CHAPITRE CXXXIV

7 minutes de lecture

Je l'ai regardée partir sans bouger. Dans ma tête, j'étais déjà en train de peser le pour ou le contre et tout allait très vite.

'Je continue ou je rentre ?'

Quand elle est descendue, elle a tourné la tête dans ma direction, nous avons échangé un dernier regard et elle a serré le poing en me faisant un petit signe d'encouragement de la tête. Je lui ai souri et elle a disparu.

Je me suis levé, j'ai pris mon sac, enfilé mon blouson et je me suis dirigé vers la porte de la voiture. J'avais pris ma décision.

J'ai une heure, 59 minutes exactement, pour me rendre gare de Lyon, c'est plus qu'il ne m'en faut mais il ne faut tout de même pas traîner !

...

A 11 h 39, le train démarrait et bien assis dans mon siège, mon blouson sur moi, je sentais à nouveau l'ivresse de aventure m'envahir.

A quoi cela tient-il ? A presque rien, la rencontre d'une personne bonne qui a eu pitié de moi et qui a décidé de m'aider.

'Oui, sans cette femme, tout serait fini et je serais peut-être déjà sur le chemin du retour à Nantes...'

Depuis un moment déjà je sens mon estomac faire des siennes. Il est presque une heure et comme n'importe quel lycéen, passé midi, je meurs de faim. J'ai très faim mais peu d'argent car avec ces vingt euros miraculeux, il faut que je prenne mon billet pour Martigues et je sais qu'il coûte 8€60 donc il est hors de question que j'aille dévaliser le wagon-bar ! Je me résigne à grignoter le plus lentement possible quelques gâteaux secs que j'ai eu la prévoyance d'emporter avec moi ; avec quelques gorgées d'eau pour apaiser ma soif, cela constituera mon déjeuner.

'Je vais presque regretter la cantine du lycée !'

Je regarde le paysage par la fenêtre pour tromper le temps. Depuis un moment nous sommes dans la vallée du Rhône et je suis surpris de constater à quel point il y a autant d'industrie lourde, sidérurgique mais surtout chimique, et cela ne me donne pas envie d'habiter là. Heureusement quand la vallée s'élargit, les paysages sont souvent plus riants et dépaysants pour moi. Il fait beau et on ne dirait pas que nous sommes en hiver. Pendant un instant, je pense à Sophie, à Léa et Thibaud qui ont certainement cherché à me joindre et qui doivent être inquiets car je ne leur ai pas répondu mais je n'y peux plus rien alors je hausse les épaules. Comme dirait Stéphane, quand le vin est tiré, il faut le boire...

Je somnole légèrement mais il est hors de question que je m'endorme. J'ai coincé mon sac entre mes pieds et je n'ai pas quitté mon blouson. J'ai retenu la leçon, nous sommes dans le monde réel, pas celui des Bisounours et je dois veiller sur moi et ne compter sur personne. Triste réalité mais il faut l'intégrer pour survivre...

A 14h48, le train s'est arrêté au terminus, la gare St Charles de Marseille et je suis descendu, un peu fatigué mais plutôt exalté à l'idée que je me rapprochais de mon but.

Je suis allé prendre mon billet pour Martigues et comme j'ai une quarantaine de minutes d'attente, j'ai décidé de sortir de la gare pour essayer de trouver une boulangerie afin de calmer la faim qui me tenaillait toujours. La gare est magnifique, immense et sous le toit verrière qui nous protège à plus de vingt mètres de haut, j'ai l'impression d'être minuscule. Je suis sorti par la porte historique et les magnifiques escaliers extérieurs ont achevé de me conquérir. C'est une très belle entrée en matière et si le reste de la ville est aussi beau, c'est certainement une ville à visiter !

J'ai fini par trouver une boulangerie dans laquelle j'ai acheté un pain au raisin pour me faire plaisir et puis une baguette parce que je sais que cela ne me suffira pas. Cela risque d'être un peu sec mais comme on dit, à la guerre comme à la guerre !

...

Dernière étape de mon périple, la gare de Martigues que j'ai atteint vers 17 heures. Je suis fatigué mais je sais que j'approche du but et cela décuple mes forces.

J'ai pris le bus 14 qui passe devant la gare et puis la ligne 22, Martigues-Figuerolles-Port de Bouc, pour 1.5€. Nous nous sommes éloignés du centre ville et avons longé un instant l'étang de Berre avant de repartir vers les terres. Je me suis assis du côté droit et je consulte régulièrement le tracé de la ligne comme pour me rassurer. En fait, j'ai tout étudié sur internet, j'ai imprimé les arrêts de la ligne mais j'ai tout de même besoin de vérifier.

'OK, prochain arrêt, je descends !'

Je suis surpris par la chaleur qui règne ici, il fait bien dix degrés de plus qu'à Nantes. On dirait que le printemps est déjà là. J'ai presque trop chaud avec mon blouson ! Je sors le plan du quartier que j'ai imprimé et je fais le point.

'Normalement, tout droit jusqu'au stop et puis après à gauche...'

C'est un quartier de classe moyenne, de petites maisons couvertes de tuiles et des immeubles mais pas des tours, de cinq-six étages maximum. Il y a du monde dehors, des jeunes qui sortent de l'école et des actifs qui rentrent du travail. Je tourne à gauche puis au bout de la rue des Rossignols à droite et quand je lis rue Gambetta sur la pancarte, je suis pris d'une certaine émotion.

'Ca y est, j'y suis !'

J'ai reconnu le petit immeuble que j'avais découvert sur Google Maps et je me suis arrêté un instant devant. Jusqu'à présent j'ai avancé plein de certitudes et tout à coup, je me sens fébrile. Je prends le temps de souffler et je repense à ce que je vais dire à Gabriella Orsini.

'J'espère qu'elle a reçu ma lettre !'

Je n'ai pas de souvenir d'elle et la dernière fois qu'elle m'a vu, je devais porter des couches donc elle ne me reconnaitra pas. Heureusement, j'ai ma carte d'identité pour prouver qui je suis. J'ai même apporté avec moi une photocopie du livret de famille...

'Allez, on y va !'

Je traverse la rue et je m'approche de la porte de l'immeuble. Mon cœur bat fort dans ma poitrine même si j'essaye de garder un air dégagé.

La porte est fermée et je comprends qu'il faut sonner à l'interphone pour se faire ouvrir. Je regarde la liste des noms des habitants, elle est courte, une dizaine de noms, et la parcours rapidement.

Je ne la trouve pas !

Incrédule et soudain très inquiet, je la relis attentivement sans voir le nom Orsini.

'Non, c'est pas possible ! C'est pas possible !'

Je sens de la sueur couler dans mon dos, une sueur froide et aigre et je commence à paniquer. Je n'arrive pas à réfléchir, je suis devant une liste de noms que je lis et relis et relis à nouveau, à chaque fois plus désespéré sans que cela n'y change rien bien sûr mais je n'arrive pas à détacher mes yeux de cette liste : Folani, Yassine, Kremer, Giuliani, Van Loëf, Barchand, Hayleria, Al Khafi, Pontannier et Loudenov.

Pas la moindre Gabriella Orsini !

Sous le choc, je m'assieds sur le petit muret de l'entrée et je tente de reprendre mes esprits. Je suis sûr d'avoir la bonne adresse, je l'ai trouvée sur une carte de vœux envoyée en janvier de l'année dernière. Je me souviens encore de l'écriture que j'avais trouvée élégante.

Bonne année de la part de toute la famille. Tous nos vœux de bonheur ! Gabriella

En dessous était imprimée l'adresse, 35 rue Gambetta 13 500 Martigues.

Je suis tiré de mes pensées par le bruit de la porte qui s'ouvre. Un homme d'une trentaine d'année apparait et je sors de ma torpeur.

-"Pardon monsieur, je cherche la famille Orsini, elle n'habite plus ici ?

-"Je ne sais pas, je viens d'emménager, désolé...

-"Ah merci..."

La porte s'est refermée et l'homme s'est éloigné quand je me décide à sonner chez les habitants pour essayer d'obtenir des renseignements. Il faut au moins que je sache si elle a habité ici et peut-être que quelqu'un pourra m'indiquer sa nouvelle adresse.

'Oui, c'est une bonne idée !'

J'ai appuyé sur tous les interphones mais peu d'habitants de l'immeuble ont répondu. J'ai eu le droit à plusieurs "connais pas" à un "je n'ouvre pas aux étrangers" et un "qu'est-ce que vous lui voulez ?" qui m'a fait espérer un bref instant avant que mon interlocutrice n'enterre mes espoirs par un funeste "non, vous devez vous tromper d'adresse !"

Mon moral descendait encore plus vite que mon doigt sur la liste des interphones et j'étais complètement désespéré quand j'ai sonné chez la famille Pontannier. C'est une voix féminine qui m'a répondu.

-"C'est qui ?

-"Heu bonjour madame, je cherche la famille Orsini, madame Gabriella Orsini mais on dirait qu'elle n'habite plus là ?

-"Vous êtes qui ?

-"Diego, son neveu de Nantes...

-"Ah d'accord... ils ont déménagé il y a presque un mois...

-"Oh... et vous savez où elle habite maintenant ?

-"Ah non, désolé mais elle est toujours à Martigues, je l'ai croisée au marché il y a une dizaine de jours.

-"Ah d'accord... auriez-vous son numéro de téléphone par hasard ?

-"Non, désolé. Au revoir."

Elle a raccroché un peu brutalement mais au moins je sais qu'elle a habité ici.

'Enfin, pour ce que ça m'avance !'

...

Annotations

Vous aimez lire valdomar ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0