Souviens-toi #3

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5 heures du matin. Le réveil sonne. Dire que la nuit a été un enfer serait un putain d’euphémisme ! Difficile de trouver le sommeil avec cet homme nu à côté de moi. J’ai écouté sa respiration en laissant les minutes s’égrener une à une, obsédée par la fuite du temps et l’idée qu’il y aura peut-être de nouveau des mois entiers qui s’écouleront avant une prochaine rencontre.

A deux reprises, j’ai senti son érection contre ma peau et je me suis fait violence pour calmer mes ardeurs. Mon corps, bien qu’engourdi de fatigue, vibrait d’une tension sexuelle inhabituelle. Mon esprit, parfaitement réveillé, me suggérait vivement de grimper sur mon complice et d’abuser de lui dans son sommeil, en m’empalant, lentement mais sûrement, sur son sexe érigé. Les images tournoyaient dans ma tête.

A bien y repenser, je suis surprise d’avoir de telles pulsions en sa présence. Je me suis interdit de le réveiller, pour le laisser se reposer. Mais maintenant que le réveil a sonné… ma faim de lui se réveille, déraisonnable et inéluctable.

— Il faut se lever, marmonne-t-il en se frottant le visage.

— Tu as bien dormi ? fais-je innocemment.

— Non. Tu bouges tout le temps.

— Et toi tu ronfles.

— N’importe quoi, bougonne-t-il.

— J’ai envie de toi, avoué-je précipitamment. Je n’ai pas beaucoup dormi… J’ai eu envie de toi toute la nuit.

Il me regarde, l’air amusé.

— Je ne suis pas du matin, déclare-t-il.

Ça, je n’en ai rien à … ! Je fais taire ma répartie cinglante. J’ai envie de rire nerveusement, surprise par cet esprit lubrique et sexuellement agressif qui me possède. Ce n’est pas moi. Cela ne me ressemble pas. Je prends sa main pour la poser sur mon ventre, puis je la guide entre mes cuisses.

— Touche-moi…, soufflé-je en ondulant contre sa paume.

— Je rêve ou tu te sers de moi comme d’un objet là ? gronde-t-il.

— S’il te plait, imploré-je en me collant contre lui.

Il émet un petit rire.

— C’est une très mauvaise idée. Tu vas être frustrée dans quelques minutes.

— Je m’en fous !

Je ferme les yeux en gémissant.

— Calme-toi, me réprimande-t-il en me mettant une petite tape sur le sexe.

Outch ! Je rouvre les paupières et le dévisage, sidérée. Ses yeux noirs brillent d’une lueur diabolique. Il réitère. Je sursaute. Mon pouls s’accélère. Ses doigts restent en suspens à quelques centimètres de mes lèvres avant de les gifler à nouveau doucement. Je me cambre, haletante. La sensation est des plus excitantes. Je me sens mouiller, frémissant à l’avance du prochain contact. Il recommence, avant de plonger ses doigts en moi. Oh bordel… Je sens que je pourrais jouir en très peu de temps.

— Allez ça suffit, déclare-t-il en s’arrêtant.

Oh non, ça ne suffit pas. Il passe par-dessus moi pour se lever du lit, mais je le retiens. Je l’emprisonne, nouant mes bras autour de son cou, et mes jambes autour de sa taille.

— Non, ne me laisse pas…, soufflé-je. J’ai trop envie de toi.

— Putain mais qu’est-ce qui t’arrive ce matin ? Tu es insupportable !

Il m’arrive que faire l’amour une seule fois n’a pas suffi à étancher ma soif de toi après six mois d’absence. Que je t’ai désiré toute la nuit. A n’en pas dormir. Que j’aimerais te donner autant de plaisir que tu m’en as offert. Que je sais que l’on va se quitter dans les minutes qui arrivent et que je n’ai pas la moindre idée de quand je te reverrai… ni même si je te reverrai un jour.

— Je te veux, chuchoté-je enfiévrée en déposant une pluie de baisers le long de sa gorge et sur ses épaules. Ne me laisse pas repartir comme ça…

Je ferme les yeux. Mes mains parcourent son corps, comme pour garder en mémoire chaque détail, chaque relief de sa peau. Il y a quelque chose de désespéré au fond de moi, quelque chose qui redoute de partir, quelque chose qui tremble de peur sans que j’arrive à l’identifier avec discernement. Il est la raison de mes errements, la cause de mes doutes. Ma plus grande faiblesse. Et ma plus grande source d’excitation.

— Une vraie petite chienne, murmure-t-il de sa voix chaude.

— J’t’en prie… S’il te plait… Baise-moi.

Les mots sont lâchés. Cela m’est bien égal. Je suis hors contrôle. Il se redresse, mais je garde mes jambes enroulées autour de lui. Je suis en feu. Je brûle pour lui. Une main tendue vers lui comme une invitation, je me caresse de l’autre en me frottant contre lui, mon regard rivé au sien. Je ne crois pas m’être un jour comportée de cette manière avec un homme. Je me sens indécente et corrompue, jouissant d’avance du plaisir de le faire céder et de le rallier à ma cause.

— Tu es extrêmement excitante… J’aime te voir comme ça, avoue-t-il.

Je sens un sourire de satisfaction perverse fleurir au coin de ma bouche. Il se lève.

— Habille-toi, me dit-il soudain en me tendant mes vêtements.

Quoi ? C’est la douche froide. Je le regarde sans comprendre. Il plaisante ? Il n’est pas sérieux ?

— Je t’avais dit que ce n’était pas une bonne idée. Il faut partir maintenant. Habille-toi, répète-t-il.

J’ai l’impression que tout s’est brusquement figé en moi. Mon cerveau est en black-out total. Je suis incapable de la moindre réaction. Je m’assois en prenant mes affaires, machinalement. Je commence à m’habiller comme un automate. Je garde les yeux rivés au sol, évitant à tout prix de croiser son regard. Ne pense pas. Ne réfléchis pas. Pas maintenant.

— Pauvre petite chose frustrée, raille-t-il. Je suis sûre que tu vas te toucher direct en arrivant chez toi. Sinon tu n’auras qu’à demander à un de tes plans cul de te soulager ce week-end…

Je prends cette dernière réflexion de plein fouet, comme une gifle. Elle m’achève. Je fixe le sol en contractant les mâchoires pour empêcher mes lèvres de trembler. Ne le regarde pas. Ne réponds pas. J’ai envie de lui hurler dessus, de l’insulter, de lui dire qu’il n’a rien compris, que je n’avais pas qu’une simple envie de baiser, mais une envie de lui, que rien ni personne ne pourrait soulager. Je me demande s’il mesure l’impact de ses actes et de ses paroles sur moi. Stop. Pars d’ici. Maintenant.

Je me lève pour boutonner mon jeans. Il me semble qu’il dépose un baiser sur mon épaule, mais je le remarque à peine. Je crois qu’il me dit quelque chose à propos de la route, mais j’ai l’esprit trop confus pour comprendre. J’enfile mon manteau et attrape mon sac à main. Je me retourne pour lui dire au revoir. Je ne pense qu’à fuir, avec les lambeaux de mon amour-propre. Une brève accolade. Il m’embrasse sur la joue.

— A bientôt ? fait-il, malicieux.

Rien n’est moins sûr.

— Sois prudent sur la route, me borné-je à répondre.

Et je pars sans me retourner. Il fait encore nuit et le froid mordant me transperce, me réveillant progressivement de ce brusque état léthargique. Je marche vite jusqu’à la voiture dans laquelle je m’engouffre. Je démarre le moteur. J’augmente le chauffage. Je branche le téléphone et configure le GPS pour la route de retour. Les vitres sont recouvertes de givre. J’ouvre la boîte à gants pour prendre la raclette. Je ressors dans le froid pour gratter le pare-brise. L’air glacial me brûle les doigts mais je n’en ai cure. J’effectue toutes ces opérations de façon mécanique, m’interdisant de penser.

Je quitte le parking et rejoins l’autoroute où je m’insère. Il est très tôt, il n’y a que très peu de monde sur les trois voies. Je règle le régulateur de vitesse à 132 km/h. Je me frotte la bouche et constate que je tremble. Mes fonctions mentales se reconnectent progressivement.

Impossible. C’est impossible de clore une rencontre de façon aussi lamentable. Ma confiance en moi vient de s’effondrer. J’ai supplié cet homme de me baiser... J’ai employé ce terme que j’évite habituellement, par pudeur. Je l’ai chauffé comme jamais je n’ai chauffé personne. Et il n’a pas été sensible à l’appel. Je repense à mon attitude de « chaudasse » et j’ai honte de moi-même.

La balance était trop déséquilibrée. Son désir n’était pas en accord avec le mien. Je ne peux pas en vouloir à un homme de ne pas me désirer. Mais il y a longtemps que je n’ai pas ressenti cette sensation de rejet… Tout se mélange et se télescope dans ma tête, et je n’arrive plus à penser objectivement et à relativiser. Je me sens juste très mal.

Je ne le reverrai pas. Je ne peux plus.

Ma playlist se déroule sur mon téléphone connecté en Bluetooth, et To let myself go de The Avener emplit l’habitacle. Mes larmes se mettent à couler le long de mes joues et je les essuie du revers de la main. Je m’exhorte au calme. Il fait nuit, je roule sur l’autoroute. Ce n’est pas le moment de craquer. Je me concentre jusqu’à arriver à destination.

L’aube est encore loin lorsque je verrouille ma porte d’entrée derrière moi. Je me déshabille et fourre directement tous mes vêtements dans la machine à laver. Je me savonne énergiquement sous une douche brûlante, comme si je voulais effacer toute trace de lui et de son odeur sur moi, comme si je voulais oublier la conclusion désagréable de cette nuit.

Je m’enroule nue dans mes draps froids, frissonnant et ressentant plus qu’habituellement ce sentiment de solitude. Une lumière verte clignote sur mon portable. J’ai un message. De lui. Mon cœur s’emballe.

« J’espère que tu es bien rentrée. Je suis certain que tu me détestes depuis ton départ. Mais souviens-toi : JE mène la danse. »

Point final. C’est sans appel. Je laisse tomber le téléphone sur le matelas en enfouissant ma tête dans mon oreiller. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?

[Fin]

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