XXIII - 2013
— Tu peux me passer le sel ? fit la voix de Félix, la sortant de sa rêverie.
Elle lui tendit la salière puis reporta son attention sur son père qui était en train de détailler les merveilles de son nouveau vélo. Les beaux jours approchaient, disait-on, même si le ciel semblait continuellement les narguer. La conversation enchaîna sur les vacances de Pâques, lui laissant l’occasion de lâcher des petits mots.
Ils ne voyaient pas, bien sûr. Elle donnait tellement le change qu’ils ne remarquaient rien. Ils ne verraient rien à moins que cela ne vînt d’elle.
Elle se demanda ce que cela ferait de partir. La dose mortelle de Doliprane commençait à dix grammes. C’était peu, c’était rien, c’était si vite atteint. Elle évalua rapidement à combien de comprimés cela équivalait. S’ensuivrait une mort lente et douloureuse. Elle sourit, alors. Se demanda comment une idée aussi horrible pouvait en venir à être aussi séduisante.
Elle posa son regard sur son petit frère. Félix avait treize ans, il ne réalisait sûrement pas. Il était scolarisé dans le même établissement, mais s’en tirait sans problème. Elle en était certaine. Contrairement à elle, on lisait en lui comme dans un livre ouvert. Pour sûr, il n’en avait rien à faire. « Une grande sœur, c’est quelqu’un de fort, les Terminales, c’est presque des adultes. » Tu parles. Grandis pas, Félix, grandis pas.
Ils débarrassèrent, et bientôt ce fut comme si le repas n'avait jamais eu lieu. Elle salua ses parents et monta à la suite de son frère.
Elle glissa une main sous la manche de son pull. Le sang séché faisait comme un relief quand elle suivait les lignes du doigt.
Donner du relief à sa vie. C’était son art à elle.
Qu’y avait-il de mal à vouloir rejoindre les anges et la lumière ?
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