CHAPITRE I
Du plus loin que je me souvienne, je crois que je ne suis jamais allé deux années consécutives dans la même école, cette année mise à part bien sûr puisque pour la deuxième fois j’ai retrouvé en septembre le chemin du collège Aristide Briand où je suis arrivé en 4ème.
Au début, je n’y avais pas prêté attention et puis, nous avons déménagé plusieurs fois alors c’est vrai que c’était logique, mais quand j’ai grandi, j’ai compris…
Cela fait presque deux ans que nous sommes arrivés à Nantes et j’ai été vraiment très heureux de retrouver mes copains quand le mois de septembre est venu. Enfin, pour la première fois, j’ai pu aborder presque sereinement la rentrée. C’est un moment qui est toujours difficile pour moi, j’irai presque jusqu’à dire douloureux. Je déteste ce sentiment d’insécurité qui me prend aux tripes à partir de mi-août quand je commence à me projeter sur l’année scolaire à venir et qui, au fur et à mesure que le mois avance, ne fait qu’empirer au point de m’empêcher de dormir ou qui me fait faire des cauchemars quand j’y suis enfin parvenu.
Et puis, je n’aime pas en parler alors je garde tout pour moi et ce n’est pas cela qui apaise mes tourments.
Bien sûr, mes parents s’en sont aperçus mais comme j’allais presque jusqu’à le nier, ils ont mis cela sur le compte du « blues de la rentrée » classique qui affecte presque tous les jeunes à la fin des vacances. Pour moi, c’était beaucoup plus que cela mais je ne voulais pas rajouter aux soucis habituels qui suivent un déménagement ou un changement de travail et je ne disais rien. Je me taisais et je priais pour que la nouvelle année soit enfin placée sous le signe d’une bonne étoile et en espérant que nous serions épargnés.
J’ai du prier très fort l’année dernière parce que c’est vrai, tout s’est bien passé. Je veux dire, juste normalement, comme une année banale pour un élève ordinaire. Je ne m’en suis pas tout de suite rendu compte car quand tout va bien, on ne passe pas son temps à s’interroger sur sa vie ; on vit tout simplement ! Et moi, j’ai enfin pu vivre.
C’est en juin que nous en avons parlé et je me rappelle avoir souri de bonheur quand Stéphane m’a parlé de mon passage en 3ème et de ma réinscription au collège. Il a souri lui aussi et a passé sa main autour de mes épaules.
-« J’ai l’impression que nous avons trouvé la bonne école, enfin !
-« Oui, moi aussi ! » reprends-je vivement.
-« Je sais. Nous aussi, on est soulagés… »
On n’a rien dit de plus mais à la maison, tout le monde a bien senti que l’atmosphère était légère et insouciante et c’était tellement espéré…
Alors cette année, la rentrée, ce fut presque un non-évènement. Bon, j’ai bien eu du mal à m’endormir la veille du jour J mais franchement mes angoisses se limitaient à la peur de ne plus me retrouver avec les amis que je m’étais faits l’année dernière alors j’en ai presque ri !
-« Diego, tu viens m’aider à le couler, toute seule je n’y arrive pas ! »
Je relève la tête, surpris très loin dans mes pensées et je souris à Sophie qui s’agite dans la piscine et me fait de grands signes de la main.
-« J’arrive Sophie ! »
Aussitôt, je me lève et viens plonger dans le bassin pour la secourir. C’est après Sébastien qu’elle en a ; il a du lui faire une vacherie avant de s’enfuir à l’autre bout du bassin.
-« On avance chacun de notre côté comme ça il sera coincé ! » dit-elle.
-« T’inquiète, je ne le laisserai pas passer ! »
Nous nous rapprochons et acculons Sébastien contre un des bords.
-« Attention, il se sauve ! »
Effectivement, Sébastien prend appui sur le bord et commence à s’extirper du bassin mais pas assez vite et j’attrape ses pieds pour l’empêcher de s’enfuir.
-« Ah ah ah ! On croyait pouvoir filer !
-« Ah non, au secours ! »
Je le bloque et comme il est en déséquilibre il retombe à l’eau en m’éclaboussant. Il s’en suit une gigantesque bataille d’eau où tour à tour chacun de nous se retrouve en position de force et puis soudain au fond de l’eau agrippé par des mains traitresses qui essayent de lui faire boire la tasse.
-« Non mais vous n’avez pas fini un peu, il n’y a presque plus d’eau dans la piscine ! » intervient Stéphane qui se dorait au soleil bien installé dans son transat. « De vrais gamins ! Venez plutôt vous sécher, on va prendre un petit goûter !
-« Ah oui, j’ai faim !
-« Ca j’en étais sûre, t’es un ogre !
-« C’est parce que je grandis, il faut que je prenne des forces ! » tente-je de me justifier en m’extirpant souplement de l’eau.
-« C’est vrai que tu es presque un homme maintenant. Tu es plus grand que moi !
-« Ouais et c’est pas terminé ! Je compte bien en dépasser d’autres !
-« Allez, petit homme, viens m’aider à préparer le goûter au lieu de faire le fanfaron ! » reprend Stéphane en souriant."
Je m’essuie énergiquement et le rejoins dans la cuisine où il s’affaire déjà.
…
Tante Sophie, la sœur de Sébastien, est partie après le goûter en invoquant une grosse semaine à préparer et nous sommes restés tous les trois sur la terrasse à profiter de la chaleur de la fin d’après-midi de cette belle journée de juin. J’ai pris le livre que je suis en train de dévorer en ce moment et je me suis installé sur le transat tandis que Stéphane et Sébastien entamaient leur partie d’échec quasi-quotidienne. Le silence s’est fait et mis à part les bruits lointains du voisinage, qui nous parviennent très atténués, le cours de notre vie tranquille a repris ses droits. Enfin, ce n’est pas toujours tranquille, je dirai même qu’assez souvent c’est un peu agité comme tout à l’heure quand nous nous chamaillions dans l’eau mais si Sébastien est plutôt quelqu’un qui parle et bouge beaucoup, Stéphane, lui, est beaucoup plus pondéré, un peu le style méditatif, et moi, je suis juste un ado qui déborde de vie comme la plupart des garçons de mon âge.
-« Echec. »
Je lève la tête et je vois Stéphane qui grimace.
‘Il va encore se faire battre à plate couture !’
Je le vois plisser les yeux et se concentrer au maximum pour tenter de contrer l’attaque de Sébastien. Ce dernier sentant certainement mon regard posé sur eux, lève les yeux dans ma direction et me fait un clin d’œil en souriant.
‘Ouais, je suis sûr que Steph est cuit !’
Je reprends ma lecture, un livre que m’a conseillé Stéphane ; c’est Le parfum de Süskind, « tu verras un classique qui se lit comme un policier » m’avait-il dit et je dois reconnaître qu’il avait raison encore une fois. Je sais que je peux lui faire confiance, après tout, il est prof de français alors il est plutôt bien placé pour me parler de livres.
-« Echec et mat ! »
Ca y est, Stéphane est mort ; j’en ai la confirmation par la tête un peu désabusée qu’il fait et le sourire discret de Sébastien.
-« Si je ne me trompe pas, ça doit bien faire cinq jours que tu prends la pâtée, Steph ! » ne puis-je m’empêcher de claironner avec une pointe d’ironie.
-« 7 jours, pour être exact … » renchérit Sébastien.
-« Oh ça va tous les deux, je n’abandonne pas, je prendrai ma revanche demain ! »
Sébastien et moi échangeons un regard complice mais nous n’en rajoutons pas.
-« J’ai des copies à terminer, c’était bien le gagnant qui devait préparer le repas, non ?
-« Ah oui, c’est un peu facile ça mais moi aussi j’ai du boulot !
-« Bon alors si vous me dites ce que vous voulez manger, c’est moi qui prépare le repas !
-« Toi ?
-« Ben oui, moi aussi j’en suis capable ! Et puis ça me fait plaisir de cuisiner pour mes deux papas … »
…
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