Chapitre 25 : Retrouvailles
Gaëlliane :
J'étais pétrifiée sous son regard. Incapable de faire le moindre geste. Ses yeux semblaient me transpercer tandis qu'il me fixait intensément. Le temps s'arrêta. Nous ne savions tout simplement pas comment communiquer. Il s'était passé tant de temps, tant de choses… Lequel de nous ferait le premier pas ?
Il y eut un changement dans sa posture : alors qu'il était tendu comme un arc, poings fermés, sourcils froncés, regard meurtrier et mâchoire crispée, quelque chose sembla lâcher. Son regard se détacha du mien et, baissant les yeux au sol, il se voûta, enroulant les épaules. Il avait soudainement l'air triste, abattu, déboussolé. Cela me donna la force de parcourir les quelques mètres qui nous séparaient.
J'hésitai à le toucher de peur qu'il m'évite ou pire, me repousse. Je n'arrivais pas à capter son regard. Il était si proche et si lointain à la fois. L'odeur de sa peau me raviva des souvenirs heureux. Je l'explorai du regard, laissant mes yeux s'attarder sur ses larges épaules et ses bras musclés. J'avais l'impression qu'il avait une nouvelle ride au niveau du front. Je découvrais sur ses tempes quelques cheveux blancs supplémentaires parmis les noirs. J'avais envie de me blottir contre lui mais je n'osais pas passer le pas. Lui restait figé, bras ballants, évitant mon regard.
Mélusine déboula en criant de joie. Elle se jeta sur nous, nous serrant fort avec ses petits bras.
– Maman ! Je suis contente que tu sois là ! C'était long de t'attendre !
Son père s'anima, la prenant dans ses bras. Elle ouvrit l'autre, m'attirant à elle pour que je me joigne au câlin.
– Câlin en famille !
Mon coeur se gonfla dans ma poitrine. C'était bon de les sentir tous les deux contre moi. Rodric me serrait à présent contre lui également et je me sentais enfin à ma place. L'étreinte dura longtemps, assez longtemps pour que l'inconfort nous oblige à la défaire et ce fut à regrets que nous nous décollâmes les uns des autres.
Rodric posa Mélusine au sol. Il ancra son regard dans le mien, me dominant de sa hauteur. Dans ses yeux bleus je lisais beaucoup de choses : doute, soulagement, colère, tristesse et beaucoup de questions… Je me sentais dans un état assez similaire. J'avais envie d'aller marcher seule avec lui pour que nous puissions parler, à cœur ouvert, loin des oreilles de Mélusine. Nous ne parlions jamais si bien que quand nous marchions tous les deux. C'était d'ailleurs un de nos rituels de couple qui s'était trouvé le plus malmené par notre statut de parents…
Cependant, Mélusine avait besoin de me retrouver, elle aussi, et elle me le fit savoir :
– Viens maman ! Il faut que je te montre comme c'est beau ici et puis le chariot qui est notre maison, et que je te présente les copines, on va être bien tous ensemble !
– Oui ma chérie, mais d'abord j'ai besoin de parler avec ton papa.
Mélusine me tendit les bras, quémandant un câlin. Ses grands yeux bleus étaient implorants, son petit menton tremblant et sa voix triste :
– Mais moi, j'ai besoin de toi, maman ! Occupe-toi de moi! Me laisse plus toute seule !
Je m'agenouillai pour l'accueillir dans mes bras. Ses boucles brunes me chatouillèrent le visage tandis que ses petits bras enserraient fortement mon cou. Je fermai un moment les yeux, humant son odeur rien qu'à elle et profitant de la sensation de son corps chaud contre le mien, puis les rouvrit. Rodric semblait partagé entre son besoin de me retrouver et l'acceptation que les besoins de notre fille passaient d'abord, une fois de plus. Il m'articula en silence :
– Ce soir, quand elle dormira.
J'acquiesçai sans un mot, laissant Mélusine prendre l'initiative de la fin du câlin. Elle avait enfoui son visage dans mon cou, je sentais son souffle chaud me chatouiller la peau et son coeur palpiter sous ma main. J'avais envie de la garder là, contre moi, pour toujours. Ça me rappelait le temps où elle était un tout petit bébé, blottie contre ma peau, se nourrissant à mon sein en me dévorant des yeux.
Dieux que j'avais aimé l'allaiter ! J'avais le confortable sentiment de pouvoir vraiment répondre à ses besoins, tant nourriciers que de de chaleur et de sécurité, et j'avais cette possibilité de l'apaiser en toute simplicité, assortie à la conviction que je lui offrais ce que j'avais de meilleur. Faisant fi des recommandations de sevrage des anciennes, et de l'avis de mon mari, j'avais fait confiance à mon instinct et à ma fille, la laissant téter à la demande aussi longtemps qu'elle le souhaita. Elle finit par décider d'elle-même d'arrêter à trois ans passés. Parfois je me disais que ça me manquait un peu mais en réalité j'étais fière de la petite fille confiante et indépendante qu'elle était devenue, j'en étais convaincue, en partie grâce à ça.
Elle me tira de mes pensées en relâchant d'un coup son étreinte pour me prendre par la main m'entraînant à sa suite pour me montrer toutes les choses qui pouvaient intéresser une enfant de son âge. Toute l'après-midi y passa dans un babillage incessant et insouciant. Elle avait tant à me montrer et à me raconter. Elle avait tellement changé, mûri, en un mois de temps !
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