèle dehors, mes mouvements sont saccadés et les murs glissants. Un jour, nous tomberons en tentant de rejoindre ce fichu toit et c'est sept étages plus bas que nos voisins nous retrouverons, la cervelle répandue sur le trottoir.

Un gémissement plaintif échappe de mes lèvres tandis que je manque perdre mon plaid à la suite d'une bourrasque de vent. Le ciel est dégagé, et percent quelques étoiles à travers la couche de pollution. Une fois en sécurité sur le toit, je balaye l'endroit d'un regard circulaire, repaire la forme minuscule et tassée de Damian, à l'abri du vent derrière un conduit d'aération.

Sans le héler, je le rejoins, le drape du plaid que j'ai emmené avec moi, avant de m'asseoir à côté de lui, pour constater ses mains aux doigts entremêlés, glacées.

À côté de lui, un tas de mégots me fait de l’œil. Il y en a au moins cinq, et la plupart fument encore.

— Tu sais qu'il fait genre... un degrés ?

Il ne daigne même pas tourner la tête vers moi, préfère expirer une panache de fumée qui s'élève dans l'air glacial, tourbillonne, puis s'évapore.

— Tu devrais dormir, finit-il par murmurer.

— Et toi ?

— J'ai pas sommeil.

— Comme si moi j'allais avoir envie de dormir, Dam sérieux.

De ma main, j'écarte ses doigts, délie ses mains pour les serrer entre les miennes. Ils tremblent, sûrement de froid mais je préfère être prudent et prévenir de toute nouvelle crise de larmes alors, de ma main libre, j'attrape sa tête pour venir la caler contre mon épaule.

— T'es là depuis... ?

— Une demie-heure je dirais.

J'acquiesce, me fais silencieusement la réflexion qu'il a dû enchaîner clope sur clope pour arriver à cet honorable score de bientôt six mégots en trente minutes. Je ne l'en blâmerai pas, je 'en ai pas le droit, pas ce soir.

Le métal du conduit d'aération me pétrifie, tant sa froideur arrive à transpercer mon sweat. Je ne suis là que depuis quelques minutes et pourtant, je suis d'ores et déjà congelé.

— Tu vas vraiment partir alors ?

Ses mots sont susurrés, comme si intimement, il souhaitait que je ne les entende pas et qu'ainsi, je n'y réponde jamais. Sauf que j'ai très bien entendu, la détresse qui en émanait, la colère aussi.

— J'imagine.

— On peut sécher demain, on peut aller voir ta mère et essayer de trouver un arrangement, peut-être qu'elle nous écoutera, peut-être...

— Dami.

Il se tait, tremble un peu au creux du bras que j'ai passé autour de ses épaules.

— C'est une bataille qu'on perd, pas la guerre. Tu te doutes que Raf va essayer de trouver quelque chose pour la piéger, pour me ramener près de vous. Mais là... on est piégés par le temps. C'est soi je pars maintenant, et on prend la chance de trouver une solution après, soi on attend et on prend le risque de passer devant le tribunal.

Il me couine une réponse inaudible, se serre un peu plus contre moi.

Un coup de vent soulève mes cheveux, m'arrache un long frisson qui me secoue de part en part. Je suis frigorifié.

— Mais ça va aller mi cariño, on s'appellera tous les jours, on s'enverra des messages, on...

— La ferme Sam, s'te plaît juste, tais-toi.

Je n'insiste pas, ferme la bouche, regarde une moto remonter la rue dans un vrombissement sauvage.

C'est un mois Sam, je me répète intérieurement, juste un mois, c'est rien, nada, niet.

Mais pour lui c'est... indéterminé. Alors je le comprends, et j'accepte.

— Peut-être que tu pourras venir me voir, non ?

— Pour me retrouver face à face avec ta pute de mère ? Je préfère encore me jeter dans le Rhône maintenant.

— Rigole pas avec ça.

— Quoi ? On en avait enfin terminé avec les parents de merde alors... pourquoi est-ce qu'elle ressurgit maintenant ? T'avouera que la vie est franchement une salope en ce qui nous concerne.

Je lui accorde le point, dépose un baiser contre sa tempe, avant d'enfouir mon nez dans ses épais cheveux bruns, qui sentent l'étrange odeur du shampoing au kiwi de Ariana.

Avec un rire, je le lui fais remarquer, il marmonne quelque chose d'intelligible.

Quelques minutes de plus s'écoulent, je commence sincèrement à ne plus sentir mes doigts.

— Je serai là le cinq mai, je te le promets.

— Je m'en branle de tes promesses, rétorque t-il durement.

— Nassim sera toujours là lui.

Il relève la tête, mordant, pour me fusiller d'un long regard noir.

— Sous preuve du contraire, c'est pas de Nassim que je suis amoureux, c'est pas Nassim qui me réveille le matin en sautant sur mon lit, c'est pas Nassim que j'embrasse, c'est pas avec Nassim que je baise alors... franchement, je préférerai que ta mère emmène Nassim.

— Tu sais, c'est drôle parce qu'il m'a dit la semaine dernière qu'il attendait que j'ai dégagé le plancher pour te courtiser.

— Je suis pas sûr qu'il connaisse le mot ''courtiser''.

Je hausse les épaules en riant.

— C'est vrai qu'il a pas vraiment dit ça.

Un soupir lui échappe et, au travers de ce son habituellement las, je décèle un certain amusement.

Il faut que j'essaye de faire en sorte que la situation, jusqu'à mon départ soit la plus agréable possible pour tout le monde. Nous braquer les uns contre les autres, ruminer ne servira à rien et surtout, ne changera pas la sentence finale.

— Tu sais déjà quand... ?

— Non. Ma génitrice n'est pas assez bonne au point de me donner des détails.

Il hoche la tête contre moi, cherche mes lèvre, s'y attarde un instant avant de jeter un regard par-dessus mon épaule.

— Qu'est-ce que...

Je vois ses sourcils se froncer, alors que des pas résonnent derrière nous. Dans le silence de la nuit noire et profonde, c'est bientôt le choc de sentir un corps s'échouer contre moi qui m'ébranle.

— Vous...

— Tu croyais sincèrement que vous étiez les seuls à connaître le chemin jusqu'ici ?

Mikky défie son frère du regard, tandis que Danny, plus à la traîne, arrive en trottinant. Enroulé dans une couverture qu'il a nouée à la façon d'une serviette autour de son torse, il s'assoit près de Damian, pose sa tête sur son épaule, inspire à pleins poumons.

— C'était son idée, murmure t-il en désignant Mikky du menton.

— T'es qu'une sale balance Daniel !

— Et toi un idiot ! Je suis sûr que t'as réveillé Raf en te tapant le pied dans le meuble télé. Je te jure des fois je me dis que j'aurais dû t'étrangler avec ton cordon ombilical dans le ventre de maman.

Mikky se couvre la bouche de la main, faussement outré, fait un doigt d'honneur à son frère qui visiblement trop fatigué pour répliquer, se cale un peu plus confortablement contre Damian.

— Sam tu veux des gosses ? me lance distraitement mon petit ami, le regard perdu dans la vide.

— Pourquoi ?

Il balaye ses frères d'un œil las, hausse les épaules.

— Juste pour savoir.

— Tu sais, on a élaboré un plan avec Mikky, chuchote Danny. L'autre jour, on a été acheté des clopes à Roman donc il nous en doit une. Du coup, on avait pensé faire enlever ta ère par Roman et ses potes, pour de faux tu vois mais... qu'ils l'intimident un peu, et hop.

Damian rit enfin, se moque ouvertement du plan de ses frères pour me garder près d'eux. Et j'avoue que j'ai moi-même envie de rire, face au sérieux des propos de Danny et à la concentration évidente qu'ils ont mis dans l'élaboration de ce plan.

— Elle a déjà vu Roman, il l'a traitée de vieille salope, ricane Damian. Et puis, entre acheter un paquet de clope en douce et enlever une personne, c'est quand même pas la même chose.

— On a aussi Théo au collège qui...

— Théo, le cinquième qui est couvert d'acné ?

— Oui.

— Et tu crois sincèrement qu'elle va avoir peur d'un gamin de un mètre trente plein de boutons ?

Les jumeaux se murent dans le silence, après avoir pesté contre leur aîné dans un espagnol trop rapide pour que je puisse comprendre. Cependant, à en croire la réplique cinglante de Damian, les mots échangés ne devaient sûrement pas relevé de l'amour fraternel et du bonheur d'être ensembles.

— Comme l'a dit Sam, c'est une bataille qu'on a perdu, tranche Damian.

Puis, il se tourne vers moi, assez proche pour que son souffle bouillant ne me donne la chair de poule.

— La guerre la vraie, elle y est pas préparée cette pourriture.

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