THIBAUT
Mardi 4 septembre 2012
Aujourd'hui c'est la rentrée. Ce jour tant redouté par Thibaud est arrivé. Inexorablement il a vu les jours passer et la date fatidique se rapprocher. Depuis deux semaines, il y pense et chaque jour un peu plus. Depuis plusieurs nuits il fait des cauchemars et se réveille en nage dans son lit. Il est terrorisé au point que le soir il a peur de s'endormir. Il a tout essayé, se dépenser au point de ne plus avoir aucune force en courant toute la journée pour pouvoir s'endormir comme une masse d'un sommeil sans rêve, lire des livres de fantasy dont l'univers onirique pourrait l'apaiser, écouter de la musique relaxante... rien n'y a fait et plus on s'approchait de ce noir mardi, plus les menaces lui paraissent lourdes et réelles...
Quand le réveil a sonné ce mardi matin, il n'a pas grogné comme un ado qui peste contre l'école, maudit Charlemagne et ses parents, et râle en se plaignant déjà de ne plus pouvoir faire les grasses matinées qui lui sont dues. Non, il a blêmi, a refermé les yeux en espérant que ce soit encore un cauchemar et s'est retenu pour ne pas pleurer.
-"Mange quelque chose, Thibaud, tu vas avoir faim tout à l'heure !
-"J'ai pas faim...
-"Moi, je suis content d'aller à la grande école !"
Heureusement son petit frère est là. Heureusement car sans cela il se serait effondré et serait en pleurs dans la cuisine. Il aurait du écouter sa mère et continuer dans le privé à St Michel dans la continuité de son collège, enfin le collège où il avait trouvé refuge depuis deux ans. Mais non, comme un idiot stupide et entêté, il a préféré retourner dans le public parce qu'il n'aimait pas ce collège privé, strict et rétrograde avec ses cours de catéchisme et ses élèves snobs et arrogants. Comme il le regrettait maintenant !
-" Tu viendras avec moi, Thibaud ?"
-"Oui Hugo, on vient tous les deux avec toi et après je déposerai Thibaud à son nouveau lycée.
-"C'est parce que tu vas dans une nouvelle école que tu es triste Thibaud ? Je suis sûr qu'elle va te plaire, comme moi !"
...
Ils ont accompagné Hugo jusqu'à la porte de sa classe pour ce premier jour dans la grande école. Pas de larmes ni de cris, à peine une rapide embrassade et il était déjà parti rejoindre ses copains.
'J'aimerai bien être comme lui !'
-"Je vais te laisser là, je n'ai pas envie d'aller jusqu'à l'entrée, il n'y aura pas de place pour se garer.
-"Oui d'accord.
-"Ca va aller ?
-"Oui, oui, t'inquiète pas. " répond-il avec un pauvre sourire qui ne donne pas vraiment le change sur son état d'esprit.
-"Tu n'as qu'à te dire que si ça ne va pas, on te change tout de suite d'établissement. Ils étaient très déçus à St Michel que tu ne continues pas en seconde, je suis sûre qu'ils seraient contents de te reprendre !
-"Oui je sais... écoute on va déjà voir comment ça se passe aujourd'hui." répond-il en ouvrant la portière de la voiture.
-"Tu m'appelles ?
-"Promis ! A ce soir Maman !
-"A ce soir, mon grand !"
Il ne se retourne pas pour regarder la voiture s'éloigner; il a décidé qu'il ferait face à sa peur et qu'il devait affronter cette journée pour exorciser ses craintes. Il avait parlé à sa psy de la peur de cette rentrée qu'il ressentait déjà au mois de juin lors de sa séance trimestrielle.
-"C'est normal d'avoir ces craintes Thibaud, ça fait partie de la vie. Il ne faut pas voir peur d'avoir peur !
-"Heu comment ça ?
-" Tu étais dans un environnement sûr et tu quittes cette bulle pour aller dans un nouvel établissement que tu ne connais pas donc il y a forcément de l'inconnu donc matière à avoir peur. Il faut affronter cette peur pour grandir.
-"Pour grandir ?
-"Oui, pour devenir un adulte, quelqu'un d'autonome qui peut se débrouiller tout seul dans la vie.
-"Oui, je comprends... donc il n'y a rien à faire ?
-"Tu dois avoir confiance en toi et te dire que quoi que tu essayes de faire, le 4 septembre arrivera et tu devras y faire face. Je sais que pour toi c'est plus difficile que pour n'importe quel élève qui change d'école et il y a des raisons objectives à cela mais tout le monde doit affronter ses peurs qu'elles quelles soient.
-"D'accord... mais si ça se passe mal ? S'il y a des élèves qui étaient à Jules Verne et qui recommencent à à se moquer ou à m'insulter...
-"Si c'est le cas, si ça se passe mal, tu en parles à tes parents, tu prends rendez-vous avec moi, je me rendrai disponible et tous ensemble on trouvera une solution. Tu n'es plus seul Thibaud, d'accord ?
-"Oui, d'accord."
Arrivé au carrefour, Thibaud relève la tête presque machinalement comme pour vérifier dans quelle rue s'engager. Il regarde le panneau et lit "Boulevard du Massacre".
'OK, je ne crois pas aux signes ou aux horoscopes mais franchement c'est quand même un peu funeste comme signal, non ?'
Il fait beau et les lycéens qui marchent de plus en plus nombreux sur le trottoir sont légèrement vêtus ; certains garçons sont même en short. Ils sont joyeux et ne paraissent pas du tout stressés.
'J'aimerai bien être comme eux !'
Mais non, aujourd'hui il ne sera pas comme son petit frère ni comme les autres élèves qui rentrent en seconde, il devra être lui et ce n'est pas facile !
L'entrée du lycée apparait soudain devant lui ; un portail noir grand ouvert et des dizaines d'élèves agglutinés autour. Il traverse rapidement la masse compacte qui se dresse devant lui et marche rapidement vers la cour. Des panneaux balisent le chemin et il les suit jusqu'au préau d'une cour dans lequel sont affichés la liste des élèves par classe ainsi que le point et l'heure de rassemblement. Il s'en approche, regarde directement en bas de chaque page et trouve son nom dans la liste de la seconde E.
'OK, au moins je sais où je suis !'
Des élèves commencent à arriver, ils parlent fort, rient ; des interjections fusent de toute part et Thibaud qui ne connait personne et surtout qui a peur d'être reconnu par certains, se réfugie sur un banc loin de cette agitation.
...
-"Diego, Diego, on est dans la même classe ! Oh je suis contente qu'on soit ensemble !"
Il tourne la tête et voit une fille très jolie se jeter au cou du plus beau garçon de la Terre. Pas particulièrement grand, les cheveux bruns, très bronzé, mince, habillé comme n'importe quel lycéen mais avec quelque chose de différent peut-être d'oriental qui lui donne un air un peu mystérieux... Thibaud l'a vu arriver de loin et a suivi sa recherche de classe sur les panneaux le cœur battant avant de tristement en déduire qu'ils ne seraient pas ensemble. Le garçon parait surpris de la démonstration de la fille, presque gêné mais il lui sourit et le cœur de Thibaud chavire dans sa poitrine.
'J'aimerai tant être à la place de la fille !'
...
Le professeur principal les a conduits dans une salle au rez de chaussée d'un des deux bâtiments, leur a donné leur emploi du temps, les groupes, a expliqué le fonctionnement du lycée, a commenté le règlement intérieur avant de les laisser pour la pause déjeuner.
Thibaut a mangé avec sa voisine de la première heure, une fille qui avait l'air comme lui de ne connaitre personne et est revenu s'assoir dans le préau en attendant que la sonnerie retentisse. Cet après midi, ils vont récupérer les livres en première heure et les cours commencent tout de suite après selon l'emploi du temps. Il allait envoyer un sms à sa mère pour lui dire que tout allait bien, qu'il n'y avait personne de son ancien collège dans sa classe quand il a reconnu un visage familier dans un petit groupe de garçons qui passait.
'Théo Lefèvre ! Merde, c'était trop beau !'
Son cœur s'est accéléré et des souvenirs très durs lui sont revenus en tête dans un flashback douloureux. Il ne bouge pas, de toute façon il ne le pourrait pas tellement il est effrayé, et puis quand il prend conscience que le garçon ne l'a pas remarqué, lentement il se calme et retrouve ses esprits...
Les cours de maths et d'anglais qui ont suivi dans l'après midi n'ont rien apporté de significatif à Thibaud. Les profs ont l'air sympa, ils ont insisté sur la différence de rythme entre la seconde et le collège et la classe est calme donc pour l'instant, rien de spécial. En dernière heure, il quitte sa classe pour aller en allemand car ils sont regroupés avec deux autres classes de seconde. Comme le prof d'anglais les a laissés partir en retard, il se dépêche car la sonnerie de reprise a déjà retenti. Il court dans le couloir du 2ème bâtiment avec Marine à ses côtés et quelques autres germanistes juste derrière eux. Ils arrivent devant la salle ; la porte est ouverte alors Marine frappe.
-"Bonjour monsieur, excusez-nous, nous sommes les élèves de seconde E, Mme Seigneur nous a laissé partir un peu en retard...
-"D'accord pour cette fois, allez vous installer."
Thibaud n'a pas entendu la réponse du prof, ses yeux se sont posés sur un visage souriant, un garçon aux cheveux bruns, très bronzé et dont les yeux noirs légèrement étirés regardent dans sa direction...
'Diego !'
Son cœur s'est mis à cogner dans sa poitrine et en l'espace d'une seconde, toutes les craintes qu'il avait pu avoir sur cette journée sont balayées comme par magie et il sent monter en lui une envie de vivre qu'il n'a pas connu depuis plusieurs années...
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