Chapitre 24 : Brokilone, vécu de chacun (2e partie)
Mélusine :
Je suis perchée en haut d’un arbre géant. Si Papa le savait il serait pas content. Je m'en fiche : je suis bien cachée et je surveille ma copine Sulva. Elle compte. C'est elle qui cherche. Elle est juste en dessous de moi mais elle ne me voit pas, j'ai envie de rire!
D'un coup, j’entends la chanson des Dryades, celle que m'a appris Maman, de très, très loin. Je tends le cou mais je ne vois rien. Seulement les arbres tout autour. Tant pis si je perds cette fois-ci : je sors de ma cachette et descends de mon perchoir en me laissant tomber de branche en branche, ça me fait des guilis dans le ventre, c'est rigolo et ça va vite ! Bien-sûr, Sulva me voit. Elle me dit que c’est moi qui vais compter mais d'abord elle doit trouver les autres. Moi j’arrête de jouer : il se passe quelque chose.
Je crois que c’est Maman qui arrive. J’espère ! Je regarde autour de moi, les adultes s’agitent, ils chuchotent entre eux. J’entends le mot « étrangers » qui revient dans leur drôle de langue et aussi « Gwynbleidd », c'est quoi cette histoire de loup blanc ?
Je tends le cou, je guette. J'attends longtemps, longtemps. Ça y est je crois qu'elle est là. Oui, je la vois ! Ou non…, si ? Je crois… Je suis pas complètement sûre que c’est elle : elle a changé… Elle porte un arc dans le dos et un pantalon d’homme. C’est bizarre. Je suis contente qu’elle soit là. J’ai envie de lui faire un câlin, de lui dire qu’elle m’a manqué, mais je comprends pas, elle vient pas me voir… Papa non plus… Elle nous regarde même pas.
Elle regarde seulement le grand monsieur à cheveux blancs que les dryades portent allongé sur une espèce de planche. J’aime pas trop sa tête à celui-là, il fait peur ! Il a des gros muscles, même plus gros que ceux de papa ! Et sa peau elle est toute abimée ! Il est plein de bandages qui dépassent des couvertures et il a une cicatrice sur le visage. J’ai vu ses yeux bizarres, tous jaunes avec une fente noire, comme le chat de Madame Berra, la boulangère. Je me demande pourquoi il marche pas lui-même plutôt que de se laisser porter… Il doit être malade. Peut-être que Maman le soigne, c’est son travail, ça je sais.
J’appelle Maman mais elle se retourne à peine pour me faire un petit sourire et un signe de la main. Elle a sa tête de quand elle est inquiète. Elle les suit jusque dans la maison de la reine, Eithné, et me laisse sans elle, dehors. Il doit être important s’il va chez la reine.
Maman, elle reste là-bas avec lui au lieu de s’occuper de Papa et de moi. Moi je trouve pas ça juste : ça fait longtemps qu’on l’attend… J’ai envie de le crier fort mais j’ose pas… On est pas vraiment chez nous ici, même si tout le monde est gentil…
Je vois Papa là-bas, il reste sans bouger. Il regarde la maison de Dame Eithné. Il fait une drôle de tête. Je vais lui faire un câlin. Il me porte dans ses bras et me serre contre lui, ça me fait du bien. Je me sens triste et fâchée. Je crois que lui aussi…
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