CHAPITRE CLXXXVIII
Je suis allé jeudi à la réunion du club Arc-en-ciel et ils étaient contents de voir qu'on avait réussi à constituer une équipe pour présenter le projet de loi pour le Mariage pour tous aux secondes.
-"C'est super parce que c'est pas évident quand on n'a pas fait son coming-out. C'est qui ?" demande Matthys.
-"Thibaud et moi. Mais Thibaud ne voudrait pas faire la présentation devant sa classe, c'est la seconde E.
-"Thibaud et toi... je ne sais pas lequel d'entre vous a le plus fait bouger l'autre mais en tous les cas, vous avez drôlement avancé les gars, bravo !
-"Diego et Thibaud, le couple de l'année !" reprend une grande brune en souriant.
-"Comment tu le sais ?" réponds-je surpris en me tournant vers la fille.
-"Oh, Julie sait tout sur tout le monde, mais ne t'inquiète pas, ça ne sort pas du club.
-"De toute façon, ça va finir par se savoir..." approuvé-je.
-"Oui, surtout depuis que Thibaud a dit devant toute sa classe qu'il était gay." reprend Julie.
-"Qu'est-ce que je te disais !" conclut Matthys en souriant.
-"Et vous serez le premier couple gay officiel de seconde du lycée !
-"En tous les cas, on vous compte dans le planning. Nous, on a trois équipes donc, comme il y a huit classes de secondes ça fait deux classes par équipe."
Tous les volontaires ont donné leur emploi du temps à Matthys et on s'est réparti les classes. Thibaud et moi, nous interviendrons devant la seconde A, dès lundi matin et puis après, en fin de semaine, dans la seconde H.
-"Et c'est pas grave si vous avez cours, sauf s'il y a un devoir, j'ai négocié avec les CPE, il n'y a pas de problème."
Je suis resté jusqu'à la fin de la réunion. On a discuté de l'avancement du projet de loi et de la nouvelle manifestation des opposants à Paris dimanche prochain.
-"Ils continuent à mettre la pression avant que le texte soit examiné par le Sénat
-"Oui, et on sait très bien que la gauche n'a que six voix de majorité au Sénat...
-"De toute façon, c'est l'Assemblée Nationale qui aura le dernier mot !
-"Oui, mais si le texte est rejeté au Sénat, ça retarde son adoption de plusieurs mois, peut-être après les vacances...
-"Il faut garder confiance et puis il y a un mot d'ordre de mobilisation pour samedi 10 avril..."
J'ai trouvé ça passionnant, j'ai eu l'impression d'assister à la coulisses de la naissance d'une réforme majeure, d'en être un tout petit peu un acteur, et je suis sorti de la réunion empli d'enthousiasme et déterminé à expliquer dès lundi à mes condisciples de seconde l'enjeu d'une telle réforme.
'Ils faut qu'ils comprennent que c'est la France de demain contre la France du passé !'
'Tiens, c'est pas mal comme slogan, il faut que je le note !'
...
Thibaud est parti ce matin aux championnats de France à Amiens. Le club a loué deux minibus et ils vont voyager toute la journée de vendredi. J'aurai bien aimé venir et si ça avait eu lieu dans une ville proche, je serais allé les rejoindre mais pour cette fois, je devrais me contenter de suivre les résultats à distance.
Marine m'a désigné Florian dans la cour et j'ai failli aller le voir mais finalement je me suis retenu.
'Il ne comprendrait pas et il risquerait d'avoir peur...'
Bref, Thibaud n'est pas là depuis ce matin et il me manque déjà. Pourtant au lycée, nous sommes très discrets et nous nous comportons comme si nous étions juste des amis. Pas de baisers ni de petits gestes tendres comme ne s'en privent pas les couples hétéros.
'D'ailleurs ils ont bien raison, à leur place je me gênerais pas !'
Ca m'a fait réfléchir et je crois que maintenant que nos classes savent que nous sommes gays et que tous les élèves du voyage à Sarrebruck savent que nous sommes amoureux, peut-être qu'on pourrait se permettre quelques marques d'affection.
'J'espère que Thibaud sera d'accord...'
Dès mon retour à la maison, nous sommes partis à Locmariaquer comme tous les week-end depuis que Stéphane se trouve à Quiberon. Quand je suis arrivé, j'ai senti que Marie était un peu nerveuse.
-"Il y a un problème ?" demandé-je à Edouard en retournant dans le salon.
-"Non, mais comme Sophie vient demain avec son "fiancé", elle est dans tous ses états !
-"Oh, d'accord. Et pas toi ?
-"Non, enfin pas vraiment. Normalement, c'est le gendre qui est nerveux à l'idée de rencontrer sa belle-famille !
-"Oui, j'imagine...
-"Tu ne l'as pas été quand tu as rencontré les parents de Thibaud ?
-"Heu non parce que je les connaissais déjà mais c'est vrai que quand on est descendus prendre le petit déjeuner la première fois, on était un peu tendus...
-"Ah parce que..."
Il m'a regardé surpris et j'ai clairement vu le cheminement de ses pensées dans son esprit et puis il a éclaté de rire.
-"Ah la jeunesse ! J'ai oublié ce que c'était d'avoir ton âge !
-"Oh mais non, il ne s'était rien passé, Papy ! Enfin, c'est une longue histoire...
-"Oui, oui, bien sûr..."
...
Samedi après-midi Sébastien et moi sommes allés voir Stéphane et nous l'avons à nouveau trouvé dans le jardin. Cette fois, il s'est levé avec aisance et est venu vers nous en trottinant.
-"Wouaw Stéph, impressionnant !
-"La prochaine fois, on te dit quand on arrive et tu viens en footing à la maison !"
Il était rayonnant.
-"Merci, oui, ça fait plaisir de voir que ça avance bien.
-"Plus que bien, c'est sûr dans quinze jours, tu seras en super forme !"
Nous sommes restés dans le jardin à discuter de son retour à Nantes, de la fin d'année et des vacances d'été. Sébastien avait enlacé Stéphane et il lui caressait le bras et la main. Lui aussi rayonnait tout à sa joie de vivre retrouvée ; je les ai contemplés silencieusement un instant puis je me suis levé.
-"Je vais vous laisser un peu, il faut que j'appelle Thibaud, je vais me promener dans le bourg. Je reviens dans une heure..."
Bien sûr, c'était un prétexte pour les laisser seuls mais c'est vrai que j'avais envie d'avoir des nouvelles de Thibaud. On a longuement discuté hier soir mais ce matin je n'ai pas réussi à l'avoir. Je lui ai envoyé des messages d'encouragement mais j'aimerais bien lui parler.
Je sors du centre de rééducation et je marche rapidement en direction du bourg. Il n'y a personne dans le village et je décide de m'arrêter à la première terrasse déserte pour l'appeler. Arrivé sur la place de l'église, j'avise le café des sports et je m'installe à l'écart sous un parasol.
Je commande un café et j'appelle Thibaud qui décroche immédiatement.
-"Allo Thibaud ! Alors comment ça se passe ?
-"Diego ! Oh pas très bien, je me suis qualifié de justesse pour les demi-finales en 100 mètres, je n'avais pas d'énergie...
-"Tu as mal dormi ?
-"Pas très bien, Quentin a ronflé toute la nuit...
-"Oh, d'accord... et tu as nagé la série du 50 mètres ?
-"Non, pas encore, dans une demi-heure.
-"Ok alors, je vais essayer de te motiver un peu. Si tu te qualifies pour une finale, je te laisse disposer de mon corps pour y faire tout ce que tu voudras dès qu'on se revoit...
-"Et voilà votre café !"
J'ai sursauté quand le garçon est venu poser mon café sur la table. Il n'a rien laissé paraître mais je pense qu'il m'a entendu.
-"Heu merci..." réponds-je en sentant que je prenais des couleurs.
-"Tu dis merci à qui ?
-"Au garçon qui vient de m'apporter mon café... je crois qu'il m'a entendu...
-"Oh !
-"Rigole pas !
-"T'inquiète pas, je suis bien trop concentré sur ce que j'ai entendu. Tu as bien dit tout ce que je veux ? Même ce qu'on n'a pas encore fait ?
-"Ha ha ha ! On dirait que j'ai trouvé quelque chose pour te motiver. Oui, tout ce que tu veux !
-"Alors moi aussi, je te laisserai faire tout ce que tu veux...
-"Oh ! Mais pourquoi tu chuchotes ?
-"Il y a Nicolas qui veut me parler, ça va bientôt être à moi...
-"OK, salue-le de ma part et nage bien !
-"Alors là, oui, tu peux compter sur moi ! J'ai retrouvé un gros moral et une motivation en béton armé !
-"Oui, oui, je vois très bien ce qui est gros et dur..."
Je l'ai entendu éclater de rire au bout du fil.
-"Il faut que j'y aille. Je t'aime !
-"Moi aussi je t'aime ! Appelle-moi ce soir !"
J'ai raccroché un grand sourire aux lèvres. J'ai posé mon téléphone sur la table, j'ai bu une gorgée de café et je me suis aperçu qu'il y avait une bosse dans mon short.
'Moi aussi, je suis excité. Vivement qu'on ait un peu de temps rien que pour nous deux !'
...
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