Chapitre 7 : Retour chez soi
Je sentis les jacinthes des bois bien avant qu'elles ne soient en vue. Bientôt la forêt prit un aspect enchanteur, les fougères naissantes se mêlant aux fleurs bleues. Cela me confirma que nous arrivions dans la partie du bois où j'avais l'habitude de récolter mes plantes médicinales. Je retrouvai mes repères parmi les espèces d'arbre présentes et les buissons alentours. Nous arrivâmes dans une clairière piétinée. Je me figeai.
– C'est là qu'ils m'ont mis la main dessus… expliquai-je d'une voix blanche. J'étais agenouillée pour récupérer des racines quand on me jeta un grand sac sur la tête. J'ai eu beau crier et me débattre ils n'ont eu aucun mal à me ficeler comme un rôti. J'ai d'abord été transportée comme un sac de patates sur l'épaule d'un de ces soudards. Je pouvais sentir ses sales pattes me pétrir les fesses pendant qu'ils me murmurait des cochonneries. On m'a ensuite jetée en travers d'un cheval... Le trajet a duré tellement de temps… c'est à peine si on m'a autorisée à soulager ma vessie en route… Et encore avec le sac sur la tête… Le diable sait combien ont profité du spectacle... La suite tu la connais : ils ne m'ont libérée que pour me pousser dans ta geôle.
Geralt crispa la mâchoire et serra les poings mais ne répondit rien. Il n'y avait rien à répondre à cela. Il se contenta de poser sa main sur mon épaule, mouvement de compassion et de protection. Je pris le temps de respirer pour chasser la le souvenir de la peur et accueillir ma saine colère. Nous étions presque arrivés chez moi. Bientôt j'aurai des nouvelles de ma famille.
Les effets de la mandragore étaient enfin en train de s'estomper. Je pris le risque de remonter en selle. Nous étions sur le sentier que j'avais l'habitude d'emprunter, j'avais donc pris les rênes pour guider moi-même Ablette. Geralt était aux aguets. Je le sentis se figer derrière moi. Sa lame de Sorceleur chanta quand il la sorti du fourreau. Sa voix grave résonna sèchement tandis que je stoppai la jument :
– Sortez de là qui que vous soyiez!
Je vis une silhouette connue sortir prudemment de derrière un arbre.
– Tu peux rengainer, je la connais. Approche Jahlna, tout va bien. Geralt, mon apprentie, Jahlna. Jahlna, le Sorceleur, Geralt de Riv.
– Gaëlliane ! Je suis si contente de vous revoir ! Depuis que vous avez disparu nous nous faisions un sang d'encre. Quand Monsieur Rodric à vu les affiches mettant votre tête, et celle de ce Monsieur, à prix il a voulu partir aussitôt avec Mélusine. Malheureusement il a été arrêté et questionné durant toute une journée… J'ai pris soin de votre fille pendant son absence. Ce sont vos amitiés locales qui lui ont permis d'être libéré. Il m'a confié la mission de vous guetter et de vous prévenir et est parti aussitôt. Il m'a dit que vous sauriez où les trouver. Vous ne devez surtout pas aller au village, c'est beaucoup trop dangereux…
Entendre cela me fit monter les larmes aux yeux… Non seulement j'arrivais trop tard pour les rejoindre mais en plus mon époux avait été maltraité à cause de moi… J'essuyais une larme et demandai, la gorge nouée :
– Comment est-ce qu'il allait ?
– Quelques échymoses et probablement une ou deux côtes de fêlées… J'ai traité comme vous me l'avez enseigné. Il s'en remettra. Cela ne l'empêchera pas de les protéger l'un et l'autre. Est-il vrai que vous avez abattu et blessé des soldats?
– Nécessité a fait loi… Je n'en suis pas fière.
– Mais je t'en reste reconnaissant, déclara Geralt qui savait combien ce sujet m'était difficile. Il se tourna vers Jahlna : Pense-tu qu'il nous soit possible de rentrer discrètement au village ? Tu as certainement des capes à nous prêter jeune fille ?
Jahlna, du haut de ses quinze ans, rougit en réponse à la question du Sorceleur. Elle baissa la tête, joua avec ses longs cheveux blonds, se mordit la lèvre et écarquilla enfin ses grand yeux bleus vers lui.
– C'est à dire que j'ai promis à Monsieur Rodric de dissuader Dame Gaëlliane d'entrer au village… Je ne voudrais pas manquer à ma promesse…
Geralt hocha sèchement la tête. Je me laissai glisser au bas de notre monture pour accueillir mon apprentie dans mes bras. Elle faisait une bonne tête de plus que moi et dû donc ajuster sa posture pour m'enlacer. Je la sentais tremblante. Elle reniflait un peu dans mon cou. Je lui murmurai des remerciements pour avoir pris soin de ma famille et essayai de la rassurer. Il fallait absolument qu'elle nous fournisse de quoi entrer discrètement au village. J'avais besoin de voir ma maison une dernière fois et d'y récupérer certaines affaires.
Je m'enquis de ce qu'il était advenu de ma petite jument. Jahlna m'appris que Rodric l'avait mise à l'écurie, payant d'avance pour les soins, avec consigne qu'elle lui soit remise à elle dès qu'elle le demanderait. Je poussai un soupir de soulagement, comme d'habitude il avait pensé à tout. Elle m'apprit qu'elle avait préparé à sa demande un trousseau de quelques vêtements et des vivres. Les sacoches étaient prêtes à être fixées à la selle d'Orage. Il ne restait qu'à ajouter les victuailles périssables. Il me manquait néanmoins quelque chose d'essentiel à mes yeux… L'arc de mon père.
C'était tout ce qu'il me restait de lui, emporté trop tôt par une maladie pulmonaire que ma mère avait tenté, en vain, de soigner. C'était une des raisons qui m'avaient d'ailleurs poussée à devenir guérisseuse à mon tour, pour ne plus vivre l'impuissance que j'avais vécu à cette époque de ma vie.
J'avais rencontré Rodric ainsi : il s'était blessé à la main avec une de ses inventions, sa passion pour la mécanique l'amenant à faire des expériences parfois périlleuses. La blessure était légère et fut bientôt guérie mais des sentiments durables s'étaient installés en nous. C'est donc tout naturellement qu'il m'avait fait la cour et que nous nous étions mariés, très amoureux l'un de l'autre. J'aimais passer des heures à l'écouter parler de ses projets et à découvrir ses réalisations.
Nous avions profité l'un de l'autre quelques années avant de nous décider à fonder une famille. Ainsi était née Mélusine il y a presque cinq ans et c'était un bonheur au quotidien de la voir grandir. Rodric avait construit notre maison de ses mains, l'emplissant de ses inventions destinées à faciliter la vie. Il en avait fait son commerce. Je continuai de mon côté de perpétuer la tradition de guérisseuses des femmes de ma famille, venant en aide à quiconque en avait besoin et transmettant au fil du temps mes connaissances à ma fille.
Vraiment, j'avais besoin de passer une dernière fois chez-moi, récupérer le précieux arc et deux, trois autres choses et dire au-revoir à cette maison où nous avions été si heureux.
– Je sais ce que t'a demandé mon mari. Je connais son besoin de me protéger tout comme il connaît ma propension à n'en faire qu'à ma tête. Fais ce que Geralt t'a demandé. Procure-nous des capes. Nous ferons un passage éclair quelques heures avant le lever du soleil pour éviter toute rencontre fâcheuse. Nous nous rejoindrons derrière la colline aux arbres morts pour récupérer Orage et tout ce que tu as préparé.
Jahlna hocha la tête :
– Il s'en doutait et moi aussi… Les capes sont dans l'arbre creux près du ruisseau. J'ai bien fait d'en prévoir deux. Rendez-vous donc là où vous avez dit. J'attendrai jusqu'au lever du soleil au plus tard. Soyez prudents tous les deux.
– Toi aussi sois prudente Jahlna… Je compte sur toi pour garder la maison, si cela t'es permis, et prendre soin des patients comme je te l'ai appris. C'est un peu tôt mais il va falloir voler de tes propres ailes jeune guérisseuse.
Nous nous reprîmes dans les bras, contenant nos sanglots. Le temps des aurevoirs n'était pas encore tout à fait venu. Je la regardai s'éloigner reprenant le chemin de Village et je priai intérieurement pour qu'elle ne soit inquiétée à aucun moment.
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