Chapitre 13 - Carte d'invitation
Angéla & Jonathan
09.12.06 X 14 :30
sont heureux de vous faire part de leur mariage, qui sera célébré à l’église Lacroix de Guingamp.
Ils vous convient ensuite à les rejoindre sur les bords de l’Erdre pour prolonger les festivités.
RSVP avant le 18 juin.
La lecture de cette carte m'irrite au plus haut point, mais je n'arrive pas à en détourner le regard. Je la lis et la relis encore et encore comme pour me donner une leçon de courage ou une punition pour mon manque de courage.
Je suis tellement faible !
Ce soir, Je rentre furieux à la maison et j’ai bien l’impression que je ne vais pas être au bout de mes peines. Comme si la carte d’invitation de mariage ne suffisait pas pour me mettre en rogne, il faut aussi que je trouve Gisèle allongé dans un canapé du salon entrain de fricoter avec un gugusse de la Fac.
Mon canapé aux rebonds filés préféré, en plus.
Ça c’est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.
Dans ce même élan de colère monstre, alors que j'aurais d'ordinaire laissé passer, je décide d’agir différemment, cette fois-ci. Je prends ainsi tout mon souffle avant de me jeter furieusement sur les deux « amoureux » et d’empoigner « l'heureux élu » avec toute l’insoupçonnable force qui sommeillait en moi jusqu’à maintenant. Je lui postillonne quelques mots de colère absurdes et/ou insensés au visage « Chalaud ; vaurienne ; pu du duc » avant de le mettre brutalement à la porte tout en grommelant sur Gigi.
Tu m’as déjà oublié si vite, sale perverse ?
Il y a encore quelques jours, tu voulais abuser de moi. Rappelle-toi !
- Non mais ça va pas ou quoi ? Qu'est-ce-que tu fous ? Balance-t-elle hâtivement.
Fou ! Oui, ‘’fou’’ c’est bien le mot qui va caractériser la suite des événements.
- Écoute, je n’ai pas le temps pour supporter tes séances de jambes en l'air aujourd'hui, dis-je, animé d’une fureur qui refuse de me quitter.
C’est la première fois que je me sens aussi contrarié et frustré !
Cet état est étrangement euphorique quand j’y pense. Pouvoir exprimer sa colère ça fait du bien. Je ne comprends pas pourquoi les gens vont chez des psys pour lutter contre ça.
- Rien de bien compliqué. Vous aurez juste à vous rendre chez mademoiselle Angéla et lui remettre cette enveloppe de ma part. Je ne vais pas avoir le temps de le faire avant samedi.
‘’Allez voir Angéla’’… tout juste ce que j’évitais !
La maison est dans un piteux état comme à l'accoutumée. Depuis le départ de madame Giordano, les « sœurs infernales » ont renouvelé de plus bel avec leurs vieilles habitudes - Habitudes qui ont le chic de me rendre désagréable - Suite à l’agression dont a été victime sa proie du jour, Gisèle folle et irritée, proteste furieusement sur sa cause. Légitimement injustifiées, chacune de ses interventions diminuent en intensité probablement influencée par mes ripostes aussi criardes que véloces. Pourtant, Gigi ne veut pas lâcher la mise. Mais, en ce qui me concerne, je suis également loin d'avoir dit mon dernier mot.
- Mais, t'es fou ou quoi ? Tu viens me trouver en train de passer du bon temps et tu t'emportes de la sorte. Qu’est-ce qui te prend ?
- Toi, la ferme !
On va mettre les points sur les i, toi et moi.
- Quoi ? Mais tu disjonctes ou t'as bus quelqu...
- Bon, ma jolie, ça va pas l'faire si t'arrêtes pas de jacasser.
Sur ces derniers mots, je prends ma colocataire par les épaules et je l’allonge abruptement sur le canapé.
Je suis tellement furieux, je ne sais pas quoi faire pour me calmer.
C’est insupportable ! Je comprends maintenant l’utilité des psys.
Quand, Gisèle essaie de s'exclamer à nouveau, je me laisse emporter à l’instinct pour la faire taire. En tentant désespérément d’obstruer sa bouche, je fais la chose la plus folle qui me passe par la tête. Je pose mes lèvres sur les siennes et je lui donne un baiser - Je ne comprends vraiment pas ce qui me prends. Je n’ai jamais vécu ça - Sans tergiverser, Gisèle coopère avec diligence et nous entamons un acte que je pourrais peut-être regretté.
Je ne sais pas pourquoi je l’ai embrassé.
C’est vrai qu’elle parait si séduisante avec cette courte jupe jean et ses lèvres ont l’air tellement pulpeux et gluant avec ce baume rose, mais ce n’est pas vraiment une raison… ou bien ?
Entre la fougue que je ressens en raison de tous les évènements auxquels je suis victime ces derniers temps - les lettres anonymes, le mariage d'Angéla, l'interruption de notre entretien par le proviseur et, cerise sur le gâteau, le grand retour des sœurs infernales - je crois que je cherche juste sur quoi déverser tous ces sentiments complexes qui me tourmentent. Heureusement pour moi, Gigi ne s'y oppose pas. J’ignore ce qui aurait pu arriver si elle n’était pas aussi coopérative. Il se serait potentiellement produit le pire parce que je n’ai pas vraiment la tête à me prendre un autre râteau. J’espère, dans le cas contraire, que je n'aurais pas laissé la fureur en moi prendre le dessus et lutter jusqu’à obtenir satisfaction.
Dorénavant, il faut que je me contrôle, je ne suis pas sûr d’avoir autant de chance la prochaine fois.
Je dois voir un psy.
…
Le lendemain, je me rends au lycée sens dessus dessous. Perturbé, interloqué et perplexe - Quoique synonymes - Passer devant le bureau de la CVS vide n’arrange pas ma peine. J’ai toutes ces choses emmagasinées en moi et je n'arrive pas très bien à déterminer la raison qui m'a poussé à m'en remettre aux jambes de Gisèle. Soit j'étais toujours sous l'excitation de ce qu'a provoquée Angela en moi et voulant volontairement et inconsciemment... Hihihi... le lui faire payer parce que je l'en voulais toujours, bien qu'illégitimement d'avoir choisi son mari et préféré me laissé tomber. Soit, je m'en voulais à moi-même d'avoir ignoré les avances de ma colocataire et, j’aurais dans cette hypothèse tenté de me racheter à ses yeux. Histoire de rétablir mon autorité masculine, laquelle allait peut-être m'aider à installer de l'ordre dans l’appartement.
Prenez votre souffle ! Je sais que la lecture du dernier paragraphe était exténuante !
Ah ! Et oui ! C’est fait exprès. Juste pour que vous puissiez vous sentir aussi troublé et tracassé que moi en ce moment.
Je me dis que si Angela doit refaire sa vie, autant que je réorganise la mienne. Rien de mieux qu'à le faire en établissant de nouvelles règles à la maison par la même occasion. D’ailleurs, perdre ma petite fleur avec Gigi est moins regrettable que de la perdre avec une inconnue. Du moins, je crois.
Je préfère penser ça que me dire autre chose.
Je suis trop épuisé mentalement pour me compliquer la vie davantage.
…
- Monsieur Mort d’écailles, je trouve votre cours beaucoup trop ennuyeux, aujourd’hui. Je crois que je vais plutôt aller m'tirer une cigarette, dehors. Ça vaudrait mieux.
- Bon, écoute Dan... Toi, tu ne vas nulle part. Tu t’assois, tu suis le cours et c'est tout.
- Non merci. C'est trop pour moi. Je m'arrache cette fois-ci, monsieur. En plus, j’ai la dalle.
Ces idiots d'élèves ! Toujours là à me foutre les keftas.
Humph ! Voilà que je parle comme eux, maintenant.
- Bon et puis monsieur, on est dans un pays libre. On peut choisir de faire ce qu'on veut. Vous n'avez pas du tout le droit de nous retenir contre notre volonté. Pas du tout.
Manquait vraiment plus que ça.
Perdre un élève de plus.
- Bon, Nadine écoute... euh... tu vas te taire aussi, d’accord ?
- Oh monsieur ! Oh monsieur !
Et la foule est en délire.
Quand il s’agit de mettre de l'énergie dans la participation aux cours, il n’y a personne. Mais, quand il faut manifester pour des causes toutes plus stupides les unes que les autres - et de la pire des manières, en plus - là, ces « petits anges » répondent toujours présents.
C'est merveilleux !
Ah ! Au moins, je n'ai pas perdu mon humour.
- Excusez-moi, mais je ne suis pas d'humeur. Pour tout dire vrai, hier soir, j'ai perdu ma virginité. De sur quoi, avec la mauvaise femme. Je sors d'une déception amoureuse très douloureuse et un inconnu, qui dit tout savoir de moi, m'espionne et me glisse des lettres à peu près chaque jour. Donc, si vous pouvez vous calmer, ne fusse que pour aujourd'hui, ça m'irait plutôt bien.
Aussi étonnant que cela puissent paraitre, toute cette bande de futurs syndicats sous-payés se taisent après mes déclarations.
Eh ben, si la sévérité ne marche pas, va pour l'auto-humiliation. Si je nécessite vraiment du silence, il faut que je tente le tout pour le tout. Quitte à les embarrasser même si je m'embarrasse aussi.
Quand toutes les solutions rationnelles sont épuisés, il y'a toujours une solution irrationnelle qui va largement faire l’affaire.
...
À beau jouer les profs sincères et désespérés, je fini par me retrouver dans le bureau du proviseur, l'instant d'après.
- Monsieur Mordécaille, je suis très étonné par ce que vous avez fait. Je ne comprends pas comment un enseignant aussi brillant, respectueux et exemplaire que vous ait pu agir de la sorte.
C'est eux qui ont commencé, d'abord.
- Je suis vraiment très déçu de vous, jeune homme.
C'est toujours les mêmes qui se font engueuler.
- Je vous considérais comme mon propre fils.
Tout le monde me considère comme son fils. Mes élèves, eux-mêmes, me considèrent comme leur petit frère.
- Vous n'avez rien à dire pour votre défense ?
Gastéropooode !!!
- Euh ! Je… je suis vraiment désolé monsieur Granjardin. Ces enfants me rendent fou. Mais, il n'y a évidemment rien qui puisse justifier la manière dont j'ai réagi.
Aucune excuse rationnelle, en tout cas.
- Et bien, je suis content de vous l'entendre dire.
- Je m'engage à ne plus agir de la sorte.
Oui ! La prochaine fois que ces petits merlans frits me persécuteront, je viendrais les trahir chez vous.
C’est vous qui auraient la charge de calmer leurs hormones de têtards en quête d’accouplement.
- Je suis ravi par ses propos. J'ose espérer qu'ils sont sincères, monsieur Mordécaille.
- Ils le sont, monsieur Grandjardin.
Ô oui ! Ils le sont.
- À vrai dire, je n'aurai pas pris les choses de la même manière s’il s'agissait d'un de vos collègues.
- !?
C’est… c’est-à-dire ?
Ça, ça sent pas bon.
- Ce qui voudrait dire que vous n'aurez pas de sanction étant donné que c'est la première fois.
- Ah ! Merci bien.
Encore heureux !
- Cependant, vous aurez un gage pour être entièrement absolu.
Euh ! Attends... aux dernières nouvelles, les mots « gage » et « sanction » ne sont-ils pas des synonymes ? Et puis, utiliser le verbe ‘’absoudre’’… sérieusement… il est né à quel siècle, lui ?
Quand je dis que mes collègues sont des dinos…
- Que devrai-je faire monsieur Granjardin ?
...
Et voilà que je me retrouve devant le manoir de Jonathan Laçassin. Un homme mondain doté d'une fortune de juste soixante millions de francs - Rien de bien impressionnant - Appart ça, c'est la coqueluche de la ville et il convoité par toutes les jeunes femmes de la région.
C'est comme je disais. Rien de bien impressionnant. Et ce n’est pas de la jalousie.
Surtout que l'on ne peut pas parler de jalousie par rapport à la situation actuelle. Angéla est avec lui et ils vont se marier, ce week-end. Tout-à-fait normal !
- Que désirez-vous monsieur ?
C’est un quinquagénaire qui me reçoit dans le manoir de mon pire ennemi. Probablement le majordome de la demeure. En costume noir espagnol avec une coupe de cheveux lissés en arrière à l'anglaise, il semble être un vieil homme plutôt aimable derrière le masque de rides qui couvre son visage aigri.
- Bonjour. J'ai une lettre pour la maîtresse des lieux. Tenez, la voici.
- C'est de la part de qui ?
- De son chef. Monsieur Granjardin.
- Et vous, qui êtes-vous ?
Prends l'enveloppe. C'est tout.
- Je suis un de ses collègues.
- Un de ses collègues ou un de ses élèves ?
Ça fait un bail comme ne me l’avait pas faite, celle-là.
- Un professeur.
- Un... professeur ?
- Yep !
- N'êtes-vous pas beaucoup trop jeune pour déjà faire dans le métier ?
- ...
Ça, ça ne te regarde ni d’Adam ni d’Eve.
- Eh bien, veuillez me suivre.
- Où ça ?
- À l'intérieur. Je vais vous conduire vers ma maîtresse.
- Non, non, non ! Pas la peine.
- Je ne doute pas de la crédibilité de vos dires, mais je tiens à la constater par moi-même. Je verrai si madame vous reconnaît.
Oh non ! Manquait vraiment plus que ça… Voir Angéla en personne.
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