Chapitre 20 : Point par point
Avec un cri de détresse et de rage je décochai une flèche sur l'impudent volatile, le transperçant de part en part, faisant s'envoler ses congénères occupés à festoyer. Je sautai de cheval dans le même mouvement, sans même songer à l'attacher. Je courus jusqu'au Sorceleur, venant prendre son pouls à la carotide. Un soupir de soulagement m'échappa en sentant son cœur battre à peine plus lent que d'ordinaire, c'est à dire incroyablement lentement pour un humain ordinaire. Il était en vie mais en mauvais état. Outre la plaie au visage, des bandages de fortune sur ses deux avant-bras révélaient des tâches rouges indiquant la gravité des blessures qui continuaient de saigner à travers le textile. Il avait dû perdre connaissance juste après avoir noué le deuxième. A en croire ses vêtements de cuir lacérés et poisseux de son sang, il présentait probablement d'autres plaies mais apparemment rien de cassé, pour ce que j'avais pu palper.
Jaskier et les jeunes hommes étaient arrivés à leur tour, visiblement incommodés par la scène et l'odeur, ils restèrent à distance un temps. Jaskier ne sut pas se résoudre à approcher. Il avait perdu de sa superbe face à la vision de son ami inerte. Pâle comme la mort il me sembla voir briller ses yeux et trembler ses mains qui agrippaient convulsivement sa tunique.
– Il est en vie! Venez m'aider à le déplacer : il a perdu beaucoup de sang et a besoin de soins urgemment!
Wellan vint me prêter main forte pour soulever le Sorceleur pendant que ses amis vomissaient piteusement. Dieux qu'il était lourd ainsi sans connaissance. Finn prit sur lui pour venir nous aider ce qui n'était pas du luxe. Wellan le soutenait sous les aisselles pendant que Finn et moi essayions tant bien que mal de soutenir une jambe chacun.
Enfin nous pûmes le déposer sur l'herbe grasse auréolée de la lumière du soleil levant.
– Jaskier ressaisis-toi! Trouve-moi de quoi faire bouillir de l'eau ! Les garçons, j'ai besoin d'un feu et de la sacoche accrochée sur Orage, ajoutai-je en sifflant ma jument qui s'était un peu éloignée pour paître. Wellan, aide-moi à le déshabiller. J'ai besoin de voir l'étendue de ses blessures pour pallier au plus urgent.
Une fois sa veste et ses bottes enlevées, ce que je découvris au fil du découpage de ses vêtements en lambeaux me fit frémir. Mes mains se mirent à trembler devant le nombre de lacérations à vif rien que sur la partie antérieure de son corps. Il fallait que je me ressaisisse pour être la plus efficace possible. D’abord le retourner, voir ce qu’il en était au niveau de son dos. La morsure qu’il avait sur l’épaule gauche était impressionnante et présentait un gros risque d’infection. D’autres marques de griffes striaient également ses flancs, son postérieur et ses cuisses, certaines nettement plus profondes que d’autres. Il avait déjà perdu beaucoup de sang et nombre de ses plaies ouvertes saignaient encore trop. La panique menaça de me submerger, je ne savais pas par où commencer. Mon amulette se mit à vibrer, produisant une chaleur apaisante. Je fermai les yeux un instant et pris le temps de respirer profondément. Le calme se fit en moi. Faisant abstraction de tout le reste je me mis au travail.
Après un nettoyage sommaire de son corps à l'eau bouillie, je mis à contribution chacun, après désinfection des mains, pour faire pression sur ses plaies qui saignaient le plus : il fallait contenir les différentes hémorragies et je ne pouvais pas tout recoudre à la fois. Fouillant dans ma sacoche, j’avais sorti mon nécessaire, déroulant sur le sol la toile enveloppant mes instruments, gardant à portée de main mes différents baumes cicatrisants et antiseptiques. Les sutures me prirent des heures tant il y eut de points à réaliser. Il vint même un moment où je me retrouvai à cours de fil de soie et il fallut fouiller dans les affaires de Geralt pour trouver son propre matériel de suture. Je regrettais de ne pas connaître la teneur de ses élixirs : il devait en avoir qui auraient pu l’aider mais je ne pouvais pas prendre le risque de jouer à l’apprenti sorcier. Au fur et à mesure que soignais les plaies, je libérais un à un les garçons de leur travail d’assistants, leur permettant d’aller faire ce pour quoi ils étaient là : réunir dans un linceul les restes de leurs proches et leur offrir une tombe décente afin qu’ils puissent enfin reposer en paix.
Je terminai par la plaie au visage. Seul Jaskier était encore à mes côtés. Je le surveillais du coin de l’œil : sa pâleur et son silence m’inquiétaient. J’espérais qu’il n’allait pas finir par tourner de l’œil. J’étais épuisée par la répétition monotone de ma tâche et l’angoisse qui était revenue me nouer les entrailles.
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