CHAPITRE CXI
Leurs regards se sont tournées vers moi. Ils étaient debout tous les deux, séparés par la petite table placée entre le canapé et les fauteuils. Ils étaient énervés, je l'avais bien compris au ton de leur discussion.
-"Qu'est-ce que vous voulez encore ? Vous ne pouvez pas nous laisser tranquilles ?" interviens-je en dévisageant l'assistante sociale.
-"Bon, je vois que je n'ai plus rien à faire ici, de toute façon, j'ai plus qu'il ne m'en faut pour faire mon rapport !
-"Quoi ?"crie Sébastien choqué.
-"Qu'est-ce que vous allez faire ?
-"Je suis la procédure et je vais faire un rapport sur la situation du mineur Diego Brisset et ce que j'ai constaté...
-"Et qu'est-ce que vous avez constaté ?" reprend Sébastien.
-"Que Diego n'est pas en sécurité sous votre garde monsieur Lesquer. Soit vous êtes absent, soit vous êtes à moitié ivre !
-"Non, mais je vais pas vous laisser faire ça !
-"Ne vous approchez pas ! Je suis une représentante de l'Etat, si vous portez la main sur moi, vous allez au-devant de gros ennuis !
-"Quoi ? Mais je n'ai pas l'intention de vous frapper, arrêtez votre cirque !
-"Je m'en vais. Je suis désolé que cela se passe ainsi Diego, mais je ne peux pas rester sans rien faire.
-"Oui, c'est cela partez et moi aussi je vais faire un rapport aux autorités sur votre visite et vos insinuations homophobes !
-"Vous aurez de mes nouvelles au plus vite. Diego, à bientôt !"
Elle a tourné les talons et est sortie très rapidement du salon. J'ai entendu la porte d'entrée se refermer et le silence est revenu. Sébastien s'est assis dans le canapé. Il a pris la bouteille de vin blanc qui était posée sur la table basse et s'est servi un verre.
-"J'aurais pas dû m'énerver, j'ai tout bousillé ! Oh Didi, qu'est-ce qu'on va devenir ?"
Je l'ai regardé sans comprendre vraiment, j'étais médusé par la scène que je venais de vivre. C'est la première fois que je vois deux adultes avoir une altercation aussi violente et en plus à mon propos. Je me suis assis dans le fauteuil le plus proche et j'ai regardé Sébastien. Il était effondré, littéralement ; j'ai cru qu'il allait faire une crise de larmes ; il avait les yeux dans le vague et se tenait la tête entre ses deux mains.
-"J'ai tout bousillé ! J'ai tout bousillé !"
Je ne savais pas quoi faire et j'ai attendu quelques minutes en silence qu'il reprenne ses esprits et puis voyant qu'il n'y parvenait pas je suis intervenu.
-"Séb, arrête s'il te plaît, Séb' !"
Il ne m'a pas répondu mais au moins il a tourné la tête vers moi.
-"Séb', je sais que ça va pas, mais on va trouver une solution. Je vais appeler Sophie pour qu'on en discute ensemble d'accord ?"
Il a hoché la tête et j'ai composé immédiatement le numéro de Sophie. Par chance, elle a décroché tout de suite et je lui ai expliqué la situation en quelques mots.
-"J'arrive tout de suite, Didi ! Vous avez mangé ?
-"Heu non...
-"OK, je m'arrête acheter des pizzas et j'arrive. Passe-moi Séb, s'il te plaît !"
...
Sophie est arrivée une demi-heure plus tard les mains chargées d'emballages de Domino's Pizza. Elle m'a embrassé et j'ai lu une grande inquiétude dans ses yeux.
-"Ca va, toi ?
-"Oui à peu près mais Séb' m'inquiète, il n'a pas bougé du salon... il est complètement abattu."
J'ai pris les pizzas, je les ai posées dans la cuisine et on est allé rejoindre Sébastien dans le salon. Il n'avait pas bougé de place, mais au moins il semblait avoir récupéré un peu. Sophie l'a embrassé.
-"Séb', ça va ?
-"Oui... enfin non... ça c'est hyper mal passé et elle est partie en nous menaçant...
-"Tu vas nous expliquer ça, d'accord ?"
Sébastien nous a donc raconté son entrevue avec madame Leclerc.
-"Je suis rentré tôt du boulot comme hier pour le cas où elle passerait. J'étais nerveux, je sentais déjà que cela allait mal se passer. Elle est arrivée vers 20 heures et c'est vrai que j'avais bu quelques verres... j'étais énervé..."
-"Bonsoir, je suis madame Leclerc, l'assistante sociale du lycée Victor Hugo.
-"Bonsoir, qu'est-ce que vous voulez ?" répond Sébastien en contenant difficilement son irritation.
-"Je souhaite vous rencontrer monsieur Lesquer pour vérifier si tout se passe au mieux pour le jeune Diego. Puis-je entrer ?
-"Je suppose que je n'ai pas le choix ?
-"Cela fait partie des prérogatives de mon travail de rencontrer les proches des lycéens mineurs quand il se passe quelque chose de difficile dans leur vie..."
-"Avant d'aller dans le salon, elle a voulu voir ta chambre Diego comme pour vérifier que tu avais bien une chambre et qu'on ne te faisait pas dormir dans un placard !
-"Oh...
-"Elle n'a pas fait de commentaire et après nous sommes allés dans le salon. Je lui ai proposé de boire quelque chose pour peut-être détendre un peu l'atmosphère mais elle a refusé. Moi, je me suis servi un verre et c'est sûrement pour ça qu'elle a dit que j'étais ivre. N'importe quoi ! Bref, c'est reparti avec son petit jeu de questions-réponses mais vous savez, c'était toujours orienté comme pour chercher un problème et puis il y a pire vous allez voir..."
-"Alors monsieur Lesquer, vous êtes le heu... "compagnon" de monsieur Brisset, c'est ce que m'a dit Diego." dit-elle avec une petite grimace.
-"Oui tout à fait, ne vous en déplaise !
-"Et depuis combien de temps vivez-vous avec Diego et son père ?
-"Depuis toujours et je n'aime pas les insinuations qu'il y a dans vos questions !
-"Je vous en prie, gardez votre sang-froid. Etes-vous lié officiellement à monsieur Brisset ?
-"Oui nous sommes pacsés depuis le 14 juin 2003!
-"Entendu, vous pourrez me remettre une copie certifiée de ce document s'il vous plaît ?"
-"Et ça a continué comme ça jusqu'au moment où elle a posé la question pour laquelle elle était venue, j'en suis sûr !"
-"Avez-vous une délégation d'autorité parentale partagée concernant Diego ?
-"Une... ?
-"C'est un document signé par l'adoptant, monsieur Brisset, vous donnant l'autorité parentale sur l'enfant ?
-"Heu... je ne sais pas mais pourquoi vous me demandez ça ?"
-"Parce que si ce n'est pas le cas et compte tenu de ce que j'ai pu constater, je pense que Diego doit vivre dans un environnement plus sain.
-"C'est à dire ?
-"Un vrai foyer...
-"Comment osez-vous porter un jugement pareil, vous êtes homophobes !
-"Et c'est à ce moment là que tu es arrivé Diego..." conclut-il.
On s'est regardé tous les trois ne sachant pas quoi dire. C'est Sophie qui a réagi la première.
-"Ce qui est clair, c'est qu'elle va te charger, elle va dire que tu n'es pas capable de t'occuper de Diego... pire que tu n'as pas le droit de t'en occuper !
-"C'est exactement ce que je crains !
-"Mais moi, j'ai quand même mon mot à dire, non ?
-"Je n'en sais rien Didi, j'espère..."
...
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