Chapitre 22 : Inquiétudes et espérance

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 Les préparatifs se firent en un temps record. Griselda nous offrit des vivres pour tous les quatre et me remit de la soupe pour plusieurs jours pour alimenter Geralt. Il y en avait plusieurs différentes, cuisinées par les femmes du village, ce qui devait lui apporter les nutriments nécessaires jusqu'à Brokilone. Il fallait absolument qu'il reprenne des forces pour lutter contre l'infection, reconstituer le sang perdu et cicatriser ses trop nombreuses plaies. Elle me proposa aussi une outre de décoction de saule, ce qui m'éviterait de devoir la préparer en chemin, et me fournit du fil à suturer puisque j'avais épuisé tout le mien sur le corps du Sorceleur. Ce dernier était fiévreux et son front luisait de sueur. Sa conscience émergeait de plus en plus souvent mais pas suffisamment pour un échange verbal. Il persistait à appeler sa magicienne, lui parlant dans son demi-sommeil.

 Finn arriva à bord d'un chariot couvert, tiré par un magnifique irish cob pie noir et blanc, à la robe luisante, la crinière fournie et aux longs fanons qui flottaient à chacun de ses pas. C'était vraiment une bête magnifique, qui respirait la puissance et la noblesse. Un deuxième était attaché à l'arrière de l'attelage avec deux purs sang fins et racés. On m'avait choisi une monture de petite taille, à la robe entièrement noire. Pour Jaskier, l'animal alezan était plus grand, élancé.

 J'étais étonnée et émerveillée de trouver des montures de cette qualité dans un si petit hameau. Voyant mon air ébaubi, un homme du village, grand, bien bâti, au visage franc et souriant, qui suivait le chariot m'expliqua :

– Ici notre spécialité ce sont les chevaux, nous élevons plusieurs races que nous vendons partout en Témérie des montagnes de Manhakam jusqu'à Gors Velen, mais également dans les contrées voisines : Verden, Cidaris, Brugge, Sodden… Notre village est petit mais riche, nous veillons sur nos chevaux comme sur la prunelle de nos yeux, nos chiens nous y aident, ajouta-il en flattant l'énorme dogue qui marchait à ses côtés. Les Irishs sont à moi : Tekké, qui est attelé, et Heppé, sont des chevaux courageux et endurants, il ne vous décevrons pas.

 Un autre homme, plus râblé, aux grands yeux sombres, m'indiqua qu'il nous confiait sa jeune jument noire : Gasmauw et un de ses hongres, Kaki :

– Ils sont rapides et volontaires et peuvent trotter pendant des heures sans difficultés. Ils seront un bon relais pour vos chevaux.

 Je remerciai les deux hommes pour leur générosité et la confiance qu'ils nous accordaient puis revins superviser les préparatifs, notamment le transfert de Geralt auquel se joignirent les deux hommes. Le pauvre homme reprit conscience au moment le plus inopportun, c'est à dire à l'instant critique de son élévation jusqu'au chariot quand le premier groupe d'homme le transférait au deuxième qui l'attendait à l'intérieur. Je sentis sa peur et sa douleur et m'empressai de le rejoindre pour le rassurer :

– Tout va bien, on est avec des amis, on repart vers Brokilone. Tu as une infection qui commence à s'étendre, j'aurais vraiment besoin que tu m'indiques lequel de tes élixirs peuvent t'aider… ajoutai-je dans un murmure alors qu'il re-sombrait dans l'inconscience.

 J'espérais qu'il avait entendu ma demande et serait capable d'y répondre à son prochain moment d'éveil. J'avais le sentiment que ce soin que je ne pouvais lui prodiguer pouvait faire la différence, lui faire gagner un peu de temps avant que l'infection n'envahisse tout son organisme.

 Nous étions prêts à partir. Les adieux furent chaleureux et émouvants, tout particulièrement avec Griselda qui s'était montrée si accueillante et généreuse. Cette femme avait le cœur sur la main. La mort injuste de son mari ne l'avait pas aigrie. Au contraire, elle semblait porter le monde entier dans son cœur, luttant contre les ténèbres en brillant de toute sa lumière. C'était vraiment une belle rencontre. Je la serrai dans mes bras, la remerciant pour tout ce qu'elle avait su nous apporter en si peu de temps. C'était comme si l'espace d'une nuit j'avais retrouvé la sécurité d'une mère… La mienne me manquait tant.

 Les jumeaux se courbèrent dans le même élan pour m'embrasser chacun une joue, émus. Ils redirent à haute voix leur promesse muette de ne plus se lancer dans leur entreprise de vengeance avant de s'être parfaitement préparés. Une part de moi espérait qu'ils y renonceraient totalement : la vengeance a amené tant d'hommes bons à se perdre... Jaskier était pendant ce temps-là happé par les bras puissants de leur mère qui l'étreignit longtemps lui coupant presque le souffle. Enfin nous saluâmes de la main toutes les personnes venues nous dire au-revoir, les remerciant encore pour leur soutien.

 Finn se mit aux commandes du chariot, Wellan près de lui. Un énorme chien monta à l'arrière à leur appel, se couchant contre le Sorceleur fiévreux, un allié de plus en cas de besoin. La bête faisait bien quatre-vingt-dix centimètres au garrot, couverts de longs poils gris, les oreilles pendantes et la queue basse. Elle répondait au nom de Karvill. Jaskier et moi nous mîmes à cheval, lui sur Ablette, moi sur Orage, les autres chevaux suivaient l'attelage, attachés à l'arrière. Je prévoyais de me mettre au chevet de Geralt un peu plus tard, laissant un des garçons me remplacer à cheval pour ouvrir la route et choisir l'itinéraire le plus confortable pour le Sorceleur.

 Je sentais la présence confortable de mon arc et mon carquois dans mon dos et mon amulette se mit à rebondir sur ma poitrine quand je laissai Orage prendre le galop. La sensation de vitesse et de liberté me soulagea d'un poids après la lenteur du dernier jour. Jaskier restait à proximité du chariot où Tekké trottait à belle allure. Il me rejoindrait si Geralt devait avoir besoin de moi.

 Pour ma part je partis en éclaireuse sur le large chemin de terre confortable entre les pâtures. Les chevaux du village s'y ébattaient en liberté et certains se mirent à galoper en parallèle d'Orage, excitant la jument qui prit de la vitesse et se mit à caracoler gaiement sous ma selle, enchaînant sauts de mouton et levades. Heureusement que j'avais une bonne assiette pour ne pas me laisser désarçonner par ses facéties. Ainsi défoulée elle reprit une allure plus adaptée.

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