CHAPITRE CCIV
Du plus loin que je me souvienne, je crois que je n'ai jamais été aussi heureux.
Bien sûr, il faut un peu de temps pour en prendre conscience mais l'année a été tellement riche en évènements, en drames particulièrement, que maintenant que tout est derrière moi, je commence à réaliser la chance que j'ai.
Stéphane est revenu parmi nous sans souffrir de séquelles de son long coma, Sébastien a retrouvé son équilibre, s'est refait une santé, et ils sont encore plus amoureux l'un de l'autre. En ce qui me concerne, j'ai retrouvé mon foyer et l'épisode de la Ransay n'est presque plus qu'un mauvais souvenir et puis j'ai fait la connaissance de Gabriella. Je suis impatient de la revoir cet été puisqu'on s'est promis de descendre dans le sud pour passer quelques jours avec sa famille.
Et puis, bien sûr, il y a Thibaud ! C'est incroyable comme notre histoire m'a transformé ; je sais que j'ai beaucoup mûri au cours de cette année pour tout un tas de raisons mais c'est grâce à Thibaud que j'ai compris qui j'étais et que je me suis épanoui.
Mon Dieu, de quelle patience a-t-il fallu qu'il fasse preuve ! Et quelle chance j'ai eu que nos chemins se croisent pour nous permettre de connaître le bonheur qui est le nôtre à cet instant...
Décidemment, l'amour est quelque chose d'unique, quelque chose qui vous pousse à aller de l'avant, à prendre des risques, à vivre tout simplement !
Allongé sur un transat, je regarde Thibaud faire des longueurs dans la piscine. Les autres sont partis depuis une demi-heure mais Thibaud est resté, officiellement pour m'aider à tout ranger, même si bien sûr cela a déclenché quelques remarques ironiques...
-"Ben voyons et en plus il le dit très sérieusement !" ironise Cassandra.
-"On est naïfs mais quand même ! Tes parents sont pas là, on a compris..." renchérit Maellis.
J'ai rigolé alors que Thibaud rougissait.
-"Vous avez tort de plaisanter, ce n'est pas la première fois que Thibaud vient m'aider à aspirer..."
Je l'ai regardé avec un petit sourire alors qu'il s'empourprait davantage...
Léo et Florian sont partis se changer dans ma chambre tandis que nous continuions à discuter avec les filles et Gabriel.
-"Vous êtes comme moi, vous avez remarqué ou non ?" glisse Eva.
-"Tu veux dire, Léo et Florian ?" reprend Cassandra.
-"Oui, Léo est complètement transformé, il parle sans qu'on ait besoin de l'interroger, il plaisante et il a un petit sourire craquant...
-"Et Florian n'a pas l'air d'y être insensible !" intervient Maellis.
-"Tant mieux mais surtout pas de remarque ou de plaisanterie, c'est toujours Léo et il ne faut pas le mettre mal à l'aise."
Les innocents sujets de nos commérages revenant tout sourire, nous avons changé de conversation et puis tous mes amis ont pris congé en me remerciant pour cette excellente après-midi.
'C'est vrai que c'était sympa, il faudra qu'on refasse ça maintenant que les beaux jours arrivent...'
Je lève la tête et je m'abîme un instant dans la contemplation des fesses blanches de Thibaud. Sitôt les autres partis, je l'ai initié à sa première séance de naturisme. Comme toujours, il a lui a fallu vaincre une certaine réserve mais quand j'ai plongé nu dans la piscine, il n'a pas tardé à m'imiter.
-"Alors, franchement tu trouves que c'est comment ?
-"Génial ! C'est incroyable, je me sens léger... c'est comme ça qu'on devrait nager !
-"Tu vois, je te l'avais dit. Il ne te reste plus qu'à convaincre Bruno pour les entraînements de l'année prochaine !
-"Ah oui, alors ça c'est moins sûr !
-"Dommage, je suis sûr que ça aurait du succès !"
Je me rapproche du bord et le regarde fendre l'eau silencieusement. En quelques battements il touche le bord, notre piscine est beaucoup trop petite pour un vrai nageur !
-"Ca va, tu ne te cognes pas trop souvent aux bords !
-"Ha ha non, c'est vrai que quelques mètres de plus ne seraient pas de refus mais je t'envie trop pour me plaindre ! Tu viens ?
-"J'arrive mais pas pour nager !
-"Pourquoi, alors ?
-"Devine... pour jouer avec ton périscope !"
...
Nous ne sommes pas restés longtemps dans la piscine mais c'est une séance dont je me souviendrai ! Sitôt notre excitation calmée, nous sommes ressortis et après nous être changés, nous avons rangé la maison et nettoyé la terrasse et la cuisine. Thibaud s'apprêtait à repartir mais je l'ai convaincu de rester manger ce soir.
-"D'accord, je demande à mes parents."
Pendant qu'il sortait son téléphone pour appeler, je suis allé dans ma chambre. J'ai ouvert le tiroir de mon bureau, j'y ai pris la petite boîte que j'y avais déposé la semaine dernière et je suis revenu le cœur battant sur la terrasse.
-"Je peux pas rester, il y a mon oncle qui est à la maison et mes parents veulent que je rentre pour le saluer..." déclare Thibaud avec un petit sourire triste.
-"Ah oui, bien sûr... dommage. Mais avant que tu partes, j'ai quelque chose à te dire..."
J'ai intercepté son regard interrogateur en direction de la boîte que je tenais dans la main.
-"Puisque que tu as dit que tu allais me demander en mariage dans deux ans et demi, je voulais moi aussi te prouver tout ce que je ressens pour toi et à quel point tu comptes pour moi..."
J'ai posé un genou à terre et j'ai ouvert la boîte en le regardant dans les yeux. Il est devenu tout rouge et ses yeux brillaient.
-"Oh !
-"Thibaud Winogravski, veux-tu être mon fiancé ?
-"Oh Diego, tu es fou ! Oh mon Dieu !
-"Heu j'attendais une autre réponse...
-"Oh pardon. Oui ! Oui, je le veux !"
Il a pris les anneaux et les a regardés attentivement.
-"Oh, il y a nos prénoms gravés à l'intérieur !
-"Oui, mets-moi celui qui porte le tien et je te mettrai celui avec le mien. C'est pour que nous soyons toujours ensemble !"
En tremblant, il a délicatement passé la bague à mon doigt et j'en ai fait autant.
-"C'est magnifique, je suis le garçon le plus heureux de monde ! Merci Diego..."
Un grand sourire éclairait son visage rouge d'émotion et ses yeux étincelaient de joie et de bonheur.
-"Merci à toi d'être le meilleur petit ami du monde !"
Il m'a serré dans ses bras et je l'ai embrassé tendrement.
-"Maintenant tu peux rentrer, mon joli fiancé !
-"Merci Diego, je ne la quitterai jamais, même pour dormir !"
Nous nous sommes embrassés une dernière fois et puis il est parti. Je suis allé dans ma chambre et je me suis allongé sur mon lit.
Je suis heureux !
Mon Dieu, comme je suis heureux !
Qui aurait imaginé que cette année aurait à ce point transformé ma vie ? Pas moi, pas un instant !
Je repense au début d'année, à mon expérience "bizarre" avec Bérangère, aux conseils de Boris que je ne comprenais pas parce que je ne ressentais pas cette envie, ce désir si naturels pour mes copains. Je n'aurais jamais imaginé début septembre que quelques mois plus tard, je trouverai une telle réponse à mes questionnements sur ma future vie d'homme. Je n'avais pas réalisé que ce n'était pas la sexualité qui me faisait peur et que mon malaise vis à vis de mes relations avec les filles provenait tout simplement du fait que ce n'étaient pas elles qui m'attiraient.
Je revois, le visage de cet inconnu m'adressant la parole dans le bassin de la piscine, ce Salut qui a changé ma vie.
'J'ai tout de suite senti qu'il se passait quelque chose mais j'étais à mille lieux de comprendre ce que c'était !'
Quel petit garçon innocent, j'étais !
Mais bon j'avais quatorze ans, je venais tout juste de quitter l'enfance et d'ailleurs je me souviens que je n'avais pas envie de quitter ce monde de l'innocence...
'Franchement, aujourd'hui, je ne le regrette pas !'
C'est ça la vie, c'est un éternel changement et il faut l'accepter. Bien sûr, l'adolescence est certainement la période au cours de laquelle ces bouleversements sont les plus soudains et l'adaptation n'est pas évidente mais j'ai la chance d'avoir des parents extraordinaires qui sont là pour me conseiller et me guider.
'Et maintenant, ils vont se marier et plus rien ne pourra nous séparer !'
Je crois que si j'avais le pouvoir de revenir en arrière de quelques années, je serais fier d'écrire sur la fiche de renseignement traditionnelle le jour de la rentrée :
profession du père : professeur de français
profession de la mère du père : informaticien
Bien sûr, ce n'était pas imaginable à l'époque, j'étais trop jeune et puis il y avait Les règles de Nantes...
On en a discuté tous les trois lors d'un Conseil de famille et on a décidé de les abandonner. Stéphane et Sébastien ont compris que j'étais assez grand maintenant pour pouvoir faire face et me défendre. Notre environnement nantais s'est révélé plus qu'à la hauteur de ce que nous avions espéré. Nos voisins d'en face sont devenus des amis et nous entendons bien avec les autres. Ils avaient tous compris depuis longtemps que nous étions une famille homoparentale et, passé la surprise, l'avaient très bien accepté. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura jamais de problème, je l'ai compris l'autre fois quand nous avons été pris à parti dans le tram, Thibaud et moi, mais c'est en train de changer.
Je suis passé d'un monde où ma famille se cachait pour essayer de vivre tranquillement, à un nouveau monde, où nos droits sont reconnus officiellement, où le mariage est devenu possible pour les gays. Bien sûr, il faudra du temps pour que cela se traduise effectivement dans la réalité, pour que les mentalités évoluent, mais tout de même, quelle victoire !
Est-ce que les homophobes, les réactionnaires, les jusqu'au-boutistes se transformeront en partisans de cette nouvelle égalité ? Non, bien sûr mais comme le dit Stéphane, pour les changements sociétaux, il ne faut pas raisonner à l'échelle de l'individu mais mesurer l'évolution d'une génération à l'autre, patiemment.
Le changement ce n'est pas maintenant mais les graines ont été plantées pour qu'il puisse advenir bientôt et j'ai la vie pour grandir avec lui...
Avec lui et avec Thibaud...
Je suis heureux !
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