Chapitre 16 : Péché de gourmandise (4e partie)
J'avais l'étrange impression de flotter dans un nuage de coton, je ne sentais plus mon corps, c'est comme si j'étais subitement privée de tous mes sens ce qui contrastait fortement avec le trop plein précédent. Ma vue me fut rendue. Le paysage autour de moi se dessina progressivement.
Je ne reconnus pas ce qui m'entourait : l'ambiance sombre était baignée d'une lueur verdâtre, j'avais l'impression de flotter à l'intérieur d'un arbre creux dont je voyais le feuillage former une voûte entrelacée au-dessus de moi. Du mouvement attira mon regard vers le bas : une silhouette féminine entra, entraînant à sa suite un homme que je voyais de dos. La petite femme avait une peau qui me semblait verte sans que je sache si c'était réellement sa couleur ou en lien avec la lumière du lieu. L'homme semblait trop grand pour le lieu. Elle se dévêtit promptement puis sembla attendre la même chose de l'homme, qui ne réagit pas. Je ne comprenais pas à quoi j'assistais ni pourquoi. Elle prit les devant, le déshabillant elle-même tandis qu'il restait passif. Embarrassée, je la vis s'agenouiller pour une mise en bouche. Je voulus fermer les yeux, me détourner pour ne pas observer la scène érotique en contre-bas mais cela m'était pas possible, je n'avais apparemment plus de corps à contrôler.
Quand l'homme s'allongea sur la couche pour laisser la femme le chevaucher à son gré, la douleur me transperça : je reconnus ses cheveux noirs, ses yeux bleus azur, la ligne de poils bruns qui partaient de son pubis pour venir entourer son nombril et qui parsemait ses pectoraux musclés. Cet homme c'était Mon Homme, c'était Rodric. J'assistai impuissante à la montée de son plaisir, au sourire qu'il offrit à la dryade, car c'est ce qu'elle devait être, à la tension sur son visage quand la jouissance le traversa... puis tout disparut : j'étais de retour dans le coton, flottante.
Mes sens revinrent les un après les autres. D'abord le toucher : je fus interpellée par la sensation d'un liquide chaud qui coulait sur mes joues et je sentais le matelas et les draps pleins de plis sous la peau de l'arrière de mon corps qui reposait vraisemblablement en étoile de mer. Mon odorat me ramena alors toutes les effluves charnelles résultant de nos ébats. Les saveurs s'associèrent sur ma langue. Mes oreilles se mirent alors à bourdonner le temps d'une mise au point, je perçus d'abord de nouveau le rythme des battements de mon coeur, puis les sons environnants. J'entendais les voix de Jaskier et Geralt sans parvenir encore à les décoder ni à y répondre.
Je n'avais toujours pas retrouvé le sens du mouvement qui me permettrait d'ouvrir mes paupières, je percevais néanmoins au travers la lumière du soleil, des couleurs, des ombres... Enfin, au prix d'un effort qui me parut surhumain, je parvins à remettre en mouvement un doigt, puis progressivement la totalité de mes extrémités, entraînant le mouvement vers le centre de mon corps. Mes paupières si lourdes acceptèrent de s'entrouvrir et je pus voir leurs visages inquiets. Enfin je compris leurs mots et sentis leurs mains se poser sur moi pour m'aider à m'asseoir. Jaskier m'enveloppa du drap tandis que Geralt m'accueillit dans ses bras rassurants. Je réalisai que je pleurais.
– Est-ce que tu as mal quelque part, me demanda Jaskier ?
– Que s'est-il passé ?
– Nous ne savons pas exactement : tu as crié et tu t'es effondrée. Ton corps est subitement devenu mou comme celui d'une poupée de chiffon… Tu nous as fait une belle peur ! Nous t'avons allongée et ton amulette s'est mise à briller fortement. Un halo doré a formé comme un cocon autour de toi. C'était si beau, j'ai voulu y toucher mais Geralt m'en a empêché.
– J'ai vu cette amulette protéger Gaëlliane, sois sûr que j'ai sauvé ta vie d'inconscient une fois de plus.
Jaskier haussa les épaules, désinvolte puis reporta son attention sur moi :
– Ça ne nous dit pas que qu'il t'est arrivé, ni pourquoi tu es en larmes, c'est le bonheur qu'on t'a offert ? j'ai souvent provoqué cet effet, hahaha ! Tu n'as pourtant pas l'air si réjouie…
Il se tut interloqué, m'offrant la possibilité de raconter l'expérience que je venais de vivre et la douleur que j'avais ressenti à voir mon mari prendre du plaisir avec une autre que moi. C'est en le disant à haute voix que je réalisai toute mon hypocrisie : oser me plaindre de ça alors que non seulement je savais que c'était la contrepartie entendue de la tolérance de sa présence par les Dryades mais qu'en plus depuis près d'un mois je multipliais de mon côté les expériences sexuelles hors mariage. Le rouge de la honte me monta aux joues, je me recroquevillai contre Geralt, qui, pragmatique, mit du sens sur ce que je venais de vivre :
– Il semblerait que tu aies fait une projection astrale. L'amulette a dû servir de catalyseur. La bonne nouvelle c'est que maintenant tu sais que ton mari est arrivé à bon port, et donc probablement ta fille aussi.
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