Chapitre 18

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Je me sens étonnamment vide, comme s’il me manquait quelque chose. J’ouvre mes paupières douloureuses. Le soleil inonde la pièce de sa lumière mais je ne comprends pas ce que j’ai. Je n’entends rien et je reconnais à peine la chambre. Elle est remplie de fleurs et de présents. Puis, petit à petit, les événements de la nuit dernière me reviennent. Mon bébé. Où sont mon enfant et mon mari ?

J’essaye de me relever mais une douleur dans mon ventre ne me le permet pas. Je tourne la tête dans un sens puis dans l’autre. Ça m’énerve de ne rien entendre. Je masse mes oreilles et les sensations reviennent d’un coup. J’entends les pleurs d’un très jeune enfant et beaucoup de personnes parler toutes ensemble. Même si je ne l’ai jamais entendu, je reconnais mon bébé. Je me relève d’un mouvement, tant pis si j’ai mal, il faut que je le vois. Je marche comme un canard, m’enroule dans mon châle et me dirige vers la grande salle.

Derrière le rideau, toute la ville s’est regroupée autour de Flock. Mon bébé est posé sur le siège, laissé seul. Il pleure toutes les larmes de son petit corps mais personne ne s’en occupe. Je n’attire aucun regard et le prends dans mes bras. Ses pleurs cessent et je le serre contre moi en retournant dans la chambre. Pas un regard. Pas une remarque. Tout le monde reste concentré sur mon mari. Ça me fait un pincement au cœur mais mon enfant a plus besoin de moi que mon époux.

Assise sur le lit, le bébé accroché à mon sein, je le regarde manger mais je me sens toujours aussi vide. Il y a quelque chose qui manque, que je ne comprends pas. Je me repasse les événements de cette nuit. Les douleurs de l’accouchement, le bonheur de sentir l’enfant sur moi puis l’inquiétude des femmes accoucheuses et la petite chose sanglante dans les mains de la plus âgée. C’est ça. C’est le trouble qui me turlupine. Il faudra que je lui en touche un mot...

De l’autre côté, les voix se sont tues avant qu’un rugissement de retentisse. Je sursaute, réveillant mon bébé qui se met à pleurer, son petit visage crispé par la violence de son réveil et des hurlements. Je l’apaise en le berçant contre mon sein, me demandant ce qui a pu causer un tel cri de rage. Le rideau séparant la grande salle et la chambre s’écarte, laissant passer un Flock furieux. Je ne l’ai jamais vu ainsi : son visage est empourpré, ses mains sont deux poings aux jointures blanches et ses yeux sont à deux doigts de sortir de sa tête. Son regard fou balaye la pièce avant de s’arrêter sur moi. Derrière lui, des gens poussent pour voir ce qu’il se passe, le propulsant en avant. Il tombe à genoux, juste devant le lit. Le passage libéré, Tarin, Heimden, Ygri et Hans se précipitent dans la chambre à leur tour, me laissant juste le temps de remettre ma robe de chambre en place.

Dans mes bras, l’enfant s’est calmé et me regarde avec ses grands yeux bleus marines. Lentement, Flock se relève et s’assied sur le lit, me prenant sur ses genoux et me serre contre lit en faisant attention à ne pas faire tomber notre bébé. Les autres s’avancent, s’asseyant sur le lit ou à terre, d’abord en silence puis les questions fusent. Sur la douleur, sur les sensations, sur notre bonheur d’être parents. Tarin et Heimden, assis l’un contre l’autre, caressent le ventre rond de la jeune femme, leurs yeux débordants d’attente et d’amour. Ygri est infernale, posant des questions en continu, sautillant sur le lit, nous faisant rebondir comme si nous étions sur un bateau posé sur la houle de la haute mer, réveillant à nouveau le bébé. Je la fusille du regard et Flock la met dehors pendant que les cris stridents du nourrisson résonnent dans la pièce.

Des heures plus tard, nous sommes enfin seuls. Tarin, fatiguée par sa grossesse, a fini par avoir raison de l’obstination d’Heimden qui voulait rester auprès de l’enfant qui s’est endormi dans ses bras puissants. Hans n’a pas tardé à partir pour pouvoir répondre aux questions que les autres qui se pressent à la porte d’entrée pour nous voir mais que Flock ne laisse pas passer. Il préfère me serrer contre lui, regardant notre enfant avec une joie irradiant de tout son corps. Il dépose plein de petits bisous sur ma tête, dans ma nuque et sur mon visage, me faisant frissonner de plaisir. Je me lève pour déposer le bébé dans le landau à côté de notre lit avant d’aller rejoindre les bras tendus vers moi. Je me coule contre lui, profitant de la chaleur rassurante de son corps.

On reste un moment sans parler, à profiter de notre bonheur. Puis un pleur retenti, réclamant à manger. Avec un petit soupir de résignation, je me relève et prends le petit brayard qui ne se calme pas, tout au contraire. À nouveau sur le lit, retirant le dessus de ma robe pour dégager suffisamment un sein que pour lui donner à manger.

Je sens qu’il veut bouger dans les linges qui le maintiennent. Enragée par ses mouvements empêchés, je défais les nœuds de tissus. Flock se relève, me regarde faire avec des interrogations dans les yeux mais n’intervient pas. Je délasse le dernier cordon, libérant le corps rond, découvrant en même temps le sexe de mon enfant. Un garçon. Pourquoi ne me l’a-t-on pas dit ? À voir sa tête, Flock ne savait pas non plus. Il nous regarde, des larmes dans les yeux et se penche pour m’embrasser.

Que j’y repense, nous ne lui avons pas donné de nom et n’avons jamais vraiment parlé de prénom avant aujourd’hui. Je jette un regard à mon mari en lui demandant son avis. Il réfléchit, un pli entre ses sourcils. Il reste un long moment silencieux, perdu dans ses pensées. Je fais la même chose de mon côté. J’ai d’abord un grand vide puis, lentement, quelques prénoms s’imposent dans mon esprit: Johan, Hendock, Fredrich et Manthi.

Nous restons plongés dans nos pensées, les yeux perdus dans le vide. Ce n’est qu’en sentant un mouvement dans mes bras que je reviens à la réalité. Au creux de mes membres, mon bébé s’est endormi, libéré des linges qui le compressaient, lui laissant la place pour gesticuler à volonté. Je le regarde en souriant. Dans son sommeil, il continue à téter mais moins vigoureusement et ses petites mains se décrochent de ma robe pour retomber sur son ventre rond. Je souris, attendrie par ce magnifique spectacle que m’offre mon enfant endormi. Je me lève sans le réveiller et le pose dans le berceau. Quand je me retourne, je vois Flock me regarder, les yeux emplis d’amour, de désir et d’un petit quelque chose que je n’arrive pas à déterminer. Je retourne sur le lit et me glisse dans ses bras ouverts. J’y suis tellement bien que je pourrais m’endormir. Mais je ne le fais pas car nous avons une discussion relativement importante à faire.

  • Tu as pensé relativement longtemps. Tu as trouvé des prénoms qui te plaisent ?
  • J’ai bien des idées mais je pense que ça sera mieux si on en disait un chacun à notre tour. Qu’en penses-tu ?
  • Pourquoi pas ? Tu commences ou je le fais ?
  • Honneur aux dames, me sourit-il avec un petit air narquois.
  • Très bien. Si monsieur insiste. Je pensais à Manthi.
  • Bof. On dirait un insecte ou une plante. Pourquoi pas Jérim ?
  • Jérim ? On dirait que tu vomis, rigolais-je. Ne le prends pas mal mon amour, mais c’est la vérité... Hendock ?
  • Pour qu’il devienne artisan-batelier ? Et qu’il vive sur les docks ? Nan. Fritz ?
  • Fritz ? Et qu’il devienne aussi froid que le blizzard ? Je trouve ça bizarre. J’aime bien Fredrich.
  • Fredrich ? Il y en a déjà trois en ville. Pas très original... Mais je n’ai plus d’idées, pour être tout à fait honnête.
  • Très bien. Donc pas Manthi, ni Jérim, ni Hendock, ni Fritz. Pas non plus Fredrich. Il ne me reste qu’un seul prénom : Johan.
  • Johan ? J’aime bien. C’est original mais ça reste conventionnel. Pourquoi pas. Si tu aimes, c’est d’accord pour moi, me sourit-il.
  • Donc nous sommes d’accord. Notre fils va s’appeler Johan.

Je me serre contre son torse et murmure un « Je t’aime », la bouche pressée sur son pectoral. Ses bras se resserrent autour de moi. Il me berce tout contre lui et je finis par m’endormir, apaisée et heureuse. Mais je sens toujours dans mon cœur et dans mon ventre une douleur sourde qui me dit que quelque chose va mal.

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