CHAPITRE CLXXXII
C'est jeudi matin que ça c'est déclenché. On croyait être à l'abri et finalement non, malheureusement !
C'est à la fin du cours de maths que Thibaud a reçu un mot de sa voisine de derrière. Intrigué il a déplié le papier et son cœur s'est arrêté.
Alors comme ça tu es gay !!!
Il a senti une brusque bouffée de chaleur l’envahir et puis presque aussitôt un frisson glacé lui parcourir l’échine.
‘Oh, non ! Ca recommence !’
Marine s’est aperçu qu’il y avait un problème car elle a vu Thibaud se raidir et devenir tout rouge.
-« C’est quoi ? » murmure-t-elle en désignant le papier du doigt.
Thibaud lui a donné le papier et elle l’a lu.
-« Merde ! Quel connard, tu sais qui c’est ?
-« Non…
-« Ok, t’inquiète pas, on va trouver une solution… »
Il ne lui a pas répondu et elle a senti qu’il était profondément atteint. Profitant que le prof de maths corrigeait un exercice au tableau elle s’est tournée vers ses voisins de derrière pour essayer d’en savoir plus.
Dans la classe, personne n’a réagi ; elle n’a pas entendu de chuchotements ou de petits rires, rien. Alors, stoïquement, ils ont attendu la fin de l’heure pour pouvoir en parler en priant pour que rien d’autre ne se passe.
…
-« Mathilde m’a dit que ça venait de derrière et elle ne sait pas qui lui a donné le mot." déclare Marine.
-« Et qui était derrière elle ?" lui demandé-je.
-« Jules et Gaëtan mais je ne sais pas où ils sont partis, peut-être fumer une cigarette dehors… »
Ils sont restés dans le couloir déserté par les élèves pendant la récré du matin et, prévenu par Thibaud, je me suis joint à eux.
-« Si on analyse la situation calmement il y a plusieurs élèves de ta classe qui étaient au voyage en Allemagne donc ils savent que tu es gay. On est d’accord que ce n’est pas une surprise, Thibaud ?" lancé-je.
-« Oui.
-« Ca doit être un de ceux qui n’étaient pas à Sarrebruck et qui vient de l’apprendre. » reprend Marine.
-« Moi, ce qui me fait peur, c’est la façon dont ça commence ; c’est pas franc, c’est insidieux et j’ai peur de ce que ça annonce…" déclare Thibaud.
-« Ecoute pour l’instant, faut pas paniquer. Ce n’est pas insultant, c’est de la curiosité déplacée mais si ça en reste là, ce n’est pas grand-chose. Mais je suis d’accord, il faut qu’on prévoie que ça continue et là il faudra que tu réagisses et à mon avis le plus vite possible pour ne pas laisser d’autres élèves rejoindre celui ou ceux qui ont lancé ça." analysé-je.
-« Oui, il faut tout de suite intervenir et ne pas leur laisser le temps d’installer leur harcèlement." appuie Marine.
-« Oui mais comment ?
-« Il y a plusieurs possibilités, ça dépend de toi et de la tournure que ça prend. Toi, comment tu as envisagé de réagir, je suis sûr que t’y as pensé pendant les vacances ?
-« Oui un peu mais je pensais plus à quelqu'un me traitant de pédé dans la cour... et comme il ne s'était rien passé je pensais qu’il n’y avait plus de problème… »
…
J'ai essayé pendant le quart d’heure de récréation de rassurer Thibaud mais aussi le guider et de le préparer à réagir.
‘Si ça se passe dans la cour, je serai là et je pourrai réagir, on fera bloc. Mais si ça se passe pendant les intercours, il faudra qu’il se défende tout seul…’
J'ai profité que Thibaud soit parti aux toilettes pour briefer Marine sur ce qu’elle pourrait faire et puis j'ai filé ne voulant pas attirer l’attention sur ma présence.
‘Il est préférable que le petit ami de Thibaud ne reste pas là, ça ne peut qu’alimenter d’éventuels commérages !’
A onze heures, j'ai envoyé un sms à Thibaud mais il ne m'a pas répondu.
‘J’espère que tout va bien… »
J'ai mis Léa au courant et je n’ai pas réussi à me concentrer pendant les deux heures de français. Non pas que j'aie parlé mais simplement je n’arrivais pas à suivre les explications de madame Ravier ou les interventions de mes camarades. A midi, alors que je me levais précipitamment vers la sortie, celle-ci m’a interpelé.
-« Diego, ça n’a pas l’air d’aller, il y a un problème ?
-« Heu oui c’est vrai que je n’arrivais pas à me concentrer, je suis désolé. Heu… il y a peut-être un souci, Thibaud a reçu un mot anonyme pendant un cours ce matin…
-« Quel genre de mot ? Un mot homophobe ?
-« Non pas vraiment mais déplacé et comme il a été harcelé quand il était en collège, il a très peur…
-« Est-ce que tu m’autorises à en parler à madame Grivaud, la prof principale des secondes E ?
-« Heu oui pourquoi pas, ça pourrait être bien qu’elle soit au courant. Merci madame Ravier !
-« Je t’en prie, je t’avais dit de ne pas hésiter à venir nous voir s’il y avait un problème. Allez, va vite le rejoindre, et je compte sur toi pour me tenir au courant de l’évolution de la situation. »
…
J’ai mangé avec Corentin et Boris et c’est Corentin qui a mis le sujet sur le tapis. Marine lui en avait parlé. Ce n’est pas souvent que je vois Boris mal à l’aise mais c’était visiblement le cas.
-« Je suis très mal placé pour parler de ce qui arrive à Thibaud vu qu’au collège, je faisais partie des cons mais il y a une chose dont tu peux être sûr, Diego, c’est que je ne laisserai pas ça se reproduire.
-« Merci Boris !
-« Et si je dis ça c’est pas parce que c’est toi ou que c’est Thibaud. Je connais bien deux gars qui font du foot dans la seconde E, je vais aller les voir…
-« Oui mais fais gaffe, si ça se trouve, c’est eux !"s'exclame Corentin.
-« Eh bien si c’est eux, ils vont comprendre que je ne plaisante pas ! »
J’ai retrouvé Thibaud à la cafète et il m’a confirmé qu’il ne s’était rien passé entre 10 h et midi.
-« Peut-être que ce n’était qu’un gros maladroit ?
-« Oui… peut-être…
-« Ou quelqu’un qui veut se placer ? Je ne veux pas faire mon jaloux mais attention ! » relancé-je en plaisantant.
-« Non, c’est pas ça…
-« Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Qu’on discute de comment on gère la situation ou tu préfères qu’on passe à autre chose ?
-« On parle d’autre chose, j’en ai marre de ne penser qu’à ça depuis ce matin !
-« Ok, tout à fait d’accord. Je t’aime !
-« Oh moi aussi !
Nous avons rejoint le groupe des joueurs d’échec et avons essayé tant bien que mal d’oublier l’incident.
‘Peut-être qu’on se trompe et que c’est juste une réaction pas très fine mais sans volonté de nuire !’
‘Peut-être…’
.
Annotations