CHAPITRE XXI
Un peu surpris qu’il s’adresse à moi, je réponds sans conviction.
-« Heu salut …
-« Tu ne me reconnais pas ?
-« Heu non, désolé… » réponds-je embarrassé en tentant vainement de mettre un nom sur ce visage inconnu qui m’interpelle.
Il faut dire qu’avec ses lunettes de piscine et le bonnet de bain qui lui recouvre la tête, je pense que je ne reconnaitrais pas mon meilleur ami !
Un petit sourire triste passe sur la figure de l’inconnu.
-« Ah… »
Je crois cependant qu’il a dû suivre le même cheminement de pensées que moi parce que presque aussitôt il baisse ses lunettes et enlève son bonnet.
-« Et comme ça ?
-« Ah oui, t’es dans ma classe en allemand, c’est ça ?
-« Oui ! Ah quand même ! Un instant tu m’as fait douter.
-« Heu par contre je sais plus ton nom… désolé… j’me rappelle qu’il est compliqué…
-« Thibaud ! Thibaud Winogravski !
-« Oui c’est ça… heu désolé Thibaud… moi, c’est Diego !
-« Oui je sais, Diego Brisset ! Tu es au premier rang à côté d’une fille…
-« Ouais, c’est ça !
-« Tu viens souvent à la piscine ? C’est la première fois que je te vois ?
-« C’est parce que c’est la première fois que je viens ! Enfin pas tout à fait mais presque. D’habitude je vais aux Dervallières ou à la Cholière …
-« Thibaud ! Qu’est-ce que tu fais ? Je t’attends pour les séries de crawl ! »
L’entraineur du club de natation s’est approché de nous ; sur son tee-shirt blanc je lis « Cercle Léo Lagrange » écrit en lettres bleues. Surpris, nous nous retournons et Thibaud lui répond.
-« J’arrive Bruno, je vais pisser et j’arrive ! »
Il se dirige vers l’échelle et me glisse en passant.
-« Je finis mon entrainement dans une demi heure, si tu veux on pourra nager ensemble après ?
-« Heu oui… d’accord…
-« Ok, je file ! A tout à l’heure ! »
Il se hisse prestement hors du bassin et sans courir mais tout de même très rapidement, il disparaît par la porte qui mène aux vestiaires et aux toilettes.
‘Purée, la honte ! Je l’ai pas reconnu… ça craint !’
…
Après le départ de Thibaud, je me suis remis dans le bain et j’ai suivi le programme que je m’étais établi.
Premier jour, commencer doucement, essayer de nager souplement sans forcer, 200 mètres sans s’arrêter.
J’avoue qu’à partir de la troisième longueur de bassin, j’ai un peu souffert et que pour la dernière, j’ai du puiser dans mes ressources mentales ; j’ai fini avec les épaules en feu et comble de l’ironie avec un mal de dos que je n’avais pas en arrivant !
‘Bon ben je dois pas avoir la technique ou alors j’aurai dû m’arrêter avant !’
Ce n’est pas facile de se fixer des objectifs quand on ne connaît pas la discipline. S’arrêter trop tôt, c’est comme ne rien faire ; il faut un minimum d’efforts pour progresser. Mais trop en faire c’est tout autant contre-productif et c’est la meilleure façon de se faire mal et ou de se décourager !
Après m’être arrêté pour me reposer un peu, j’ai jeté un œil de l’autre côté des bouées. J’ai aperçu Thibaud, que j’ai reconnu à son maillot rouge, ainsi que plusieurs autres garçons et filles qui enchainaient les longueurs à un rythme impressionnant. Je pense qu’ils ont dû en faire une vingtaine pendant leur dernière demi heure d’entrainement…
Moi, j’en avais un peu assez d’être dans l’eau et puis comme elle est plutôt fraiche, quand tu arrêtes de nager, tu te refroidis vite, alors je suis sorti du bassin et je me suis enroulé dans ma serviette. Je me suis assis dans les gradins déserts et je les ai regardés.
…
A cinq heures moins le quart, j’ai vu tout le monde quitter le bassin.
‘Ca y est, ils ont fini !’
Les garçons, dont Thibaud discutent avec leur entraineur alors que les filles sont déjà parties.
Je ne sais pas pourquoi, je suis un peu tendu…
Peut-être parce que je ne connais pas ce garçon et je me demande un peu ce que je vais pouvoir lui dire…
En même temps, s’il fait de la natation en club, il pourra me donner des conseils pour m’améliorer. Et puis, il a l’air sympa…
‘Oui, si je connais quelqu’un qui nage, ce sera peut-être moins galère…’
J’exagère un peu, je le sais ; ce n’est pas que je regrette d’être venu mais c’est vrai que nager tout seul, je ne trouve pas ça très amusant. Au foot, on est une équipe, on s’entraine ensemble et puis c’est un jeu et un sport tandis que la natation c’est un effort solitaire contre soi-même ou contre le chrono ; cela n’a pas du tout la même dimension ludique…
-« Alors t’as arrêté de nager ? T’es fatigué ? »
Surpris je relève la tête, c’est Thibaud qui s’adresse à moi en souriant.
‘Décidemment, à chaque fois il me surprend !’
-« Hein ? Heu oui, je n’ai pas l’habitude comme toi ! J’ai fait huit longueurs en dos mais j’étais crevé.
-« Ouai j’t’ai vu nager ; tu te débrouilles bien !
-« Ah bon, tu trouves ? Pourtant j’avais les épaules en feu !
-« Ouais mais ça c’est normal si tu nages pas régulièrement… »
Un petit silence gêné s’installe avant que Thibaud ne relance la conversation.
-« Tu veux que je te montre la technique pour le dos ? »
Il me sourit et je sens dans sa voix et dans le regard que me lancent ses yeux verts comme une supplique, une envie de prolonger ce moment…
-« Heu oui pourquoi pas ?
-« Super ! Suis-moi ! »
Il passe devant moi et je ne peux m’empêcher de contempler sa silhouette fine et musclée. Il a un port de tête altier, une certaine noblesse qui lui donne un air conquérant et en même temps, paradoxalement, je le sens fragile et peu sûr de lui…
‘En tous les cas, il est sympa, ça c’est indiscutable !’
On s'est remis à l'eau et il a repris.
-« Alors pour le dos, le secret c’est de faire comme si tu pouvais regarder derrière toi, ça t’oblige à mettre la tête complètement en arrière et du coup ça te place le dos bien droit avec les épaules vers l’arrière.
-« Comme ça ?
-« Oui encore plus en arrière si tu peux !
-« Ouais mais ça va me faire mal au cou !
-« Mais non, je vais te montrer ; allez, laisse-toi faire, je te tiens ! »
Je sens un de ses bras passer sous mes omoplates tandis que l’autre me tient dans le bas du dos, à la lisière de mon caleçon de bain…
Je ne sais pas pourquoi mais je me suis senti gêné et j’ai commencé à « rougir » un peu…
-« Heu c’est bon je vais me débrouiller…
-« Heu oui… oui vas-y… »
Je m’élance en poussant sur mes jambes et à ma plus grande consternation, je bois la tasse et m’arrête aussitôt pour recracher l’eau chlorée de la piscine en hoquetant.
-« Ah oui, j’avais oublié de te préciser, il faut fermer la bouche ! »
Son rire retentit à mes oreilles ; un rire cristallin et joyeux mais pas moqueur, comme un chant de vie…
J’ai tourné la tête vers lui ; son visage était lumineux et ses yeux me regardaient avec une intensité …
J’ai hésité un instant ne sachant pas trop comment réagir et puis je me suis senti à mon tour emporté par une vague de joie ; mes lèvres se sont écartées pour laisser un sourire se former avant que ma bouche muette ne s’ouvre pour laisser place à un fou rire libérateur…
…
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