CHAPITRE CXVIII
-"C'est toi le nouveau ?
-"Heu oui... je m'appelle Diego...
-"Moi, c'est Jimmy. T'as pas touché à mes affaires ?" demande-t-il d'une voix menaçante.
-"Non !" réponds-je sur la défensive.
Il a refermé la porte et s'est dirigé vers le meuble, a ouvert un tiroir et a sorti une enveloppe qui était cachée entre ses vêtements. Puis il est venu vers moi, a ouvert le tiroir de son bureau et en a sorti des pièces. Il a compté l'argent et l'a mis dans sa poche.
-"Ca va... si tu touches à mes affaires ou que tu me piques mon fric, je te pète la gueule !
-"Non je te prendrai rien, t'as rien à craindre...
-"Je ne crains rien, je te préviens c'est tout, OK ?
-"OK..."
'Purée, où est-ce que je suis tombé !'
Je suis resté assis au bureau, saisi par ce premier contact tendu, tandis que Jimmy s'allongeait sur son lit.
-"T'es là pour quoi ?
-"Heu... mon père a eu un accident et il est dans le coma... et l'assistante sociale du lycée s'est rendue compte que j'étais tout seul chez moi...
-"Ah d'accord et t'as pas de famille ?
-"Si, mais c'est un peu compliqué...
-"Ouais donc t'es pas là pour longtemps, juste le temps qu'ils trouvent quelqu'un qui veut te garder.
-"Heu oui, je pense... et toi ?
-"Je me suis fait tabasser par mon beau-père !
-"Oh...et tu es là depuis longtemps ?
-"Six mois...
-"Et c'est comment ?
-"Ca va..."
Comprenant qu'il ne voulait pas trop en parler, je me suis tu et j'ai machinalement repris mon livre de maths.
-"T'es au lycée ? T'as quel âge ?
-"Presque 15 ans et je suis au lycée Victor Hugo et toi ?
-"Quatorze et demie, je suis au collège à côté mais j'en ai marre de l'école !
-"D'accord... en tous les cas comme j'ai fait le programme l'année dernière, n'hésite pas à me demander si tu as besoin d'aide...
-"T'es un intello ?"reprend-il avec une nuance de mépris dans la voix.
-"Je sais pas mais ça va, je me débouille bien..."
Une sonnerie a retenti à cet instant et Jimmy s'est levé aussitôt.
-"C'est l'heure de la bouffe !"
...
Jimmy s'étant assis avec ses amis, je me suis installé seul à une table de quatre. La salle n'est pas très grande et plutôt bruyante ; il y a une vingtaine de tables loin d'être toutes occupées par les ados et une table où mangent des adultes. C'est un petit self et la nourriture est correcte en tous les cas, la soupe était bonne. J'ai essayé de ne pas prêter attention aux regards que je sentais posés sur moi en gardant les yeux sur mon assiette.
-"Salut, on peut s'asseoir ?"
J'ai relevé la tête et j'ai vu trois filles qui me souriaient.
-"Heu oui bien sûr, je vous en prie !
-"Oh, je vous en prie, il est galant !"déclare la blonde à ses copines.
Elles ont rigolé gentiment et se sont assises. Ce sont des collégiennes de 3ème et elles m'ont dit en riant qu'elles étaient venues faire connaissance avec le mignon nouveau qui avait l'air perdu tout seul à sa table. Elles n'avaient pas froid aux yeux et je n'ai pas pu m'empêcher de "rougir" plusieurs fois à leurs remarques. Je n'étais pas franchement à l'aise, je n'ai pas l'habitude qu'on m'aborde et qu'on m'entreprenne aussi directement mais ça a au moins eu le mérite de faire passer très vite le temps du repas et puis finalement j'ai pris mon parti de cette conversation un peu déroutante.
-"Tu veux rester traîner avec nous en bas ?
-"Heu pas ce soir, je viens juste d'arriver et il faut que je passe plusieurs coups de fil...
-"Ah... ça veut dire qu'il a une copine, les filles, j'en étais sûre !" reprend Pénélope en m'interrogeant du regard.
-"Heu oui..." réponds-je en mentant spontanément.
-"Comment elle s'appelle ?
-"Bérangère, c'est une fille de ma classe.
-"Bizarre comme nom ! Bon ben tant pis mais si tu veux qu'on s'occupe de toi, fais-nous signe, tu ne le regretteras pas !"
Le sous-entendu était clairement sexuel et j'ai senti que je me caramélisais.
-"Oh regarde, tu l'as choqué ! Il est mignon..."
On s'est levé de table et Julia, la plus délurée, m'a glissé un mot dans l'oreille.
-"Si tu as besoin de te soulager, viens me voir, beau gosse !"
Le visage en feu, j'ai pris mon plateau et je les ai suivies tandis qu'elles riaient en se moquant de ma candeur.
...
J'ai exploré quelques minutes le rez-de-chaussée, la salle télé, les petites salles avec des ordis, la salle de jeux mais je ne me sentais pas à l'aise, trop de personnes me dévisageaient alors je suis monté au 2ème étage et je me suis réfugié dans ma chambre.
J'ai appelé Sébastien pour lui raconter ma journée et je l'ai trouvé bizarre, j'ai eu l'impression qu'il avait bu. Il était tour à tour énervé puis plaintif et tenait des propos pas très cohérents. Je lui ai parlé du foyer en brossant un tableau édulcoré de la situation et j'ai vite raccroché en lui promettant de le retrouver mercredi à l'hôpital Bellier car Jimmy venait de rentrer dans la chambre.
Il semblait vouloir faire la conversation et rapidement j'ai compris que c'était en lien avec une des trois filles, Clarisse, qui avait mangé avec moi.
-"Vous aviez l'air de bien vous amuser...
-"Heu oui, elles sont sympas et c'était gentil de leur part de ne pas me laisser manger tout seul.
-"Ouais ça c'est vrai. Ici, il faut pas trainer tout seul...
-"Heu comment ça ?
-"Il y a des grands de 17-18 ans et ils font chier les plus petits surtout quand ils sont tout seuls...
-"Oh d'accord...
-"Ici tu crains rien, ils n'ont pas le droit de venir à notre étage. Au 2ème, c'est nous les plus vieux mais dans le hall ou surtout dans les petites salles, il faut pas zoner tout seul..."
Il s'est interrompu un instant alors que je sentais de la sueur froide couler dans mon dos.
'Purée, ça craint vraiment, cet endroit !'
-"Ecoute, si tu fais quelque chose pour moi, je peux te protéger. Tu restes avec moi et mes potes et ils te feront rien. Ils ont essayé et on s'est pas laissé faire...
-"Heu ça dépend quoi..." réponds-je méfiant.
-"Je voudrais sortir avec Clarisse...
-"Ah... et tu lui as demandé ?
-"J'ose pas, elle s'intéresse pas aux collégiens mais comme t'as l'air de déjà mieux la connaitre que moi, peut-être que tu pourrais lui parler de moi...
-"OK ça marche, je te promets pas qu'elle voudra mais je peux essayer de lui parler de toi...
-"Super, merci Diego !"
J'ai hoché la tête et j'ai regardé mes messages sur mon téléphone ; j'en avais trois et j'ai commencé à y répondre avant d'avoir peut-être l'occasion d'être seul pour appeler Thibaud. J'ai aussi répondu à Léa et Boris. Puis j'en ai envoyé un autre à Sophie et je me suis allongé sur le lit.
...
Pensif, je médite un peu sur ma situation. Depuis plusieurs jours, je me demandais avec appréhension à quoi allait ressembler ce foyer et bien voilà maintenant je sais et ce que j'en apprends dépasse mes pires craintes...
Il y a au moins deux niveaux de vie différents dans cette institution, l'officiel et le ou les non-officiels, et chacun avec ses propres règles. Je viens juste d'arriver et de commencer à les découvrir de façon plutôt abrupte et cela me fait vraiment peur...
Au moins, j'ai peut-être réussi à me faire un allié, peut-être...
Je ne sais pas si Jimmy est quelqu'un de fiable mais une chose est sûre, je préfère l'avoir de mon côté. Par contre, je n'aime pas cette idée de protection car cela implique une contrepartie et encore plus quand cette contrepartie ne dépend pas de moi.
'Donc si Clarisse ne veut pas sortir avec lui, je vais me retrouver tout seul...'
'Faut pas que je reste ici, ça craint trop...'
...
Annotations