CHAPITRE CLVIII
Nous nous sommes retrouvés à l'entrée du lycée. Il était avec un garçon que je ne connaissais pas, sûrement l'allemand chez qui il a dormi. Quand il m'a vu, j'ai vu son visage s'éclairer et j'ai eu envie de le prendre dans mes bras mais nous sommes restés stoïques et il a pris congé de son hôte.
-"On va où ?" me demande-t-il alors que je commence à marcher.
-"Je ne sais pas mais on s'éloigne un peu d'ici, j'ai trop envie de t'embrasser !
-"Oh oui, moi aussi !"
On s'est échappé en riant et à peine avons nous fait le tour du premier pâté de maison que nous tombons dans les bras l'un de l'autre. Nos lèvres se sont trouvées avidement et pendant de longues minutes, nous n'avons fait que nous toucher, caresser, picorer, embrasser, suçoter et cela m'a fait tellement de bien.
J'en avais envie depuis ce matin, non, depuis que nous nous sommes quittés hier soir et cela m'a frustré de lui dire bonjour en lui serrant la main dans la cour du lycée.
Nous nous sommes cependant rendus compte au bout d'un moment que nous n'étions guère plus discrets dans cette rue car beaucoup de lycéens passaient à côté de nous. Certains nous ont regardé, surpris, mais la plupart ne nous ont pas prêté particulièrement attention.
'C'est peut-être mieux accepté qu'en France ?'
...
Qu'est-ce que c'est agréable de se promener dans une ville inconnue main dans la main avec son amoureux ! Je n'aurais jamais imaginé à quel point juste être à côté de lui, le regarder, l'embrasser, rire et le faire rire, pouvait transformer une journée et en faire un moment de grâce. J'ai l'impression d'être léger comme l'air, de flotter au-dessus du sol et je sens une énergie incroyable en moi.
-"Pourquoi tu me regardes comme ça ?" lui demandé-je en remarquant l'intensité de son regard.
-"Parce que j'ai l'impression de rêver et que je veux me souvenir de tout quand je me réveillerai !" répond-il avec ferveur.
-"Oh non, tu ne rêves pas !"
Je l'attire vers moi et je l'embrasse en pleine rue sans prêter attention aux passants.
-"Arrête, tu es fou !"
-"Oui, je crois qu'il doit y avoir trop d'oxygène à Sarrebruck, ça me monte à la tête !
-"Ha ha c'est bien ce que je disais, tu es devenu fou !
-"Allez viens, on a toute la ville à découvrir !"
On s'est baladés sans but véritable sinon que de se perdre ensemble. On a arpenté tout le centre-ville, on a fait les magasins pour trouver des souvenirs et des cadeaux. En sortant du Lego store nous sommes entrés dans une Weinstube, un café, pour boire quelque chose de chaud.
J'ai commandé deux vins chauds au culot et la patronne a souri mais ne s'y est pas opposée. Elle est revenue quelques instants plus tard avec nos deux boissons et elle nous a souhaité la bienvenue à Sarrebrück. Nous l'avons remerciée chaleureusement.
-"C'est incroyable comment les gens sont gentils, ici !" déclare Thibaud encore sous la surprise qu'on nous ait servi de l'alcool.
-"C'est parce qu'ils voient qu'on est amoureux !
-"Oui, peut-être... tu crois qu'en France ce serait pareil ?
-"Peut-être... tu veux qu'on tente l'expérience ?
-"Je ne sais pas... j'aimerai bien mais ça me fait un peu peur...
-"C'est quand même incroyable comme sensation de se promener au bras de son amoureux, de l'embrasser sans se préoccuper du regard des passants !
-"Oui, ça c'est génial quand personne te connaît mais à Nantes...
-"C'est au lycée que ça te fait peur ?
-"Oui un peu..."
J'ai bu une gorgée de vin chaud et il en a fait de même.
-"C'est bon ! On ne sent pas l'alcool...
-"Non, c'est sucré et il y a de la cannelle, j'aime bien !
-"Tu sais, même si la photo a été supprimée, on ne pourra pas empêcher les élèves de parler..." reprends-je.
-"Oui et tout le lycée sera au courant dès qu'on reviendra en cours...
-"Et pendant quelques jours, ils nous regarderont nous balader dans la cour et puis après ils s'habitueront. C'est pas comme si on était le seul couple du lycée !
-"Pas le seul couple, mais le seul couple gay, oui !
-"Il y aura peut-être quelques remarques débiles mais je suis sûr qu'il n'y aura aucun problème. Tu te sens en danger, ici, dans le groupe ?
-"Non, j'ai eu très peur mais finalement j'ai plutôt senti de la surprise d'abord, un peu de curiosité déplacée aussi mais maintenant c'est plutôt de la bienveillance.
-"Tu vois ? Et puis, on est deux et on a pleins d'amis !
-"Oui... c'est incroyable comme tu peux être persuasif ! Personne ne peut te résister !
-"Je suis surtout comblé que le plus beau garçon de la Terre ne me résiste pas !"
Il a rougi et j'ai lu tous les sentiments qu'il a pour moi dans ses beaux yeux verts. J'ai levé mon verre devant mes yeux et il en a fait de même.
-"Prosit, à nous !"
-"A nous !"
...
Sur le chemin du retour nous avons croisé des élèves de la classe de Thibaud ; on a discuté quelques minutes sur les magasins à voir et on leur a raconté qu'on avait bu du vin chaud, ils n'en revenaient pas.
On s'est quittés à la station de tram après s'être embrassés une dernière fois. J'ai passé la plus merveilleuse après-midi et c'est le cœur plein de joie que je suis arrivé chez les Neumann pour 18 heures.
Le diner n'était pas prêt, Anna m'a dit que nous mangerions dans une petite heure alors je suis monté dans ma chambre pour appeler Sébastien. On avait échangé des sms hier mais j'avais envie de l'entendre.
-"Allo Séb, c'est Didi, je ne te dérange pas ?
-"Bonsoir Didi ! Non, j'arrive à l'hôpital, si tu veux je te rappelle dans dix minutes ?
-"OK, à tout de suite !"
Filip est venu frapper à ma porte pour me demander si je voulais jouer avec lui. Je lui ai expliqué que j'attendais un coup de fil mais qu'on pouvait discuter en attendant et il m'a raconté sa journée. Quand ça a sonné, il est sorti de la chambre.
-"Alors raconte-moi Didi, comment ça se passe ?" m'interroge Sébastien.
-"Oh super bien ! C'est génial !
-"Ah ben dis donc, tu as l'air enthousiaste !
-"Oui, mets le haut parleur et je vais vous raconter à tous les deux !
-"D'accord... voilà, c'est fait !"
-"Guten Abend Stéphane, es ist Didi ! Ich bin in Saarbrücken und ich habe viel Spaß "Bonsoir Stéphane, c'est Didi ! Je suis à Sarebruck et c'est super.
Bien sûr, j'ai continué en français ; Sébastien ne parle pas allemand, je sais que Stéphane en a fait un peu et puis moi, je ne suis pas sûr de pouvoir faire un compte rendu précis et exhaustif dans la langue de Goethe !
Sébastien m'a dit que son rendez-vous avec les services sociaux s'était bien passé et qu'il avait rendez-vous vendredi avec David Frot pour mettre la touche finale à notre dossier. Le rendez-vous avec le juge est dans deux semaines et notre avocat est très confiant ce qui rejaillit sur le moral de Sébastien et ça me fait plaisir de le sentir détendu et sûr de lui comme le Sébastien que j'ai toujours connu.
-"Heu Séb, j'ai quelque chose à vous dire à tous les deux, tu peux remettre le haut parleur ?
-"Oui bien sûr... c'est bon, tu peux parler.
-"Merci... heu voilà, il s'est passé beaucoup de choses pour moi ces derniers temps et... " je prends le temps de respirer à fond car je sens que l'émotion me gagne."Je me suis posé pas mal de questions sur moi et j'ai trouvé ma réponse. Alors voilà, je suis gay...
-"Oh Didi ! Et ça va ?
-"Oui très bien, et j'ai un petit copain depuis la semaine dernière !
-"C'est génial !"
C'est en entendant sa réaction que j'ai pris conscience que mon cœur battait très vite dans ma poitrine. Je suis resté quelques secondes sans rien dire, submergé par un maelström de sentiments qui déferlait dans ma tête.
-"C'est qui ? Un garçon rencontré à Martigues ? reprend-il.
-"Hein ? Mais non, c'est Thibaud !"
Il a éclaté de rire.
-"Tu le savais ?
-"Non, je ne savais rien du tout mais on avait bien compris que tous les deux vous aviez une connexion spéciale, quelque chose qui dépasse la simple amitié...
-"Oh... et, tu n'es pas déçu ?
-"Déçu ? Pourquoi ? Je suis très très heureux pour toi et je suis sûr que Stéphane le sera aussi !
-"Merci... j'avais peur que vous soyez déçus que je ne sois pas hétérosexuel...
-"Oh Didi ! L'important pour nous c'est que tu sois heureux et je suis content que vous vous soyez trouvés, Thibaud et toi. Tu es heureux ?
-"Oh oui, je suis fou de bonheur !
-"C'est tout ce qui compte ! Et vous vous êtes déclarés la semaine dernière ?
-"Oui, quand je suis revenu de Martigues ; j'ai beaucoup réfléchi pendant mon voyage et je suis allé chez lui pour lui dire que je l'aimais !
-"C'est magnifique !
-"Aujourd'hui, on a passé l'après-midi ensemble à se balader dans Sarrebruck et c'était magique... c'est tellement génial d'avoir quelqu'un avec qui tout partager... "
Tout à coup, l'émotion a été trop forte et je me suis mis à sangloter sans pouvoir me contrôler.
-"Didi ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Explique-moi...
-"C'est juste que je suis heureux mais Stéphane est dans le coma et si ça se trouve il se réveillera jamais !"
-"Oh non, il ne faut pas que tu te sentes coupable. Il faut que tu vives ta vie, que tu profites de l'instant présent et si tu es tombé amoureux, profites-en ! Vis cet amour avec Thibaud et cela n'enlève rien à la peine que tu éprouves pour Stéphane et à l'amour que tu lui portes !
-"Oui, je sais mais c'est difficile, j'ai l'impression de le trahir !
-"Pas du tout ! Tu es un fils exemplaire et nous t'aimons plus que tout ; tu as le droit de t'échapper de tous ces malheurs et même plus que cela, il faut que tu le fasses sinon tu n'auras plus de forces pour les affronter ! Regarde comment je me suis effondré ! Tu comprends ?
-"Oui... merci..."
Je l'ai entendu sourire, un sourire bienveillant, aimant. Celui d'un père qui porte un regard plein d'amour sur la vie de son fils, ses doutes, ses émois et cela m'a calmé et rassuré.
'Merci Séb, merci pour tout ce que tu me dis et me montres ! Je t'aime, je vous aime tous les deux !'
...
Annotations