Chapitre 1
Chapitre 1
3 ans plus tard…
L’émissaire Jarga du dôme Bénédiction avançait très lentement, comme s’il portait tout le poids du monde sur ses épaules et il s’avérait malheureusement que c’était le cas. En tant que haut médiateur, il avait été sélectionné pour conduire les négociations et puis, pour répandre la nouvelle dans les petits dômes secondaires qui n’auraient pas le pouvoir de refuser leurs choix. Il avait emprunté le vieux réseau souterrain qui permettait de rallier Bénédiction et ses dômes secondaires afin de procéder à des évacuations de masses si nécessaire. Chaque dôme était auto-suffisant et le commerce vivement découragé, alors en dehors de quelques mouvements de populations tout à fait anecdotiques, les tunnels n’étaient jamais employés. Il avait demandé à ce qu’on l’attende à mi-chemin, au niveau de l’une des bouches d’évacuations permettant de regagner la surface. Ils l’attendaient, là-dehors. L’idée même le faisait frémir.
Il marcha, lentement, jusqu’à l’entrée où un petit panneau annonçait « mille-six-cent-soixante-et-onze habitants », soit une petite centaine de naissance tous les cinq ans. C’était une toute petite communauté, soudée et heureuse. Son record de bonheur était de « quatre-vingt-dix-huit » et il était fièrement affiché à côté de leur bonheur actuel, quatre-vingt-six. Ce chiffre tomberait lorsqu’il parlerait et il tomberait encore plus bas lorsqu’il repartirait. Cette pensée seule suffisait à le déprimer.
Jarga rentra dans le dôme qui était très joli et très bien arrangé, nota-t-il, et il avança jusqu’au hall des anciens où on le recevrait. Après tout, il était attendu. Il fit de son mieux pour ne penser à rien. Pour ne pas se concentrer sur ce qu’il savait, pour ne pas se morfondre et pour juste agir comme il le devait, mais c’était difficile. De toute sa carrière, c’était sa mission la plus dure.
Les anciens le surent juste en le voyant avancer, de loin, les épaules voutées et l’air triste. Ils se regardèrent les uns et les autres un moment, sachant déjà qu’ils entendraient des choses pénibles. Tout le monde craignait le nouveau démantèlement d’un dôme secondaire comme ça avait pu se produire dix générations plus tôt. Le manque de ressources premières était toujours un problème, malheureusement, leurs ancêtres avaient simplement tout consommé et la planète mettrait des millénaires avant de produire de nouveau ce qui leur manquait. Parfois, pour sauver un grand dôme, il fallait juste accepter de redistribuer les ressources et laisser chuter un petit peu la population mondiale.
Jarga leur fit un sourire doux lorsqu’ils lui offrirent de quoi se restaurer et il s’installa dans un large fauteuil confortable devant l’un des paniers de fruits produits par le dôme.
- Emissaire Jarga, je me présente, Ancien Luvan.
Jarga acquiesça poliment et laissa, chacun d’entre eux, se présenter à tour de rôle. Puis très lentement, il prit un peu d’eau et posa le porte-document devant lui. Il était épais. Tristement épais.
- Anciens. J’ai de bonnes et de mauvaises nouvelles. Commençons par les bonnes. Nous avons eu un contact extra-terrien.
- Un contact ?
- Une délégation est venue à Bénédiction, mais Abondance et les autres dômes principaux ont également été visité. Toutes les preuves ont été réunis et tous les dômes sont formels.
Il y eu un grand moment de silence puis, lentement, l’un des anciens demanda à voix basse :
- Sommes-nous en guerre ?
La guerre, ce concept avait cessé d’exister depuis plusieurs siècles maintenant mais ils l’avaient étudié en devenant Ancien et c’était ce contre quoi il devait lutter pour le bonheur de tous.
- Non. Nous ne sommes pas en guerre. En réalité, les délégations se sont montrées tout à fait amicales. Elles proposent de nous offrir une technologie qui permettrait de stabiliser notre climat extérieur. Pas de le contrôler, pas de le plier à notre volonté, mais d’éviter les changements brutaux.
Une agitation toute nouvelle prit les membres des Anciens, une telle promesse signifiait qu’un jour, ils pourraient peut-être visiter l’extérieur des dômes comme leurs lointains ancêtres, sans s’inquiéter de se prendre un coup de foudre ou un grêlon aussi gros que leur propre tête. Sans s’inquiéter de mourir de froid ou de brûler sous les rayons de leur soleil.
- Ce serait … miraculeux.
- Ca l’est. Ca a été testé et ça l’est encore, en ce moment même.
- Où ça ?
- A mi-chemin entre Bénédiction et votre dôme, à l’embranchement.
- C’est fonctionnel ?
- Oui. C’est en état de marche.
Manoï, la plus âgée d’entre tous hocha mollement de la tête, puis, elle demanda, d’une voix nouée.
- Quelles sont les mauvaises nouvelles ?
- La délégation nous a expliqué qu’ils fonctionnaient sur un système d’échanges équivalents. Ils ne savent pas ce que nous pouvons offrir, notre technologie ne les intéresse pas, pas plus que nos matières premières, alors ils ont fait une proposition que les dômes principaux ont acceptés. Vous devez comprendre que cette technologie nous ouvre des possibilités immenses et la proposition en elle-même en ouvre tout autant.
- Emissaire… Dites-le nous simplement.
- Ils veulent des émissaires qui rejoindront chacune de leurs… espèces afin d’essayer de découvrir si nous pouvons leur apporter quelques choses. En cas de réponses positives, ils proposeront des échanges équivalents. Bref, ils nous enverront des cadeaux. Ils peuvent résoudre tous les problèmes de l’humanité à terme.
Jarga avala un peu d’eau, baissa les yeux et lâcha doucement.
- C’est une bonne chose.
- Nous allons devoir fournir de futurs émissaires.
- Oui.
Ils hésitèrent un moment avant de demander.
- Combien d’émissaires voudriez-vous ?
- Nous offrons dix pour cent de notre population mondiale.
Un grand silence se fit. Ils avaient tous appris, dans leurs jeunes âges, à maîtriser leurs émotions mais la nouvelle fut difficile à entendre et à accepter. D’autant plus lorsque Jarga énonça la suite.
- Ce ne seront pas des volontaires. La fédération a choisi les profils qui sont le plus susceptible de correspondre à leurs besoins.
- Cent-soixante-sept ? Vous allez nous prendre cent-soixante-sept personnes ?
- Oui. Nous avons négocié pour que ce soit uniquement des personnes relativement matures. Les plus jeunes auront dix-sept ans. J’ai ici la liste des personnes sélectionnées. Excusez-moi, Ancien Luvan, mais vous en faites partis.
L’ancien hocha simplement du chef comme si la nouvelle ne l’affectait pas. Ce n’était pas vrai. Il essayait juste d’en comprendre l’implication exacte. Combien d’espèces existait-il là dehors pour pouvoir prendre autant de personnes comme émissaires ?
Le choc n’en finissait plus car Jarga expliqua, avec cette voix douce et épuisée, qu’ils allaient devoir partir le jour-même. Les besoins des autres espèces étaient importants, vitaux même, et les faire attendre étaient vu comme une agression et un non-respect de leur offre. Assis dans leurs fauteuils, pourtant confortables, les Anciens avaient l’impression d’être tombé en enfer.
- Rappelez-vous… Stabiliser notre climat, c’est la promesse de sauver des centaines de vies et si un seul de ces émissaires parvenaient à remplir un besoin, il aiderait une autre espèce et nous serions de nouveau aidés. Ils ont les compétences pour réparer les erreurs du passé.
- Oui… mais à quel prix ? demanda l’Ancienne tout en se levant péniblement pour récupérer la liste.
Elle connaissait personnellement presque tous ces gens. Elle savait qui ils étaient et à quoi ils aspiraient. Elle savait ce qu’elle allait leur arracher.
- Nous les réunirons dans l’heure, puis, nous ferons une cérémonie de l’espoir. Merci émissaire.
***
La cérémonie de l’espoir était une cérémonie dédiée aux situations de crises. Elle leur rappelait la création du dôme de l’Abondance et des deux autres qui avaient suivi, péniblement, au milieu des catastrophes naturelles. Elle leur rappelait que lorsque tout semble perdu, il existe encore une voie et un chemin.
Manoï, l’ancienne qui était vue comme la grand-mère de chacun s’approcha du centre de l’assemblée, au fond du creux de leur dôme où ils s’étaient tous réunis et il y eu un grand et profond silence alors que chacun se taisait pour entendre sa faible voix.
- Mes amis, mes enfants, … J’aimerais ne pas apporter d’ombre à votre cœur. J’aimerais vous dire que ce qui se produit ne sera que juste et bon. Je sais, malheureusement, que nous en éprouverons bien de la tristesse. Je sais, malheureusement, qu’il restera des trous béants dans nos cœurs. Ce que nos ancêtres ont fait nous a laissé affaibli, sur une planète inhospitalière et si nous ne leur en voulons pas, nous devons néanmoins vivre avec cette charge. Aujourd’hui, des étrangers, des inconnus, vont nous aider et apaiser notre triste monde et nous devons en éprouver de la joie. Nous devons également nous faire reconnaissant et accepter leurs conditions. Notre dôme offrira cent-soixante-sept émissaires. Nous allons vous dire les noms, vous ferez vos adieux et vous irez remplir une simple mission. Nos bienfaiteurs ont des problèmes et des besoins. Ils ne sont en rien comme nous mais en remerciement, vous devrez essayer de les aider. Agenouillez-vous maintenant et méditons.
Ils lui obéirent tous comme un seul homme, sans vraiment comprendre ce qu’elle avait dit et les implications que ça aurait. Une autre personne commença à égrener les noms, les invitant à faire leurs adieux et à quitter le dôme. Ils partaient aussi simplement que ça. Tili était installé avec ses amis, il avait saisi et serré leurs mains, angoissé au possible. Les noms étaient maintenant ceux de sa génération. Ça avait commencé par les Anciens et lentement, de générations en générations, ça c’était rapproché deux.
- Lisi.
Elle le regarda avec un air perdu, murmura quelques mots rendus incompréhensibles par son angoisse et se leva en tremblant comme une feuille. Aussitôt, deux plus âgés l’aidèrent.
- Nixi.
Leur ami c’était levé d’un bond, hochant juste de la tête vers eux avant de rattraper Lisi et de lui promettre qu’il venait avec elle, au moins pour un moment. Tili les regardait sans comprendre. On ne pouvait pas les arracher à lui et à leur famille juste comme ça. Son nom dû être répété pour qu’il comprenne. Il était appelé lui aussi, comme la majorité des jeunes de son âge. Il se leva, un peu perdu, observa Kimi qui le regardait avec horreur en comprenant que soit il serait appelé, soit il resterait seul sans ses amis.
- Ca va aller Kimi… Ca va aller. Murmura Tili en s’éloignant, le cœur lourd.
Il rejoignit rapidement le reste de ses amis et saisit leurs bras en tremblant. Ils se regardèrent les uns les autres, tristement. C’était étrange, pour la première fois depuis très longtemps, ils n’étaient pas heureux. Oh ils avaient goutté à ce sentiment morose et pénible, mais jamais ils ne l’avaient vécu tous ensembles. Pour la première fois, ils étaient aussi tristes les uns que les autres et personne ne se sentaient les épaules ou les capacités de réconforter qui que ce soit. Pas quand ils avaient tous aussi peurs.
Très lentement, ils se mirent en route, en convoi, dirigés par l’Ancien Luvan et un inconnu, le premier que le groupe d’ami n’est jamais vu. Accroché au bras de Lisi, Tili tentait de se calmer et de se remémorer les mots exacts de l’Ancienne pour en extraire les messages importants qu’il aurait pu louper mais très vite, il n’y pensa plus. Le convoi se dirigeait vers la sortie d’urgence du dôme, un endroit qu’il avait adoré explorer plus jeune mais dont il n’avait jamais passé la porte. Cette fois-ci, ils sortaient.
Il jeta un dernier coup d’œil en arrière, observant le haut de son dôme, observant au loin, l’attroupement qui poursuivait la cérémonie de l’espoir et il comprit, d’une manière viscérale que tout ça était perdu. Il ne le retrouverait jamais. Il ne reviendrait jamais. Nixi à côté de lui explosa en sanglots secs et ce n’était pas le seul à pleurer. Les plus âgés avançaient la tête basse et certains avaient les poings si serrés que leurs jointures étaient blanches. Tili n’avait jamais vu ça.
Au moment de passer la porte, il eut un instant d’hésitation. Il eut envie de courir, de rejoindre les autres et de s’accrocher à n’importe qui en suppliant pour qu’on le garde. Il était si jeune encore. On ne pouvait pas leur faire ça alors que ce qui semblait être encore hier dans son esprit, hier, c’était son enfance. Hier, il était ce gamin qui jouait près de cette porte en imaginant ce qui se trouvait de l’autre côté.
Il se retrouva à avancer dans le couloir, au milieu de tout les autres, à observer le plafond sombre fait de terre d’arc de fer. Lorsqu’ils s’arrêtèrent enfin, ils attendirent un moment avant que des murmures ne parcourent la foule.
A l’arrière du groupe, Tili mit un long moment avant de comprendre ce qu’il se passait. A l’avant, ils refaisaient l’appel et pour chaque personne, l’émissaire inconnu, disait quelques mots, puis, ils montaient dans l’un des ascenseurs qui grimpait vers la surface. Ils allaient dehors, là où seule la mort pourrait les attendre, mais jamais oh grand jamais leurs Anciens n’auraient pu les condamner à ça, alors ça voulait dire qu’il y avait une porte de sortie. Il n’y avait presque plus personnes lorsqu’on appela Lisi. La jeune femme avança avec tout le courage qu’elle ne possédait pas. Tili était bien assez proche pour entendre ce qui était dit.
- Lisi, tu vas rejoindre une espèce extra-terrestre humanoïde. J’espère que tu t’intègreras bien et que tu sauras les aider tout en trouvant ton propre bonheur.
Elle acquiesça, faisant bouger ses longs cheveux blonds bouclés. Elle posa ses yeux sur eux et murmura :
- Au revoir…
Mais son ton disait « adieu ». Elle grimpa dans l’ascenseur, alors que les larmes coulaient sur ses joues. Ses amis l’observaient sans savoir quoi dire, tout en sachant qu’ils seraient les prochains à être appelé.
- Nixi, tu vas rejoindre une espèce très différente de nous. Tu auras un grand défi à relever mais tu es la personne idéale pour le faire. De ton courage dépends l’avenir d’une espèce et j’espère que tu trouveras le bonheur.
Nixi acquiesça et déjà, l’émissaire appelait son ami.
- Tili, tu vas rejoindre une espèce très différente de nous. Tu auras un grand défi à relever. J’espère que tu sauras être heureux auprès d’eux…
Tili déglutit devant l’hésitation de l’émissaire qui finit par ajouter doucement, si doucement que personne d’autre n’entendit.
- N’oublie pas que tes efforts protègent l’humanité et que ta réussite pourrait nous sauver totalement. Tu nous offres le bonheur et nous t’en remercions.
Le jeune frémit, ça sonnait comme une condamnation mais il monta dans l’ascenseur sans savoir ce qui l’attendait à la surface. Là, enfermé entre quatre murs, il essaya de regrouper les informations qu’il possédait à présent. Extra-terrestre… Espèce très différente… Il n’avait pas envie d’y réfléchir et déjà, il arriva à la surface.
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