Chp 8 - Tamyan : l'envie
Cette petite humaine à cheveux blancs se fout ouvertement de ma gueule. Elle me défie, c’est évident. Je devrais la faire écorcher. Boire son sang. L’empaler avec mon...
— Tam, tu m’écoutes ?
Rizhen me regarde de trois quarts, le visage chafouin, la main plaquée sur ses cheveux couleur or. Paraît-il que c’est le plus beau mâle de ma compagnie. Je n’en suis pas si sûr. En tout cas, il serait nettement moins beau avec un œil en moins.
— Quoi ?
— La guilde du Cœur Noir nous propose cinquante barils d’eysh contre notre cargaison d’aslith. J’ai eu le message par un contact dans l’Aleanseelith, cette nuit. Ils sont prêts à nous servir d’intermédiaire pour négocier.
Cette seule mention me réveille complètement.
— L’Aleanseelith ? Tu as bien prononcé ce mot ?
Rizhen a l’air étonné.
— Oui... Pourquoi ? On passe toujours par eux pour ce genre d’affaires, non ? Je te rappelle que le Cœur Noir ne fait pas partie de nos alliés.
Il a raison. Je le sais. Mais tout de même... Asdruvaal a voulu me faire passer un message, la veille. Il ne se serait jamais déplacé juste pour un sidhe quart-sang orc, fusse-t-il quatre fois vainqueur du darsaman.
— Depuis quand tu frayes avec ces assassins sans roi, Rizhen ?
Discernant la menace dans mon ton, il se redresse.
— Mais enfin, ard-æl... Depuis toujours ! J’ai connu Elshyn bien avant qu’il n’intègre la guilde du Chemin Voilé : c’était mon frère de lait. On peut lui faire confiance, et...
Il se tait, réalisant soudain qu’il m’a vendu le nom de son contact.
— Elshyn... Le Chemin Voilé, je note. À l’avenir, je veux que vous me donniez les noms des faux bardes avec qui vous frayez, et celui de leur guilde. Compris ?
— Mais...
Nazrhac fait signe à Rizhen de se taire. Tant mieux : je m’aperçois que je n’ai plus ma dague.
Je l’ai laissée à Faël.
Je profite du silence pour faire un tour de table.
— C’est tout ?
Personne ne répond.
— Très bien, conclus-je en tapant ma main sur la table. Je déclare la séance levée.
Les premiers chasseurs se lèvent et sortent, Rizhen le premier. Je les sens pleins de ressentiment. Ça leur passera. Et de temps en temps, il faut rappeler à ces mâles au sang chaud qui est le chef, ici.
— Nazrhac ! Attends.
Mon aide de camp s’arrête avant de franchir la porte.
— Oui, ard-æl ?
— Tu peux me redonner la description de l’aslith que tu as offerte en cadeau à Asdruvaal ?
Nazrhac semble réfléchir.
— Euh... la crinière couleur de feu, la peau comme le lait, couverte de minuscules petites taches, comme un wyrm nouveau-né. Très jolie et appétissante. Ton oncle va se régaler, Tam. Tu peux me faire confiance !
Je sens la colère monter à nouveau. J’étais en rage contre Rizhen, tout à l’heure. Pourquoi ? Qu’est-ce que j’en ai à foutre que cette humaine se fasse saigner ?
Ma sœur... Elle est rousse, jeune, très jolie...
— C’est bon, tu peux disposer.
Comme il fait mine de partir, je le rappelle :
— Avant ça, trouve-moi ce contact de Rizhen dans l’Aleanseelith, et enquête sur lui... Ah oui, et envoie un message à mon oncle. Demande-lui s’il est déjà rentré à Ymmaril... Le cas échéant, s’il peut...
Je secoue la tête.
Je suis con, ou quoi ?
— Non, oublie ça. Ne l’appelle pas.
Nazrhac me regarde, un sourcil levé.
— D’accord... Tout sera fait selon tes ordres, ard-æl, dit-il avant de prendre prudemment congé.
*
Faël a soigné ma proie — qui mange avec appétit son repas au sérail — et lui a même prélevé un peu de sang. Pour l’analyser, comme elle dit. J’ai envoyé un groupe de chasseurs faire les courses pour elle : pour l’instant, dans les ruines des colonies qu’on a visitées. Elle m’a réclamé diverses choses, comme un nouveau microscope.
Je vais la retrouver dans la serre. Je la trouve penchée sur l’échantillon de sang, les sourcils froncés. Je l’observe un moment. Sa peau pâle, légèrement rose. Sa petite bouche rouge. Sa chevelure de foin clair, nouée dans une tresse épaisse, pâle comme l’os. Les globes de chair tendre et les petites tétines qui pointent sous sa combinaison (je l’ai autorisée à la garder — exceptionnellement.) Son parfum légèrement acide, celui qui monte de son entrejambe, mêlé à l’odeur de sueur laiteuse des humains.
Je sens mes crocs glisser hors de leur gaine. Et l’autre dard, plus bas, aussi.
Je me rapproche, doucement. Je suis tout près d’elle... Je pourrais mordre cette nuque offerte, la casser entre mes griffes, la briser comme du verre. Vider son sang. L’ouvrir en deux, l’empaler sur mon skryll... la faire hurler jusqu’à s’en déchirer les cordes vocales, de souffrance et de jouissance mêlées.
— Alors ?
Elle sursaute au son de ma voix. J’aime bien provoquer cet effet.
— Vous... vous étiez là, souffle-t-elle.
— Je suis toujours là. Ce cair m’appartient. Et tout ce qui s’y trouve. Fais ton rapport.
Cette fois, je m’éloigne d’elle. Son odeur m’excite trop. C’est, de loin, la proie la plus appétissante que je n’ai pas eu sous la dent depuis des éons. Mais je ne peux pas m’en emparer. Pas tout de suite. Je la tuerai après, lorsqu’elle aura fait son office, et trouvé un remède à mon mal. Les humains sont rusés, et tenaces. Intelligents, à leur façon rustique. Je sais qu’elle peut y arriver.
— Eh bien... Ce sang est contaminé par quelque chose, en effet. Une sorte de... poison... En tout cas, c’est une substance que je ne connais pas.
Je regarde mes griffes, nouvellement taillées et laquées d’iridium.
— Continue.
— Ce poison ressemble à un genre de parasite, qui se cache dans les globules rouges... J’ai remarqué qu’il se multiplie soudainement à certaines occasions, à intervalles réguliers.
Je relève la tête. Là, ça devient intéressant.
— Tu as remarqué ce qui provoque ça ?
— Non, pas encore... Mais j’ai vu ce que ça donnait chez le porteur. Votre... aslith... elle a fait une crise violente tout à l’heure. L’un de vos hommes — je veux dire, vos ylfes — a dû intervenir pour la maîtriser.
La morsure de la rose. Si vite... J’avais espéré garder cette femelle plus longtemps.
— Est-ce que tu as vu une marque, sur elle ?
Ses yeux gris pâle fusent sur moi, comme un éclat de ciel orageux sur une prairie oubliée.
— Autres que celle de vos dents, vous voulez dire ?
Son ton est lourd de reproches. Elle me méprise... parce que je me suis nourri de sa congénère.
— Autres que celle de mes dents, lui souris-je en lui montrant lesdites dents.
Nouveau regard, pas moins dur que celui d’un sidhe au combat. Jamais une aslith ne m’a regardé comme ça. Ni aucune femelle, d’ailleurs. Aucune n’a osé.
Cette petite humaine...
— Pendant la crise, ses veines sont devenues noires : on en a vu le tracé sur sa peau. Et elle a... une marque, comme une fleur noire, à l’intérieur de la cuisse gauche, tout près de sa...
... Fente, par laquelle je l’ai pilonnée. J’ai déjà vu ça. Je sais ce que ça fait. Beaucoup d’aslith sont mortes à cause de ça, à Dorśa. Des aslith qu’on avait pourtant réussi à faire tenir plusieurs milliers d’années. Des vestiges des campagnes passées, avant la Grande Séparation... On a plus eu d’humains après ça. Alors, on a préservé ceux qu’on avait, en les traitant comme des familiers de luxe. Certains sont même devenus arrogants. Comme les ellith, dont le ventre était pourtant devenu sec...
Mais ça va changer. On va pouvoir les mettre à mort, comme avant, et s’accoupler à nouveau avec de vraiesfemelles.
— Continue tes recherches. Et n’hésite pas à pratiquer sur elle des expériences, tant qu’elle est encore vivante. Tu peux tester tout ce qui se trouve ici.
L’humaine regarde brièvement autour d’elle. Elle n’a pas encore fouillé, tout regardé.
— Si tu as des questions sur les produits, tout est dans ce livre, là, fais-je en montrant un vieux grimoire posé sur l’appentis.
— C’est écrit dans une langue inconnue...
— Je vais t’envoyer mon aide de camp, pour qu’il t’aide à le déchiffrer.
Elle n’a pas l’air ravie par la nouvelle.
— Il ne te touchera pas, la rassuré-je. Tu es ma femelle, maintenant : aucun de mes chasseurs n’osera poser une griffe sur toi.
— Votre femelle ?
Rhach. La bourde... Comment ai-je pu dire un tel truc ?
— Je veux dire, mon aslith, mon alchimiste personnel.
— Je ne comprends toujours pas ce que vous attendez de moi, ose-t-elle me lancer.
— Tu comprendras en temps voulu.
Attachée sur le chevalet de torture, quand je te ferai découvrir ce que le mot « souffrance » veut dire.
Je chasse l’image de ma tête.
Il me faut une autre aslith. Vite.
— Bon, je te laisse travailler. Si tu as besoin de quoi que ce soit — nourriture, boisson, aide quelconque... Demande à Nazhrac, ou Rizhen. Ce sont les deux chasseurs directement sous mes ordres.
— Comment vais-je les reconnaitre ? demande-t-elle durement. Ils sont tout le temps en armure.
Je la regarde, un peu surpris.
C’est vrai. Je n’avais pas pensé à ça.
— Je vais leur demander de se montrer à toi. Nazhrac a les cheveux sombres, un peu moins noirs que moi. Rizhen, lui, a les cheveux dorés. Tu ne pourras pas les confondre.
Je me retourne, prêt à repartir. Puis je me rappelle. Ma dague.
— Au fait... Où as-tu mis la dague que je t’ai lancée tout à l’heure, pour délier l’aslith ?
Je peux sentir sa peur. Elle comptait donc la garder.
— Je... Elle est là, avoue-t-elle, comme à regret.
Je la laisse la sortir de sous son grabat sans me retourner tout à fait, la surveillant du coin de l’œil. Dans ses mains, on dirait presque une épée.
Voilà de quoi ça aurait l’air, si elle tenait ma queue entre ses mains.
Je me retourne. J’aime la sentir tressaillir lorsque je referme mes doigts dessus.
— Tu sais ce que ça veut dire, lorsqu’un des nôtres donne sa dague à une femelle ?
Elle secoue la tête, mortifiée.
— Bien sûr. Tu ne peux pas le savoir...
Je la lui prends les mains. Elle ne m’oppose aucune résistance.
— Trouve cette formule, glissé-je en me penchant tout près de son petit visage apeuré.
Elle hoche la tête, rapidement.
— Bien, fais-je en me redressant.
Plus vite elle la trouvera, plus vite je pourrais assouvir mon envie, cette bizarre obsession que j’ai pour elle. Et passer à autre chose.
Annotations