Chapitre 4 - Mardi chez Maman
- Toc, toc ! M'man, j'suis arrivé.
- Sébastien, c'est bien toi ?
- Bah ! Oui ! Qui veux-tu qu'ce soit ? Ouvre-moi la porte, j'me mouille sous la pluie dehors, tu sais ?
- Oh ! Oui !
(Clique)
- Viens, entre.
Je me hisse dans la maison familiale au premier crochet de maman. La porte donne lieu sur une pièce modeste, recouvert de vieux bois dans un marron pétrole. Pas assez de meubles, aucun tapis ni carreaux, la maison n’a pas du tout changé. C’est à croire que mère est restée dans la nostalgie de nos vieux moments familiaux. Père est mort, ça fait douze ans, mais ma mère fait toujours comme si il est vivant.
Rassurez-vous, elle n’est pas malade. Elle aime juste s'occuper de la maison, jadis comme.
Enfin, je crois.
Le repas est toujours prêt à douze heures tapante, les trois assiettes placées sur la table, avec de la bière pour papa ; de l'eau pour elle et mon p'tit jus pressé. Ça l’amuse de nous imaginer comme avant, je crois.
Enfin, je préfère me dire que c'est ce à quoi elle pense en faisant tout ça.
À l'époque j'étais très fan de ces petits jus pressés, variés en cinq couleurs : Rouge pour la tomate, bleu pour la myrtille, devinez-vous-même pour l'orange, vert pour la pomme et violet pour le raisin. Le rouge c'était mon préféré. Mère a gardé la même bouteille de bière à laquelle papa n’avait pas touché pour ce qui allait être notre dernier dîner à trois.
A vrai dire, père n’a jamais vu cette bouteille.
» Le 18 juin 1991, père a entreprit un voyage pour la ville. Voyage d’où il était censé livrer plusieurs cartons de cigares depuis sa vieille camionnette. C’était un des multiples boulots qu'il faisait. Il nous avait dit au cours de notre véritable dernier repas que cette commission bien précise devait lui ramener beaucoup d’argent, que c’était une grosse affaire.
Seulement, sur le chemin du retour, il est descendu pour faire une pause-pipi et a garé son camion deux ou trois kilomètres à l'entrée du village. Une envie de se soulager probablement dû à l'excitation de la vue du panneau d'entrée et à l'idée de nous retrouver. Pas loin de là, il y'avait un foutu chauffard qui avait eu la « brillante idée » de doubler un transporteur de bois. Évidemment, c'était une manœuvre plus que risquée vu qu'en face, il y'avait un jeune couple qui faisait une virée en voiture.
Mon père ayant fini de se soulager, a assisté à la percussion entre le véhicule des jeunes amoureux et le conteneur. Comme il était sans doute déjà retourné dans son camion, les rouleaux de bois qui s'étaient détachés de l'engin, suite à son altercation avec la voiture des jeunes amoureux, avaient perforé le camion de mon père et, depuis ce jour-là, nous ne l'avons plus jamais revu.
- Pourquoi tu continues de préparer le dîner comme à l'époque de notre famille complète ? Dis-je à ma mère, un brin curieux.
- Parce que ! Tout simplement, me retourne-t-elle, amusée par sa malice.
La bonne vieille réponse favorite des Mordécaille.
Ça c'est le genre de réponse qui ne donne suite à plus rien d'autre. Quand une personne vous répond comme cela avec un tel air, il vaut mieux ne plus rien n'y ajouter.
- Toc, toc, toc !
- Qui est-ce ?
- C'est moi, Clara.
Ça, ça m’a tout l’air d’être tante Lindsay. Aussi fourbe et stupide que son sexy et joli petit prénom.
Personne d'autre qu’elle n'appelle maman, Clara.
- Merci, énonce l'étrangère une fois la porte ouverte.
Je n’aime pas beaucoup cette femme. Elle ne m'a jamais parue très claire. D'aussi loin que je me souvienne, elle adorait se trimbaler à moitié nue dans toute la maison du temps où père était encore vivant. Pour moi, ça voulait tout dire. C'est vrai qu'à la vingtaine, elle faisait dans le mannequinat, mais ça ne lui donnait pas le droit de se pavaner en petite tenue devant son neveu et son beau-frère, quand sa sœur était au travail. Les jours d'hiver encore moins. J’ai toujours comme l’impression que c’est une sale hypocrite, celle-là.
- Hey ! Mais, le jeune Sébas est là, s'écrie-t-elle de manière hystérique.
Vieille morue !
- Alors, qu'est-ce-que l'on dit de bon, monsieur le professeur ? M'avance-t-elle avant de prendre place à côté de sa sœur.
- Humph ! Rien de spécial, lui dis-je, austère de la froideur que je garde pour les gens, comme elle.
Les gens que je n'apprécie pas et que je ne peux pas sentir de trop près.
- Fiston, m’apostrophe mère. Tu ne m'as pas dit si tu avais rencontré une jolie jeune damoiselle, avance-t-elle d’un air moqueur.
C'est toujours quand elle est entourée de ses copines ou sœurs qu’elle choisit de me taquiner de manière aussi merdique.
- Maman, je n’ai pas du tout la tête à ça en ce moment.
Et vu ma tête, je n’ai effectivement pas le choix.
- Ah bon ?
- Oui ! Je suis très chargé au lycée, actuellement. Il faut d'abord que la situation se stabilise.
Ou du moins, que je devienne plus attirant. Ou déjà, plus masculin.
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