On a discuté du match et je l'ai félicité pour son engagement et ses qualités physiques.

-"Ce que j'ai bien aimé c'est que tu es très physique mais que tu ne fais pas de fautes, t'es pas bourrin !

-"Tous les stoppeurs ne sont pas des bouchers !

-"Ha ha ha très juste mais il y en a quand même beaucoup ! C'est pas le poste le plus fleur bleue !"

Nous marchions côte à côte sur le trottoir en tenant nos vélos à la main. J'ai du mal à comprendre Alexis. Passé la première impression catastrophique qu'il m'avait faite, je le trouve plutôt sympa.

'Comment peut-il être homophobe ?'

-"Heu Alexis, je voudrai revenir sur les relations que tu as avec Thibaud. Je ne comprends pas. Je trouve que t'es un gars sympa, t'as de l'humour, tu me parais être quelqu'un d'intelligent et... je comprends pas ton problème avec le fait que Thibaud soit gay..."

Je l'ai senti se raidir et il a continué à marcher sans me regarder ; comme il ne répondait pas, j'ai repris.

-"C'est pas pour te juger, c'est pour comprendre... ça doit être horrible la vie à la maison pour tous les deux ?

Il a semblé hésiter. J'ai vu sa main serrer fort le guidon de son vélo et finalement il s'est retourné vers moi.

-"D'accord et ben j'vais te dire ce qui s'est passé à partir du moment où Thibaud est revenu en chialant parce qu'il avait bandé dans les douches ! Au foot, c'était l'enfer ! Tout le monde était au courant. Lui, il est pas revenu mais moi, à chaque entrainement je me faisais traiter de pédé."T'es comme ton frère !" Les gars de mon équipe rigolaient et les grands c'étaient pire et puis pendant les entraînements pour dire pédé, les gars, ils disaient Wino !"

On s'était arrêté ; il me regardait et je voyais qu'il revivait ses instants et qu'il était très en colère.

-"Oh d'accord...

-"Alors un mercredi à la fin de mon entraînement, j'ai laissé partir les gars de mon équipe et j'ai attendu les U13. Je me suis déshabillé devant eux et je peux te dire que j'étais pas fier... et je leur ai dit "Moi, je suis pas un pédé !"; ils se sont foutus de moi parce que j'avais une petite bite... mais après ça a été, ils avaient compris que j'étais pas gay.

-"Oh je comprends, tu en as souffert toi aussi... quels connards !

-"Oui, j'en ai souffert ! Et ensuite mes parents ont décidé que j'allais changer d'école l'année d'après parce qu'ils ne voulaient pas que j'aille dans le même collège que Thibaud et j'ai perdu tous mes copains ! A cause de lui, j'ai perdu mes copains d'école et mes copains de foot !

-"Ah oui... mais c'était pour te protéger.

-"Mais moi, je voulais pas et j'ai quand même tout perdu ! Et puis un soir mon père est venu me parler. Il m'a expliqué que j'allais changer de chambre et que j'allais dormir avec Hugo pour que Thibaud ait la chambre pour lui tout seul. J'ai bien compris que c'était pour pas qu'il me contamine...

-"Hein ? Non, je peux pas te laisser dire ça ! L'homosexualité, c'est pas une maladie ! Plus personne ne croit ça. Tu as du mal comprendre ce que disait ton père. C'était plutôt pour que Thibaud ait plus d'intimité comme il devenait adolescent, tu comprends...

-"Ouais ben peu importe mais moi tout ce que je vois c'est qu'à cause de Thibaud, toute ma vie a changé et pas en bien, à chaque fois en pire !

-"D'accord, je comprends ce que tu ressens. Je ne suis pas du tout d'accord avec tes conclusions mais je comprends qu'à l'âge que tu avais à l'époque, tu pouvais penser comme ça mais plus maintenant, on a presque le même âge, c'est pas possible !

-"J'ai pas changé d'avis, c'est toujours ce que je pense !

-"OK alors laisse-moi quelques minutes que je mette de l'ordre dans mes idées et je vais essayer de t'expliquer pourquoi tu te trompes..."

On est reparti et je crois que ça nous a fait du bien à tous les deux. Le ton était un peu monté quand il a exprimé sa colère et moi je bouillonnais intérieurement de l'entendre proférer des non-sens pareils.

J'ai attendu quelques minutes qu'il se calme un peu ; Stéphane m'a toujours dit qu'il fallait discuter sur le fond à froid sinon les arguments n'étaient pas entendus. On a donc remonté silencieusement la côte de l'avenue Félix Vincent et quand on est arrivé en haut, j'ai repris la parole.

-"OK, tu vas me dire si j'ai bien compris. Tu en veux à Thibaud parce que tu as perdu tes copains d'école et de foot et que tu te retrouves dans la même chambre que ton petit frère, c'est bien ça ?

-"Oui c'est exactement ça et aussi parce que comme c'est mon frère et qu'il est gay, tout le monde va croire que je le suis moi aussi !

-"D'accord et c'est pour ça que tu es aussi dur avec lui, et que tu as ce comportement homophobe pour bien montrer que tu n'est pas comme lui ?

-"Oui, exactement !

-" OK, ça je le mets de côté, on y reviendra plus tard mais pour le reste, tu penses donc que Thibaud a fait tout ça volontairement, juste pour t'emmerder ?

-"Ben non je sais bien, mais s'il n'était pas gay ce serait jamais arrivé !

-"Donc pour toi, c'est la victime qui est responsable ?

-"Heu...

-"Réfléchis, qui est responsable ? La victime, le garçon gay qui se fait harceler où ceux qui le harcèlent ?

-"Heu les deux...le gars parce qu'il est gay et les autres parce qu'ils le harcèlent.

-"Pour toi, le garçon est responsable d'être gay, c'est ça ?

-"Heu oui...

-"Tu crois qu'on est responsable de ce qu'on est ? Tu crois qu'on choisit d'être gay ?

-"Heu je sais pas...

-"Tu te sens responsable d'être un garçon de treize ans, qui mesure un mètre1.60, à peu près comme moi, qui a les cheveux blonds et les yeux bleus ?

-"Ben non, je suis comme ça c'est tout...

-"Je suis d'accord avec toi. Par contre, tu es peut-être responsable de ta coupe de cheveux. C'est toi qui veut les avoir hyper courts ?

-"Oui je demande toujours à ma mère, le plus court possible.

-"C'est ton choix, c'est toi qui décide. Tu crois que Thibaut s'est dit un jour, je veux être gay, ne pas être comme tout le monde, être rejeté par la société et avoir une vie de merde parce que je trouve que c'est super ?

-"Non ça d'accord mais ce qu'il m'est arrivé c'est bien à cause de lui !

-"Non ! C'est à cause des homophobes qui n'acceptent qu'il puisse y avoir des gays ou des lesbiennes ! C'est comme pour le racisme, tu crois que les deux blacks de ton équipe sont responsables du racisme qu'ils doivent surement endurer ?

-"Heu non...

-"Ce qu'il faut que tu comprennes c'est que Thibaud est une victime de l'homophobie qui existe dans la société, à l'école, ou au foot par exemple et toi, tu es une victime collatérale de cette homophobie ! C'est à cause des homophobes que tu as du changer d'école et de club de foot, pas à cause de Thibaud !

-"Ouais ça d'accord mais après tout ça, à la maison, tout tourne toujours autour de Thibaud. Il ne faut pas dire ça parce que Thibaud ceci ou il faut faire attention parce que Thibaud est fragile et bla bla bla...

-"Heu je pense que si tu avais vécu ce qu'on lui a fait subir, je ne crois pas que tu dirais ça ..."

On s'est arrêté devant leur maison. il a ouvert le portillon et s'est retourné.

-"Je vais chercher la pompe, je reviens !"

'Bon, fin de conversation si je comprends bien !'

Il est revenu très vite et on s'est attelé à regonfler mon pneu.

-"Attends, arrête il y a une fuite, j'entends un sifflement !

-"Ah merde, tu as raison...

-"Bon ben rentre ton vélo dans le garage, on va le réparer.

-"Tu crois ? Je veux pas t'embêter avec ça, je peux appeler mon père...

-"Oh j'ai le temps, ça va nous prendre dix minutes !"

On était en train de coller une rustine sur la chambre à air quand Hugo est arrivé.

-"Oh bonjour Diego ! Qu'est-ce que vous faites ?"

-"Bonjour Hugo, ça va ?

-"On est en train de réparer le pneu de Diego qui était crevé." répond Alexis à son petit frère.

-"Ah d'accord. Je vais dire à Thibaud que tu es là !"

Le visage d'Alexis s'est fermé et à peine Hugo eut-il disparu que je l'ai senti plus distant.

-"Je vais vous laisser finir...

-"Oh Alexis... pourquoi tu veux pas rester ?

-"J't'ai dit, on n'a pas des super relations Thibaud et moi alors vaut mieux que j'y aille...

-"D'accord comme tu veux mais en tous les cas merci pour ton aide ! C'était vraiment super sympa ! Et essaye de repenser à ce qu'on s'est dit, j'suis sûr que tu vas comprendre que toi aussi t'es une victime indirecte de l'homophobie...

-"Ouais on verra...

-"Réfléchis-y, j'suis sûr que tu comprendras !

-"OK, on verra..."

Il est parti alors qu'Hugo et Thibaud ouvraient la porte du garage ; je ne suis pas sûr qu'il fasse l'effort de se remettre en question mais peut-être aura-t-il tout de même entendu quelque chose qui le fera évoluer un peu...

'On peut toujours espérer !'

...