Chapitre 10 : Convalescence (2e partie)

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 Cette fois c'est mon estomac qui me réveilla, produisant un grondement sonore des plus incongrus. J'ouvris mon oeil pour rencontrer aussitôt le regard de Geralt, allongé à ma droite, la tête reposant sur sa main. Je tournai la tête vers la gauche pour y trouver une femme à la peau diaphane mouchetée de tâches de rousseur et aux cheveux roux sombres couleur jeune châtaigne, profondément endormie. J'en déduisis qu'il s'agissait de Triss. Mon estomac gronda de nouveau. Je mourais de faim. J'avais aussi besoin d'aller aux toilettes. J'avais surtout très peur de bouger et de souffrir. Geralt semblait suivre le fil de mes pensées. Il y fit écho :

– C'est bien Triss Merigold qui est près de toi. Elle t'a aidé de son mieux et a besoin de récupérer. Tu as dormi quasiment toute la nuit, le soleil est sur le point de se lever. J'entends que tu as faim. Tu veux manger maintenant ou tu as besoin d'aller te soulager ?
– Me soulager d'abord, manger ensuite mais… j'ai peur de bouger, d'avoir mal.

 J'étais contente d'avoir réussi à le dire. Geralt m'encouragea du regard. Il avait le front plissé, je le sentais triste, peut-être même coupable. Il me le confirma.

– Je suis vraiment désolé… Tout ça n'aurait jamais dû arriver. Déjà que j'y sois allé sans penser à mon glaive…, il secoua la tête, Inconcevable ! Et j'aurais du refuser que tu m'accompagnes, je m'en veux de t'avoir exposée ainsi.

 Il détourna le regard. Il avait l'air abattu. Je dépassai ma peur d'avoir mal en tendant la main vers lui pour lui toucher le bras. La douleur était présente mais tolérable.

– Ce qui est fait ne peut être défait. C'est toi-même qui me l'a enseigné. Merci d'être là pour moi. Quand nous nous sommes échappés, nous étions quittes, rien ne t'obligeait à m'accompagner.
– Tu as une drôle de vision de quitte ! Donc si je résume, tu as été enlevée pour me soigner, ce que tu as fait, puis tu t'es jetée dans une bataille pour revenir me chercher et là tu es maltraitée par ma faute.
– On en est à compter les points ? Donc tu t'es jeté seul dans une bataille que tu ne pouvais pas gagner pour me mettre en sécurité, tu as pris le risque d'être capturé en m'accompagnant jusque chez moi et tu as tué net mon agresseur qui m'aurait maltraitée bien davantage s'il en avait eu l'occasion. Dans cette affaire j'ai mal mais je n'ai ni remords, ni regrets. Mais bon, tu peux nourrir ta culpabilité et te morfondre ou m'aider à me lever avant que je ne souille ce lit.

 Tout en parlant j'avais progressivement remis mon corps en mouvement, évaluant l'étendue de la douleur. J'avais senti sous mes doigts l'état de ma paupière, qui ne devait pas être belle à voir, et découvert en laissant glisser les draps, la couleur violette des hématomes de mes épaules, de mon sein et de mon abdomen. Je n'avais cependant pas encore osé évaluer l'état de mon intimité.

 Triss s'éveilla à côté de moi. Je fus éblouie par la finesse de ses traits et la couleur de ses yeux, bleus profonds. Elle s'étira langoureusement et m'offrit un sourire inquiet.

– Comment tu te sens ce matin ? Veux-tu que je t'aide pour aller jusqu'au seau d'aisance ?
– J'ai déjà nettement moins mal, merci pour tes soins. Oui s'il te plaît.

 Geralt nous tourna le dos, ce qui m'arrangeait. J'étais un peu moins mal à l'aise ainsi. Comme je le craignais, ce fut à la fois libérateur et douloureux. Triss me laissa appliquer moi-même le baume qui me soulagea. Mon estomac grognait de plus en plus fort. Geralt et Triss m'aidèrent à me vêtir pour limiter mes douleurs aux épaules et nous allâmes vers la salle principale pour le petit déjeuner. Avant de partir j'avais demandé un miroir. J'avais besoin de voir l'état de mon visage. C'était exactement comme je le craignais au niveau de l'œil et j'étais atterrée par l'empreinte de main violette sur mon cou… Triss camoufla cela au mieux avec ses artifices.

 Les odeurs de lards et d'oeufs qui flottaient dans l'air me firent saliver d'envie. Il y avait déjà de l'animation dans la grande salle, on entendait un brouhaha indescriptible. Quand nous entrâmes, le silence se fit un instant. Aussitôt après, tous les nains de la bande de Gurdil nous entouraient, me témoignant leur préoccupation concernant ma santé et leurs vœux de rétablissement. Je les remerciai comme je pus, ne sachant où donner de la tête. L'aubergiste arriva chargé d'assiettes garnies d'oeufs, de lards et de pommes de terre. Il eut un signe de tête très respectueux envers Geralt, lui indiquant qu'il était mortifié de ce qu'il s'était passé la veille :

– Je vous offre le déjeuner pour compenser. Encore désolé qu'on ait pu traiter votre compagne de la sorte sous mon toit, faisant fi des règles de l'hospitalité.

 Manger me fit un bien fou. J'étais tellement affamée que les saveurs en semblaient décuplées. Jamais je n'avais mangé d'oeufs aussi crémeux et goûtus, le lard parfumé aux herbes était parfaitement salé et délicieusement croustillant sous les dents, quant aux pommes de terres elles avaient une saveur sucrée absolument délectable. Je me sentais reprendre des forces à chaque bouchée.

 Triss s'avérait d'une agréable compagnie. Elle réussit même à dérider Geralt qui continuait de ruminer. Gurdil et ses compagnons faisaient l'animation, contant toutes sortes d'histoires, souvent grivoises. Par sécurité, nous devions reprendre la route et c'est tout naturellement qu'ils nous proposèrent de faire un bout de route ensemble, m'offrant l'opportunité de profiter de leur chariot tant que monter à cheval resterait inenvisageable. Triss décida également de nous accompagner pour prendre soin de moi le temps de ma convalescence.

 Notre groupe prit donc la route peu après la fin du repas, une fois que nous eûmes rassemblé nos affaires et récupéré nos vêtements lavés et secs. Par chance la pluie avait cessé. J'étais confortablement installée dans le chariot dont les cahots ne me provoquaient pas trop de douleurs. Triss me tenait compagnie, faisant marcher son hongre alezan, à la robe aussi flamboyante que sa chevelure, à côté pour que nous puissions discuter. Nous avions beaucoup à partager sur l'herboristerie et les soins. Elle se livra un peu sur son histoire avec Geralt et ses propres liens d'amitié avec Yennefer. Elle avait aussi beaucoup à m'apprendre sur ce qu'il se jouait sur les différents territoires. J'écoutais fascinée. Orage suivait attachée au chariot.

 Autour de nous la joyeuse bande chantait et racontait toutes sortes d'anecdotes. Cela me changeait des longues journées à chevaucher en silence avec Geralt. Je ne le vis d'ailleurs que très peu durant le temps que nous voyageâmes avec les nains : il partait en éclaireur, s'assurer que nous ne ferions pas de mauvaises rencontres et déterminer nos points de halte. Les nuits nous bivouaquions tous ensemble. Geralt, Triss et moi prîmes l'habitude de dormir les uns contre les autres pour nous tenir chaud.

 Il me fallut quelques jours pour retrouver l'usage libre de mes épaules. Triss et Geralt devaient donc m'aider pour toutes les choses du quotidien. Je mesurais ma chance d'avoir les bons soins de Triss : de telles blessures auraient dû mettre bien plus de temps à guérir. En attendant je contribuais en joignant ma voix cristalline de soprane aux voix puissantes des nains dont j'avais vite mémorisé le répertoire. Cela les faisait beaucoup rire de m'entendre chanter avec eux leurs chansons grivoises et je me sentais un peu moins une charge pour le groupe en participant à la bonne humeur.

 Dès que mes douleurs aux épaules furent suffisamment apaisées, je commençai également à contribuer en employant les longues heures de route à peler et découper les légumes pour les repas. Une dizaine de personnes à nourrir ça fait beaucoup à préparer. Lentement, je me faisais à l'idée que cette parenthèse de partage et de sécurité offerte par le groupe allait cesser. Bientôt, quand je pourrais bander mon arc sans souffrir et que je serais en état de monter à nouveau à cheval, Geralt et moi repartirions ensemble en direction de Brokilone.

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