Chapitre 27 : Ajustements relationnels
Rodric :
Un épouvantable mal de crâne associé à la fraîcheur de la rosée et la luminosité ambiante me réveillèrent. "Putain, qu'est-ce que je fous là ? Et pourquoi je suis à poil?" Des flashs et des bribes de souvenirs me revinrent : la cuite, la gerbe, le sexe. "Hé merde quel con! Moi qui voulais prendre le temps de réfléchir c'est raté ! Je suis faible devant cette femme ! D'ailleurs elle est passée où ?!" J'étais mal. Je m'en voulais pour mon comportement de la veille et je lui en voulais de m'avoir laissé comme ça dans mon sommeil.
Me relevant péniblement du sol, je ceignis mes hanches de la serviette pour un semblant de dignité. J'avais vraiment un sale goût dans la bouche en plus de de cette migraine qui me labourait le crâne. Je pris le temps d'aller me rafraîchir et de boire un coup au ruisseau avant de me diriger lentement vers le chariot dans la fraîcheur matinale. J'imaginais qu'elle était auprès de Mélusine.
En chemin je croisai Geralt qui me héla :
– Tiens, Rodric ! Je venais justement à ta rencontre !
– Outch! Doucement… j'ai la gueule de bois…
– Vraiment ? me demanda-t-il hilare tout en me passant un bras autour des épaules, c'est le manque d'entraînement ça ! Viens, j'ai exactement ce qu'il te faut.
Je n'avais pas tellement d'autre choix que de le suivre vu sa poigne. Il me mit dans les bras des vêtements :
– De la part de Gaëlliane, elle s'en voulait de t'avoir planté comme ça donc elle m'a envoyé à ta rencontre pour que tu ne te sentes pas abandonné et que tu n'attrapes pas froid.
Je songeai que c'était un peu tard mais le remerciai tout en commençant à enfiler la chemise avec reconnaissance :
– J'imagine qu'elle est avec Mélusine ?
– Gagné. Et, au son de ta voix, j'imagine que tu n'es pas ravi et pas encore au clair sur ce que tu veux pour votre relation. Tu avais pourtant l'air content de la retrouver cette nuit.
– Je l'étais, je le suis, mais tout s'est passé trop vite, trop tôt, j'ai été bien con… J'ai encore besoin de réfléchir à ma vie avec elle. Je ne voudrais pas qu'elle s'imagine que tout est pardonné, oublié… Qu'elle pense qu'on va reprendre où on en était comme s'il ne s'était rien passé...
– Hum... Je vois. C'est pas simple. Désolé je n'ai pas de bon conseil à te donner : mon expérience des femmes est un peu… chaotique, bien que je n'en aime qu'une seule, j'en ai… côtoyé beaucoup, dirons-nous. Ça n'a jamais été simple non plus avec Yen… Quand j'étais à ses côtés, je me languissait de retourner sur la voie : j'ai horreur de stagner en ville, je ne m'y sens pas à ma place, bien qu'il y ait un peu de travail pour un Sorceleur, mais bon crapahuter dans les déchets pour m'occuper de zeugles, merci bien ! Et puis Yennefer est une femme… compliquée… mais quand elle m'a rendu ma liberté, elle a gardé mon cœur en otage. J'aspire à retrouver ma place à ses côtés même si je n'ai pas beaucoup d'espoir que cela se produise.
Un silence pensif accompagna ses dernières paroles. Cet homme me surprenait. Bien que tout en lui respirait la dangerosité, et je me félicitais mentalement de ne pas avoir eu l'occasion de me battre contre lui, il n'avait rien de l'image qu'on véhiculait sur les sorceleurs. Au contraire, il semblait bien plus humain que la plupart des gens et, avec ce qu'il venait de me partager, j'avais de sérieux doutes quant à son absence d'émotions.
Il m'avait entraîné à l'écart du village, dans l'espace où paissaient les chevaux. J'étais content de voir Éclair et Orage qui s'étaient retrouvés et se gratouillaient mutuellement, têtes bêches. Une grande jument baie accueilli Geralt avec un hénissement joyeux :
– Moi aussi je suis content de te voir, Ablette, profite du repos, j'en ai encore pour quelques jours.
La jument coucha les oreilles en soufflant et grattant le sol de son antérieur gauche.
– Eh, laisse-moi le temps de récupérer s'il te plaît, elles ne m'ont pas loupé ces goules, faut dire qu'il y avait une algoule dans le lot, une vraie saloperie… Bientôt on repartira sur les routes, promis.
Elle répondit par un son doux avec ses naseaux, tendant l'encolure pour recevoir une caresse. Le Sorceleur lui grattouilla le front et le chanfrein avant de lui déposer un baiser sur le bout du nez.
– Allez file maintenant, je ne suis pas venu pour ça.
Il se dirigea vers une hutte végétale à proximité. Comme les maisons du village, elle était constitué de plantes vivantes. Il faisait sombre à l'intérieur. J'y découvris divers harnachements et autres matériels pour les chevaux. Geralt s'agenouilla devant sa propre selle et fouilla dans les fontes pour en sortir plusieurs flacons et un petit sac en cuir. Il ne garda que ce dernier ainsi qu'un flacon au liquide verdâtre.
– Voilà exactement ce qu'il nous faut, je vais te préparer ça.
Il choisit un espace dégagé, y déposa un peu de bois sec et, plaçant un doigt sur ses lèvres avec un clin d'œil de connivence, fit un signe avec ses doigts allumant un petit feu. Il mit dessus une petite casserole dans laquelle il versa l'eau d'une outre et y mélangea ses herbes quand l'eau se mit à bouillir. J'avais l'impression de voir Gaëlliane à l'œuvre avec ses décoctions. J'espérais sincèrement que le résultat serait moins mauvais. Une odeur bizarre flottait dans l'air et j'étais inquiet qu'une dryade perçoive celle du feu : on risquait de sacrés ennuis le cas échéant.
Geralt sortit la casserole du feu, le soufflant d'un coup à l'aide un autre signe avant de couvrir la zone de terre pour prévenir tout risque de reprise. Il mélangea alors vigoureusement sa préparation, la versa dans un bock et y ajouta quelques gouttes de sa mixture verte, qui me semblait louche, avant de me tendre son remède contre la gueule de bois. Avais-je assez confiance pour boire sa décoction ? Celle de la veille ne m'avait en tout cas pas tué.
Il rit devant mon air hésitant :
– Tu as la tête de quelqu'un qui a peur de se faire empoisonner ! Libre à toi de demander un autre remède à ta femme si tu préfères, mais ça sera clairement moins efficace.
Solliciter Gaëlliane pour ça ne me tentait franchement pas. J'acceptai la timbale en bois, reniflai prudemment la mixture avant de commencer à boire. Pouah! C'était fort chaud et diablement amer, avec un arrière goût qui ne me revenait vraiment pas! Je retins mon souffle pour avaler cul-sec l'horrible boisson, priant intérieurement pour que les effets soient proportionnels au dégoût que j'avais à boire ça.
Mon estomac se révulsa, un instant face à l'assaut du liquide brûlant, puis s'apaisa. Les marteaux dans mon crânes semblèrent taper moins fort, ma nausée latente disparut. Le soulagement s'installa plus rapidement encore que ce que je ne l'espérais. Un grand sourire s'étala sur mon visage.
– Immonde mais efficace ! Je ne m'attendais pas à un tel effet ! Merci Geralt, ajoutai-je avec une franche poignée de main. Il est temps pour moi de rentrer.
– Je te raccompagne si ça te va : j'ai promis à une jeune demoiselle de revenir avec son papa.
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