Chapitre 7 : retour chez soi (3e partie)
J'escaladai avec agilité pour me retrouver au bord de la fenêtre. Elle avait un système d'ouverture particulier, encore une invention de mon époux. Je fis la manœuvre permettant d'ouvrir puis me laissai prudemment glisser dans ma maison. Marchant à pas de loup, je me décalai pour permettre à Geralt d'entrer à son tour. Il posa un doigt sur ses lèvres, déployant ses sens pour évaluer la présence ou non de soldats à l'intérieur du bâtiment.
– Rien à signaler à cet étage, me souffla-t-il.
– Tu as replié l'échelle derrière toi? Articulai-je presqu'en silence.
Il hocha positivement la tête. Je regardai autour de moi, percevant, malgré l'obscurité ambiante, que nos affaires avaient été retournées, fouillées. Je me dirigeai vers notre espace dédié au sommeil pour venir humer à plein poumons les draps des lits. L'émotion m'étreint : ils me manquaient tant! Que c'était doux de retrouver leurs parfums ! Geralt me laissa le temps dont j'avais besoin.
Je me dirigeai ensuite vers le coffre au pied du grand lit. Fouillant dedans, je dénichai une petite lampe à huile qui nous servait de veilleuse les nuits ou Mélusine avait peur du noir. J'en savais la lumière très douce et tamisée. Rodric l'avait conçue avec un système de friction qui permettait de l'allumer sans briquet. A cette lueur je sortis une paire de bottes de cuir cloutées et renforcées appartenant à mon homme. Comme je m'en doutais il n'avait emporté que les nouvelles que je lui avais fais faire pour son anniversaire. J'étais quand-même étonnée qu'aucun soudard ne se les soient appropriées. Je les tendis à Geralt :
– Essais-les. Je pense qu'elles sont à ta taille. Ça nous permettrait de nous débarrasser de tes bottes puantes!
Il les enfila. Elles lui allaient parfaitement. Il jaugea d'un air appréciateur la qualité du cuir et des renforts en métal protégeant les orteils et offrant très certainement une efficacité appréciable s'il s'avérait nécessaire de donner des coups de pieds. Ces renforts étaient encore une invention de Rodric qui voulait éviter de se faire écraser les pieds en cas de chute de pièces dans ses constructions mécaniques.
Je lui fis signe de me suivre. Nous étions sur une plateforme en mezzanine, juste sous les combles. Je lui désignai une petite trappe au plafond que j'étais incapable d'atteindre. Lui n'eut qu'à tendre le bras pour la faire glisser. Il tâtonna un instant avant de trouver ce que j'étais venue chercher. Il sortit le paquet soigneusement enveloppé dans une couverture de lin et me le confia. Je m'agenouillai pour le poser au sol et déballer, presque religieusement, l'arc et le carquois empli de flèches de mon père. Une nouvelle vague d'émotion monta en moi. Il me manquait tant lui aussi… Je n'avais jamais pardonné à la vie de me l'avoir arraché alors que je n'avais qu'une douzaine d'années… Il avait encore tant de chose à m'apprendre !
J'installai l'arc et le carquois dans mon dos comme je l'avais si souvent vu faire et ajustai les courroies à ma morphologie. Cela faisait de longues années que je n'avais pas tiré à l'arc mais je me souvenais encore de ses conseils et de sa main sur la mienne pour me guider dans le bon geste. J'étais plutôt douée à l'époque. J'avais donc de bonnes chances de vite retrouver le coup de main. Sentir la présence de l'arme dans mon dos me provoqua un sentiment ambivalent de sécurité et de culpabilité. Enfin j'avais les moyens de me défendre mais cela impliquait de potentiellement faire couler le sang à nouveau ou pire : tuer.
Il me restait une dernière chose à récupérer avant de partir mais ça impliquait de prendre le risque de descendre d'un étage. Je désignai l'escalier de bois à Geralt. Il leva les yeux au ciel en faisant non de la tête. Je répondis par de gros yeux et un nouveau signe vers l'escalier. Il haussa les épaules d'un air défaitiste puis m'offrit un sourire diabolique. Je le laissai passer devant. Il était évident qu'il y aurait un comité d'accueil mais je devais absolument passer par ma salle de soin.
Le bois de l'escalier craqua sous le poids de Geralt, entraînant une agitation soudaine en bas. Je mouchai ma lampe afin qu'elle ne fasse pas de nous des cibles. Les soldats devaient être au nombre de quatre si j'en croyai mes sens. L'un d'eux essayait désespérément d'obtenir une source de lumière mais l'étincelle ne venait pas. Je l'entendais pester contre l'ordre de son chef de rester dans le noir pour nous prendre par surprise. Geralt fit le Signe de l'Aard, les projetant contre un mur dans un bruit sourd, puis entreprit de tester l'efficacité de ses nouvelles bottes. J'entendais des cris de douleurs et priai pour que cela n'ameute pas leurs collègues.
Connaissant ma maison par cœur, je m'étais faufilée jusqu'à mon espace de travail. Je me pris les pieds dans des objets jonchant le sol. J'étouffai un juron et eus un élan de colère en rallumant la veilleuse : tout mon matériel avait été saccagé. Mes fioles cassées, mes plantes médicinales jetées en vrac, mes instruments lancés comme des fléchettes au mur. Des années de travail réduites à néant ! Quel gâchis ! Jahlna allait avoir bien du travail pour remettre tout cela en état...
Par chance ils n'avaient pas trouvé la trappe secrète que Rodric m'avait conçue dans le mur afin de ranger ce qui m'était le plus précieux. Je m'étais doutée qu'il n'avait pas eu le temps de rassembler cela pour les confier à Jahlna. Elle-même n'était pas dans le secret de cette cachette. J'en sortis donc les instruments qui, comme la serpe, se transmettaient de mère en fille, du fil de soie pour les sutures ainsi que plusieurs élixirs rares et coûteux. J'y récupérai enfin la bourse contenant mes économies. Je mis le tout dans mon sac. J'étais prête à partir.
Je rejoins Geralt qui gardait à l'oeil les quatre hommes assommés, prêt à leur allonger un nouveau coup de botte si nécessaire. Il eut un hochement de tête entendu et me suivit dans l'escalier, couvrant nos arrières.
Geralt étudia le terrain avant que nous ne passions par la fenêtre. Il s'était écoulé à peine quelques minutes depuis notre arrivée, l'alerte ne semblait pas avoir été donnée. Il descendit le premier, provoquant le déploiement de l'échelle par son poids, et je suivis. Je pris cette fois le parti de monter en croupe histoire de pouvoir utiliser mon arc si nécessaire. Ce choix avait l'inconvénient de me rendre incapable de voir devant moi, mon horizon étant bouché par le corps massif du Sorceleur. Je m'en remettais une fois encore entièrement à lui.
Je serrai mes genoux contre ses hanches et il lança Ablette au galop, traversant les potager, filant vers la haie vive permettant de les délimiter des champs communs. Je suivi le mouvement quand je sentis Geralt se mettre en équilibre en appui sur les étriers, la jument sauta sans effort l'obstacle. Nous galopions à présent à travers les champs fraîchement retournés, notre allure était régulière et souple sur ce terrain. Le corps de Geralt me préservait de la morsure du vent lié à notre vitesse.
Je me retournai une fois de plus pour surveiller nos arrières quand j'apperçus la lueur de torches dans la nuit.
– L'alerte est donnée ! Ils sont en chemin !
Geralt tourna la tête à son tour, évaluant le nombre de nos poursuivants.
– Je compte une demi-douzaine de torches. On va essayer de les semer.
Je pris une initiative périlleuses en décidant d'empoigner mon arc et de m'installer dos à Geralt, mon carquois se cala entre nos deux dos, en quinconce avec son épée, dont il vérifia machinalement le bon coulissement. S'il fut surpris par ma manœuvre il n'en signifia rien.
Je bénissais mentalement mon père qui, en plus du tir à l'arc, m'avait également appris à monter à cheval, me faisant faire toute sorte d'accrobaties sur leur dos, m'apprenant à en tomber sans dommage et à monter en marche. Il m'avait appris à faire de ma petite taille un véritable atout. J'étais probablement un peu rouillée mais j'allais pouvoir mettre à contribution son enseignement.
Nos poursuivants galopaient à vive allure sur le chemin qui longeait les champs. Ils avaient dû découvrir la fenêtre ouverte et l'échelle dépliée et en déduire notre direction. Je n'étais pourtant pas convaincue qu'ils pouvaient nous voir dans l'obscurité ambiante. En ce qui me concernait, c'était clairement leurs torches qui les avaient trahi. Geralt en était arrivé à la même conclusion. Il incita Ablette à accélérer dans le but de les prendre de vitesse. Il s'agissait d'arriver à la colline aux arbres morts avant que le ciel ne commence à blanchir, révélant notre position. Je repris une position plus confortable tout en gardant mon arc en main au besoin. Apparemment la confrontation restait évitable.
Nous n'étions plus très loin de la colline. Les torches de nos poursuivants restaient visibles mais il semblait que nous les distancions de plus en plus. Nous galopions vers le Sud-ouest et le ciel semblait déjà moins sombre. J'étais inquiète pour Jahlna. Geralt passa Ablette au trot pour gravir la colline, nous slalomions entre les arbres calcinés par un incendie remontant à quelques mois. Pas de doute, la clarté était déjà plus grande puisque j'appercevais les jeunes pousses reprenant leurs droits sur la terre brûlée. Jahlna était au point de rencontre comme prévu. Elle était sur un grand hongre noir et tenait ma petite jument, entièrement harnachée et équipée des sacoches, par la bride. Elle réagit à mon approche par un son doux de ses naseaux.
Les adieux furent rapides et formels : le risque était trop grand pour prendre notre temps. Jahlna fila plein Sud pour éviter de croiser les soudards tandis que nous partions vers le Nord-ouest en direction de la Forêt de Brokilone. Mon cœur se serra à cette séparation mais j'avais hâte d'arriver dans des terrains plus vallonnés, hors de vue depuis la colline.
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