CHAPITRE XCVII
Sophie m'a ramené en fin d'après midi à la maison et est restée manger. Sébastien était rentré de chez un ses clients de Bordeaux peu avant mais avait tout de même eu le temps de faire des courses. Nous avons mangé en entrée les crabes que nous avions pêché jeudi et puis du poisson avec du riz. Je ne suis pas un grand amateur de poisson mais comme l'a fait remarquer Sophie, c'est vendredi donc poisson ! Et qu'on ne me dise pas après que la religion chrétienne a perdu toute influence ! Même chez nous, foyer athée, elle influence encore notre quotidien, jusqu'à nos assiettes !
Après avoir mangé, je suis allé dans ma chambre pendant qu'ils restaient dans la cuisine boire un café. J'aurai bien aimé en prendre un moi aussi mais je sais que cela risque de m'empêcher de m'endormir rapidement et s'il y a bien quelque chose que je veux éviter c'est de tourner pendant des heures dans mon lit.
J'ai appelé Thibaud pour lui dire que finalement je viendrai à la fête de Nicolas et il était fou de joie. On a discuté presque une heure et cela m'a fait du bien. Le seul bémol c'est que c'est une soirée à thème, les années 80, et qu'il faut que je me trouve un costume ce qui ne me réjouit pas du tout comme vous pouvez facilement vous l'imaginer compte tenu du peu d'atomes crochus que je possède avec le monde de la mode !
Thibaud est passé à la maison samedi en fin de matinée. Nous avons cherché sur internet tout ce qui était en rapport avec les années 80 pour avoir des idées de déguisement et nous en avons conclu, que c'étaient les années du disco et qu'il fallait qu'on se trouve des pantalons à patte d'éléphant, des chemises bariolées avec des cols pelle à tarte ou des sous pulls flashy en lycra.
-"Je ne sais pas comment on va faire !" soupire Thibaud d'un air désabusé.
-"On peut peut-être aller dans une friperie, ils auront peut-être quelque chose d'époque ?
-"Ah oui bonne idée mais il faut y aller aujourd'hui parce que la fête, c'est dans deux jours et demain c'est dimanche !
-"Heu je vais voir Stéphane à l'hôpital en début d'après midi, si tu veux on se retrouve en ville vers 16h30 ?
...
Sébastien m'avait expliqué où se trouve le nouveau lieu de séjour de Stéphane. C'est un petit hôpital situé à l'est de Nantes, complètement à l'opposé d'où nous habitons mais heureusement avec le tram ce n'est pas un problème. J'ai quand même mis presque trois quart d'heure pour arriver à destination en incluant quelques minutes de marche à pied. Je me suis présenté à l'accueil et là encore Sébastien avait prévenu que je passerai et qu'il fallait m'autoriser à rendre visite à Stéphane. Je m'étais rappelé l'épisode des élèves de Stéphane au CHU et je n'ai pas voulu prendre le risque d'être refoulé.
L'hôpital Bellier est un bâtiment de quelques étages, perdu dans le quartier de Doulon, ancienne commune indépendante qui a été rattachée à Nantes depuis une cinquantaine d'année. Je me suis présenté à l'accueil et la dame m'a très gentiment indiqué le chemin à prendre.
J'ai frappé à la porte comme je le fais d'habitude mais bien sûr sans qu'il y ait de réponse.
-"Stéphane, c'est Didi ! Tu vas bien ?"
Il n'y a qu'un lit dans cette chambre et elle est beaucoup plus petite que la précédente mais plus agréable ; peut-être est-ce l'odeur moins agressive ou simplement la lumière qui l'éclaire mieux ? Quoiqu'il en soit le principal intéressé qui pourrait en tirer avantage n'en est pas malheureusement pas conscient alors ce n'est pas très important mais je préfère tout de même cette chambre à la précédente.
J'ai fait le tour du lit et me suis assis tout près de Stéphane. Je l'ai embrassé sur les deux joues et puis j'ai caressé ses cheveux et son visage. C'est difficile de regarder quelqu'un dont les traits sont complètement inexpressifs. Un prof avait dit un jour à la classe que 80% de la communication passait par le non verbal, les expressions faciales et les mimiques notamment. Je ne l'avais pas cru à l'époque mais quand je regarde le visage inexpressif de Stéphane, je me rends compte qu'il avait surement raison.
-"Ca fait plusieurs jours que je n'étais pas venu te voir, j'étais à Locmariaquer pour Noël. Je vais tout te raconter ! Tu es mieux installé ici, enfin je trouve..."
Je suis resté presque deux heures. J'avais tant de choses à lui raconter. En fait, je lui parle de tout y compris de ce que je ne lui ai jamais dit avant parce que je n'étais pas à l'aise avec l'idée d'en parler avec mon père en dépit de toutes les qualités d'écoute et de toute la bienveillance dont il fait preuve. Je suis revenu sur ma rupture avec Bérangère et le malaise que je ressentais pendant ma relation avec elle.
-"Tu sais, Stéph, c'est un peu comme avec Elodie cet été, si elle n'avait pas fait le premier pas, je ne serai jamais sorti avec elle !"
Et sans attendre une réponse qui ne viendra pas, je poursuis.
-"Oui, je suis d'accord, ce n'est pas grave mais quand même ! Ca ne me dérange pas d'être un peu timide avec les filles, je sais que je dois même leur paraitre un peu empoté mais Bérangère me disait toujours qu'elle sentait que j'étais différent des autres garçons et que c'est ça qui l'avait attirée."
-"Oui, c'est vrai, ça doit être ça qui fait mon charme mais ce que je ne comprends pas c'est que je ne ressentais rien de spécial pour elle... tu sais, rien comme dans les livres ou dans les films quand le garçon est amoureux et qu'il pense tout le temps à sa copine, qu'il veut être avec elle, l'embrasser et puis... tout le reste..."
J'ai senti mes joues s'empourprer en prononçant ces dernières paroles et je me suis tu un instant.
-"Je ne sais pas si j'oserais te raconter tout ça si tu pouvais me répondre mais ça me fait du bien de t'en parler et j'espère que tu réveilleras bientôt... Oh Stéph, je suis perdu et tu me manques tellement..."
J'ai senti des larmes couler le long de mon visage et j'ai laissé mon chagrin s'extérioriser de longues minutes avant de me reprendre et de sortir mon téléphone.
-"Thibaud m'a fait découvrir un chanteur français des années 80, Michel Berger, j'ai vu qu'on avait un vinyle de lui à la maison alors je pense que tu le connais. J'aime beaucoup ses chansons, on voit que c'est un auteur et que ses textes veulent dire quelque chose alors je t'ai préparé une petite sélection et je pense que tu vas aimer."
J'ai lancé ma playliste et je me suis tu. J'ai pris sa main dans la mienne et ensemble nous avons écouté les premières notes d'une de mes chansons préférées, Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux.
https://www.youtube.com/watch?v=VbyKJ3xm1Sg
J'ai repris le refrain à voix haute, doucement au début et puis plus fort comme pour me libérer de la peine que je ressens si fortement.
Je veux chanter pour ceux
Qui sont loin de chez eux
Et qui ont dans leurs yeux
Quelque chose qui fait mal
Qui fait mal
Je veux chanter pour ceux
Qu’on oublie peu à peu
Et qui gardent au fond d’eux
Quelque chose qui fait mal
Qui fait mal
Quand je pense à toi
Ça fait mal ça fait mal
Quand je pense à toi
Ça fait mal ça fait mal
'Oh Stéph, reviens vite parmi nous, reviens vite à la maison !'
...
Thibaud et moi, nous sommes retrouvés devant le château des Ducs à 16h30. Il m'attendait à l'arrêt du tram et nous sommes allés dans le quartier Bouffay où nous avions repéré ce matin qu'il y avait plusieurs friperies qui pourraient peut-être nous aider à confectionner nos costumes pour la soirée de lundi. Force a été de constater qu'il n'y avait pas grand chose qui correspondait à nos attentes mais on a fini par dénicher dans la troisième boutique un pantalon patte d'éléphant pour chacun ainsi que les fameux sous pulls à manche longue en acrylique aux couleurs criardes qui paraissent être les marqueurs de cette époque.
-"Je n'arrive pas à croire que tes parents ou les miens portaient ce genre de fringue ! Elles sont horribles !" déclare Thibaud en sortant de la boutique.
-"Ha ha ha, je suis d'accord mais si ça se trouve dans vingt ou trente ans, nos enfants feront la même réflexion sur ce que nous portons aujourd'hui !"
Nous nous sommes regardés de bas en haut avant que Thibaud reprenne.
-"Je sais pas si j'aurai des enfants mais au moins je pense que je n'aurai pas honte de ce que j'ai sur le dos aujourd'hui !"
Je n'ai pas pu m'empêcher de relever le fait qu'il pense peut-être ne pas avoir d'enfant, fragilité persistante liée à son homosexualité sûrement. En fait, moi, je n'y ai jamais pensé mais je suis sûr que j'en aurai et je pense que j'adorerai les élever peut-être parce que j'aime ma famille et la façon dont je suis moi-même élevé.
-"J'espère que tu auras des enfants si tu en veux et moi aussi et tu as raison, je ne les laisserai pas se moquer de nous. Ils porteront peut-être des combinaisons synthétiques moulantes comme dans les films de science-fiction mais franchement, à mon avis, rien ne remplacera un bon jean et une belle veste en cuir comme la tienne !"
Il m'a souri comme pour me faire comprendre qu'il avait entendu mon message et nous avons continué à nous balader dans les rues étroites du Bouffay.
-"Oh regarde, un magasin gay ! m'exclame-je au détour d'une rue.
-"Heu, tu veux dire un magasin pour les gays ?
-"Oui, regarde il y a un drapeau arc en ciel !
-"Oui mais pas de vitrine, c'est bizarre.
-"Ils cherchent peut-être la discrétion. On va voir ?
-"Heu...
-"Allez viens, je te protègerai !
-"Ah ben dans ces conditions, je ne risque rien ! Je te suis..."
Je me suis approché de la porte et je l'ai ouverte avec Thibaud juste derrière moi. Nous nous sommes retrouvés dans un couloir étroit avec une sorte de guichet à quelques mètres.
-"Heu ça a vraiment l'air bizarre..." déclare nerveusement Thibaud.
-"Attends on va demander." dis-je en continuant à avancer.
Un homme d'une cinquantaine d'année était en train de parler au téléphone derrière le guichet.
-"Bonjour mes mignons, vous savez que c'est un établissement interdit aux mineurs ?
-"Ah bon ? Ce n'est pas un magasin ?
-"Ha ha ha non, c'est un sauna pour adultes !
-"Oh pardon, on ne savait pas !
-"C'est pas grave, revenez dans quelques années !
-"Heu oui d'accord, désolé !
-"Pas de souci et bonne journée, mes mignons !"
-"Heu bonne journée à vous aussi."
On a fait demi tour précipitamment et on a refermé la porte pour nous retrouver dans la rue. Thibaud était rouge cramoisi et je sentais que j'étais aussi empourpré que lui. Nous nous sommes regardés avant d'éclater de rire.
-"Note l'adresse, il faudra que tu t'en souviennes quand tu voudras passer un peu de bon temps!" parviens-je enfin à articuler.
-"C'est ça, bien sûr mon mignon !"répond Thibaud en me faisant un énorme clin d'œil.
On a, à nouveau, éclaté de rire et avons continué de marcher, hilares, sous le regard surpris et amusé des rares passants de la rue.
...
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