CHAPITRE XLV

6 minutes de lecture

-"Tu veux écouter de la musique ?

-"Heu ouais bonne idée ! Qu'est-ce que t'écoute ?

-"Moi, oh ben tu sais Madona, Lady Gaga, Adèle, Justin Bieber...

-"Ah oui d'accord...

-" Et puis peut-être que je suis fan de Glee aussi !" reprend-il avec un ton narquois." Mais non je rigole, j'suis pas un cliché !

-"Oh oui bien sûr, excuse... Moi j'aime bien Glee...

-"Oui moi aussi ! Mais je la regarde quand j'suis tranquille... quand mon frère n'est pas là... En musique, j'aime bien des groupes ou des chanteurs plus anciens. J'ai découvert Michel Berger il y a quelques années, tu connais ?

-"Non mais vas-y, mets le pour voir !"

Il est allé allumer son ordi et j'en ai profité pour regarder sa chambre. Rien d'extraordinaire, un lit assez grand, un bureau avec son ordi et ses affaires de cours, une armoire et c'est à peu près tout. Le papier peint est blanc, tout simple et ce qui frappe c'est qu'il n'y a rien aux murs, pas de cadre, pas de poster.

'Ca pourrait être la chambre de n'importe qui, il ne l'a pas du tout personnalisée !'

-"Vas-y assieds toi" dit-il en me désignant le lit."C'est un chanteur français qui est mort mais c'était surtout un super compositeur. Il a écrit pour pleins de chanteuses comme sa femme, France Gall, ou d'autres.

-"Ah oui, le nom me dit quelque chose. Je crois que j'ai vu des vinyles dans la collection de mon père.

-"Bon, si tu veux je vais te raconter ce qu'il s'est passé avec Boris et les autres comme ça tu sauras tout.

-"Heu j'veux pas... enfin tu vois...

-" T'inquiètes pas, j'en ai souffert mais j'ai appris à relativiser, enfin un peu... mais de toute façon je veux que tu saches tout !"

Il a esquissé un petit sourire comme pour me montrer que ce n'était pas trop lourd alors j'ai hoché la tête.

-"En fait ce qui a tout déclenché c'est quand je me suis retrouvé en train de bander dans les vestiaires après un match de foot il y a trois ans à peu près.

-"Oui, Boris m'a dit qu'il t'avait forcé à prendre une douche !

-"Oui, d'habitude je ne jouais pas dans cette équipe et quand j'ai vu que tous les gars ou presque se déshabillaient pour se doucher, j'ai paniqué. Je savais déjà que j'étais gay et rien que de voir des gars en slips, ça m'arrivait de... réagir, alors à poil je savais que c'était foutu ! Et c'est ce qu'il s'est passé. Ils m'ont baissé mon slip et je me suis retrouvé en train de bander au milieu d'une dizaine de gars qui se moquaient de moi et qui m'insultaient. Boris et un autre gars me tenaient les bras et les mains et je ne pouvaient rien faire. J'étais humilié, complètement paniqué et quand Boris m'a demandé si j'étais pédé, j'ai dit oui...

-"L'horreur...

-"Oui, l'horreur ! J'ai dit oui pour que ça s'arrête et qu'ils me laissent tranquille et pendant 2-3 minutes, ça a été le cas ; ils ont été surpris, ils savaient pas comment réagir. J'en ai profité pour sortir des douches et me rhabiller en quatrième vitesse. Ils ont recommencé à crier et à m'insulter mais j'ai réussi à partir et je me suis retrouvé dehors. On jouait à la Cholière et c'est pas loin de chez moi alors je suis rentré à pied directement.

-"Les dirigeants t'ont pas cherché ?

-"J'en sais rien et franchement à ce moment là, je m'en foutais ! Je suis rentré chez moi, il n'y avait personne alors je suis monté dans ma chambre et je me suis effondré. C'est bizarre parce qu'avant j'ai quasiment pas pleuré, mais quand je me suis arrivé dans ma chambre, je m'en souviens encore, j'ai fermé la porte et je me suis écroulé par terre et j'ai pleuré, pleuré pendant des heures.

-"Nom de Dieu, ça devait être terrible...

-"Le pire, c'est après... Ma mère est rentrée avec mes frères et elle est venue tout de suite dans ma chambre. Le responsable de l'équipe l'avait appelée pour lui dire qu'il y avait eu un problème et que j'étais rentré à pied. Oh putain Diego, tu peux pas savoir comment c'est humiliant de raconter à ta mère que tu bandais dans les douches et que tout le monde t'insultait !

-"Oui... oui, ça doit être horrible...

-"Et le pire c'est quand elle m'a demandé si j'étais homosexuel. Je n'osais pas la regarder tellement j'avais honte et quand j'ai dit oui finalement j'ai fait une autre crise de larmes, je lui ai dit de partir, que je voulais voir personne... c'était... j'trouve pas de mots mais je me suis retrouvé tout seul dans ma chambre avec l'impression que j'étais au fond d'un gouffre..."

https://www.youtube.com/watch?v=-3-MA9hVVQ8

Je n'ai rien trouvé à dire et Thibaud s'est tu un instant. La musique qui passait en fond depuis tout à l'heure s'est alors faite entendre. Une musique douce, dont les paroles faisaient douloureusement écho à la détresse de Thibaud.

On a écouté la chanson et j'ai senti que pour Thibaud ce n'était pas n'importe quelle chanson puis, il a repris.

-"Tu vois cette chanson, j'avais arrêté de l'écouter mais depuis deux semaines, elle je l'écoute en boucle et ça veut dire que j'allais pas bien.

-"Oui, elle est belle mais elle est triste. Mais c'est fini maintenant !

-"Oui heureusement ! Mais ce n'était pas le cas, il y a trois ans. Je te passe la scène avec mon père qui est rentré en catastrophe d'une mission en mer.

-"Qu'est-ce qu'il fait comme métier, ton père ?

-"Il est ingénieur aux Chantiers Navals de la Marine et il part souvent en mer pour faire des essais, il travaille sur la propulsion.

-"Ah d'accord. Il est dans l'armée ?

-"Plus maintenant mais avant oui. Maintenant il est ingénieur civil mais il travaille pour l'armée. Bref ça a été une humiliation de plus."

Il a fermé brièvement les yeux et je savais qu'il revivait la scène puis il a poursuivi.

-"Le pire ça a été le lundi quand je suis retourné au collège, tout le monde était au courant et dès que j'ai mis les pieds dans la cour, je me suis fait harcelé.

-"Ah merde, j'suis arrivé l'année d'après à Jules Verne mais j'avais l'impression que c'était assez heu tranquille...

-"Ouais ben pas pour moi ! J'étais devenu la tête de turc du collège et il y avait toujours des gars, ou des filles d'ailleurs, qui me suivaient en m'insultant. Je passais mes récrés à côté des surveillants et mais même là, c'était horrible.

-"Et tu n'es pas allé te plaindre justement ?

-"Pfff non, ils le voyaient bien ce qui m'arrivait et puis j'avais trop honte...

-"Et t'as tenu jusqu'à la fin de l'année comme ça ?

-"Non !..."

Il s'est interrompu et m'a regardé. J'ai senti qu'il était très ému et j'ai voulu lui dire d'arrêter mais il a secoué la tête.

-"Non, il faut que je continue...

Le vendredi 25 mai, le dernier copain que j'avais encore m'a demandé de le suivre à la récré de midi. Je voulais pas parce que dès que je m'éloignais des pions, c'était l'enfer mais il a insisté et je lui faisais confiance alors je l'ai suivi derrière le gymnase. Là, il y avait des gars qui m'attendaient..."

J'ai vu ses yeux se remplir de larmes mais à nouveau il a secoué la tête.

-"Ils m'ont aspergé d'urine avec une bouteille... j'ai crié, j'ai pleuré, j'ai traversé la cour poursuivi par une meute de gars qui se moquaient de moi et je suis rentré chez moi en courant. Je me suis précipité dans la salle de bain, j'ai pris une douche et puis j'ai fouillé dans l'armoire à pharmacie..."

Il s'est interrompu encore une fois ; des larmes roulaient sur ses joues...

-" J'ai avalé plusieurs boites de cachets, je me suis couché dans mon lit... et je me suis réveillé à l'hôpital..."

...

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