Et le sang de la bête sur l'autel sera versé

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Parfois, le vent sifflait, par à-coup. Le bruit des insectes était continu. Par intermittence, on entendait des hululements, de plus loin par contre. La forêt autour de nous était comme...malade. Les arbres étaient tous noirs. Seule une poignée de feuilles rouges pendaient du bout de leurs branches. On ne voyait au sol qu'un chemin de terre étroit au milieu d'un champ de feuilles mortes qui menait à une drôle de maison. Plus bizarre encore, une lanterne suspendue au porche en éclairait l'entrée.


Des débris de branches et de feuillage craquaient sous nos pieds. Au fur et à mesure que nous avancions, un hibou nous regardait de ses yeux noirs, immobile, en train de nous observer.

J'étouffai un cri. Des chauves-souris, la tête en bas, heureusement endormies, ne semblaient pas vouloir se réveiller. Tant mieux.

"Eh, ça va, Ismael ? me demanda mon copain Trevor.

- Ouais, ouais, ça va."


Nous nous rapprochions de plus en plus de la maison. Elle était plutôt petite, toute en bois, avec un toit rouge. Il devait y avoir une chambre à l'étage et une cheminée, car on voyait une fenêtre et un conduit au sommet de la maison. Une rocking chair se tenait sur le porche. Des toiles d'araignées s'étiraient entre ses barreaux de bois.

"On dirait qu'elle est abandonnée, cette maison, constata mon autre copain, Dean.

- Ouais, c'est parce que les derniers occupants sont partis de là il y a cinquante ans de ça...enfin, en tous cas, c'est ce que m'a dit mon frère...allons regarder ça de plus près, répondit Trevor.


Nous escaladions les deux marches pour atteindre l'entrée de la maison. Deux crânes de cerf avec leurs bois ornaient les deux murs avant de la maison. Des trophées de chasse d'un autre temps.

"Eh, euh les gars...je sais pas si c'est une bonne idée...

- Qu'est-ce qu'il y a, Dean, tu as la frousse maintenant ? lui dit Trevor, moqueur.

- Non, c'est pas ça, j'ai juste que...elle m'inspire pas cette maison.

- Très bien...dans ce cas, tu n'as qu'à nous attendre là en attendant qu'on revienne.

- Euh non, en fait, ça va aller, je vais entrer avec vous."


Je ne sais pas si nous étions téméraires ou inconscients, en tous cas nous nous dépêchions d'entrer. Malheureusement, à peine à l'intérieur, la porte s'était refermée derrière nous dans un claquement .

"AH !"


Je me redressai d'un bond dans mon lit en criant. J'avais peur, j'avais du mal à respirer. Il était 3h du matin quand je regardai mon réveil. Puis je pris pleinement conscience que j'étais en fait dans ma chambre dans MA maison et non dans CETTE maison. Je le savais parce que je voyais par terre ma Nintendo Switch, que j'avais oublié de ranger. Pourtant, tout paraissait si réel dans cette cabane dans les bois, c'était comme si...j'y étais. Je pouvais encore sentir l'air renfermé, la poussière, entendre le grincement du plancher sous nos pieds.

Je n'avais pas dû entendre mon réveil le lendemain matin, parce que j'avais dû sauté dans mon pantalon et emporter les pancakes que ma mère m'avait fait pour les manger sur le trajet. J'étais arrivé juste à temps pour le ramassage scolaire, ouf ! Je mordais à pleine dents mon petit-déjeuner, soulagé. Mais le souvenir de la cabane me revenait. Je secouai la tête pour ne plus y penser.

L'école s'était plutôt bien passée, à part le fait que Mr Stevenson m'avait trouvé trop distrait en classe (j'avais encore l'image de la maison dans les bois dans la tête). J'avais accepté de venir samedi soir faire une partie de Donjons et Dragons chez Dean, mais je n'avais pas eu le courage de lui parler de mon cauchemar, bien qu'il fût dedans.


Je courrais vers la porte.

"Mince, c'est fermé, je n'arrive pas l'ouvrir !"

Dean m'aidait de toutes ses forces sur la poignée, mais rien n'y faisait. Nous étions tous les trois enfermés dans cette cabane au fond des bois, et il nous faudrait trouver une autre sortie. Nous allumions nos lampes torches pour mieux y voir.

Le séjour était assez peu accueillant, même pas du tout, baigné dans la lumière faiblarde de candélabres aux mèches presque entièrement brûlées. Un énorme fauteuil en cuir sombre se tenait à côté d'un piano. J'enfonçai une des touches, il était désaccordé. En effet, on n'avait pas dû y jouer depuis très longtemps. Au-dessus d'un vieux buffet était accroché un tableau représentant un vieux moulin dans les montagnes.

Dean se tenait immobile en bas des marches de l'escalier.

"Moi, je monte pas là-haut, nous dit-il.

- Ecoute, la seule porte qu'on a vu ici est celle par laquelle on est entrés et on arrive pas à la rouvrir. Et y'a pas de trappe au sol. Imagine, s'il faut, on sera obligés de descendre par la fenêtre du haut pour sortir de cette maison, lui expliquai-je.

Il gégnit.

- Allez, arrête un peu, viens."


L'escalier grinçait à n'en plus finir. Mais ce n'est pas tant la solidité des marches que je questionnais. Le mur qu'on longeait pour monter à l'étage était défraîchi. Il y avait même des trous énormes dans la cloison à cause de la moisissure. Plus bizarre encore, des photographies étaient restées accrochées, parfois même de travers. On y voyait une compagnie de chasseurs tout sourire autour de leur proie allongée par terre, les yeux encore ouverts. Puis un autre portrait, celui d'un couple de retraités, heureux sur le perron de la maison. Et enfin, celui d'une famille, un bûcheron semblait-il, son épouse, leur fille et leur labrador. Tous souriaient sur ces images en noir et blanc du passé. Tous, sauf la fille du bûcheron. Elle semblait regarder l'objectif avec des yeux ronds, comme si elle avait été surprise par quelque chose. Ou quelqu'un.

L'escalier donnait sur une mezzanine, qui ne donnait que sur une seule porte. Tout était sombre, on n'y voyait presque rien. Un pas après l'autre, nous arrivions sur le seuil.

On avait tous peur, parce qu'on ne savait pas ce qu'on allait trouver dans cette chambre. Même Trevor ne faisait plus le malin. Nous avions tous peur de devoir ouvrir cette fichue porte.

"Euh...on a qu'à jouer à Shifumi et celui qui perd devra ouvrir la porte."

Après plusieurs protestations de Dean, nous nous mettions à jouer.

"Pierre-papier-ciseaux"

Dean avait choisi pierre, moi aussi, Trevor ciseaux. Raté !

"Pierre-papier-ciseaux"

Dean avait choisi feuille, moi ciseaux, Trevor ciseaux.

Dean était éliminé. Ça se jouait entre Trevor et moi.

"Pierre-papier-ciseaux"

Trevor avait fait le signe de la pierre, moi celui de la feuille. J'étais sauvé !

Trevor, par contre, tremblait. Il hésitait. Puis il saisit et tourna la poignée de la porte qui grinça d'une manière dont je n'avais jamais entendu une porte grincer auparavant.

Rien ne nous avait préparé à ce qu'il y avait dans cette chambre. Les murs étaient sales, griffonnés de symboles indescriptibles. Un miroir à côté était brisé dans toute sa hauteur. Le lit en métal n'avait qu'un matelas, avec des traces de sang. Le plus flippant, c'était le mur sur la droite. Des poupées. Une dizaine au moins. Elles étaient en bonne état pour certaines, il y en avait d'autres par contre à qui il manquait des habits ou une partie du visage. Elles nous regardaient de leur yeux noirs, ou plutôt..c'était comme si elles nous aspiraient avec leurs yeux. J'avais la chair de poule, j'ai horreur des poupées.

Tout à coup, l'une s'était subitement décrochée et s'était fracassée sur le sol de la chambre.

"AH!"


Je me réveillai d'un coup. Je ne savais plus où j'étais. Je me dépêchai d'allumer ma lampe de chevet. J'étais bien dans mon lit chez moi, je soufflai. Je fermai les yeux, tout en remarquant que mon T-shirt était trempé. Tandis que je me levai pour aller en chercher un autre, je remarquai que j'avais repris mon rêve...au même moment où je l'avais laissé. Comment c'était possible ? Je ne me souvenais jamais de mes rêves, en plus. Jamais...sauf celui-là. Je n'y comprenais rien, et ça me faisait peur. Ça arrivait souvent ce genre de trucs ? Papa me prendrait pour un taré si je lui en parlais, c'est sûr.


"C'est dingue ton histoire ! Moi, je n'ai absolument pas rêvé de ça, me dit Dean, qui buvait mes paroles.

- Je vous vois déjà assez à l'école, pas la peine que vous débarquiez dans mes rêves quand je dors.

- Trevor, je suis sérieux."

La cloche retentit, mettant fin à notre conversation...et à mon but de trouver des réponses auprès de mes copains d'école.

"Ça ne va pas, mon chéri ? me demanda ma mère.

Elle avait fait mon plat préféré, des lasagnes avec plein de cheddar sur le dessus. Mais j'avais l'estomac noué, je n'en avais avalé qu'une bouchée.

- Non, c'est rien, c'est ce devoir de maths qu'on a demain, lui dis-je. On sait tous que je n'ai pas un bon niveau, pas vrai ? plaisantai-je, je ferais mieux d'aller réviser.

- Mais Ismael..."

Je laissai ma mère en désarroi sans réponse face à mon assiette pleine de pâtes gratinées, tandis que mon père se gavait bruyamment de la sienne.

Je relisais mes notes d'algèbre tout en admettant que j'avais peur d'aller me coucher. Après plusieurs lectures inefficaces, je refermai mes livres d'école, pour me replonger dans les aventures de Robinson Crusoé. J'admirais ce personnage débrouillard et intelligent, alors que je n'étais qu'un enfant qui refusait d'aller au lit, et pourquoi ? Pour un fichu cauchemar ! Ce n'était qu'un rêve, je n'allais pas en faire tout un cinéma non plus !

Enervé, je mis mon pyjama, me recouvrai de ma couverture et éteignis la lumière. Je n'étais qu'un pleurnichard, et ça m'agaçait.


Trevor était bouche bée. Il était pétrifié.

A ma grande surprise, Dean, lui le plus émotif de nous trois, observait la pièce de sa lampe torche.

" On dirait la chambre...d'une fille.

Il s'approchait des symboles inscrits sur le mur. Il laissait glisser ses doigts dessus, comme pour les retracer.

"Je pense qu'elle essayait de faire passer un message, de dire quelque chose.

"Trevor, aide-moi s'il te plaît."

Il tira de toutes ses forces sur le tiroir du bas de la commode sur lequel je m'affairais. Rien n'y faisait, il devait être coincé. Je mis un coup de poing en dessous. CLAC ! Nous ouvrions enfin le tiroir.

Trois crucifix de tailles et de métaux différents étaient éparpillés là.

"Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?!

C'est là que je l'ai vue dans le miroir. Une fille aux cheveux longs se tenait debout derrière nous. Nous nous retournions dans un sursaut. Elle n'était plus là, elle avait disparu. Puis la porte s'était lentement rouverte.

"Je n'aime pas trop beaucoup ça, dit Dean."

Sans réfléchir, je pris les crucifix et en distribuai à chacun.

"Tu rigoles, j'espère !

- Rien de ce qui se passe dans cette maison n'est normal, Trevor. Et si tu as une meilleure idée, surtout ne te gêne pas pour la partager ! On y va."

Nous passions le seuil de la chambre et retournions sur nos pas sur la mezzanine.

"Eh, elle était pas là toute à l'heure, cette porte !

En effet, non. Il y avait bien maintenant une deuxième porte qui donnait sur la première, juste en face. Et elle n'était pas là quand nous étions arrivés là plus tôt. Nous étions tous les trois terrifiés.

"Tanpis, j'ouvre."

Et c'est là que j'avais compris qu'on ne sortirait pas de cette maison vivants.

Dans cette pièce de la taille d'un cagibi se trouvait un pentacle au sol fait de cire de bougie, devant lequel se dressait un foyer. Un immense crâne de bœuf ou de vache trônait avec ses cornes immenses.

Il y avait bien quelque chose dans cette maison qui la pourrissait de l'intérieur et qui en prenait possession. Et cette chose n'avait définitivement aucune bonne intention.

"Mon Dieu !"

C'est sûr, on ne pouvait pas dire autre chose sur le fait. Je crois que Dieu n'avait plus été présent dans cette maison depuis bien longtemps.

Puis il y eut ce rire, grave, profond, sinistre.

"AH!"


Bon sang, ce que j'étais fatigué. Je tenais sur les nerfs. Je dévalai les escaliers et courus vers le thermos de mon père qu'il avait laissé sur la table. Je courrai vers la porte d'entrée.

"Yvonne, tu n'aurais pas vu mon café ?" l'entendis-je avant de refermer la porte.

J'essayai tant bien que mal de me concentrer sur mon devoir d'algèbre, mais je n'y comprenais rien, et puis j'étais trop impatient d'aller à la bibliothèque municipale comme je l'avais prévu pour trouver des réponses à mes cauchemars qui bizarrement mis bout à bout était comme une suite logique.


Je prétextai d'avoir un exposé à faire sur l'esclavagisme pour me rapprocher de la section des vieux journaux. La bibliothécaire gardait souvent le nez sur son ordinateur, je m'arrangeai donc pour me glisser en douce vers ce qui m'intéressait vraiment.

Faits divers, Abbotsford, année 1970.

Après une heure de recherche, je tombai sur ce fameux article.

"Découverte macabre dans le Coquihalla Canyon Park : la piste criminelle envisagée.

Sa famille n’avait plus de nouvelles depuis des mois. Sans réponse ni à leurs lettres, ni à leurs télégrammes, les proches d'Emily Callaghan, 32 ans, ont alerté les services de police d'Abbotsford. Le shérif McCole a donc lancé un avis de recherche pour toute la famille.

Mais dans la journée, les enquêteurs découvrent aux abords de la maison dans les bois, les restes humains de la mère et de sa fille Coraline, 7 ans, en tenue de nuit, les corps enveloppés de draps. Le chien de la famille, un labrador semble-t-il, a été aussi abattu et enterré à côté de la fillette. Le père, Jason Caldwell, lui, reste introuvable.

D'après le médecin légiste, les victimes auraient été abattues à coups de hache. On sait que le père, bûcheron de métier, en possédait une collection importante. La petite entreprise, d'après nos sources, n'était pas florissante et la famille peinait à joindre les deux bouts. On apprend également que le père avait peu à peu basculé dans la dépression et que le la fillette avait fini par être déscolarisée.

Plus étrange encore, la police fait état d'inscriptions dans la chambre de la fillette et sur les deux sépultures à l'extérieur de la maison dans un langage encore non décrypté. Il est trop tôt encore selon eux pour se prononcer, mais ils feraient tout leur possible pour dévoiler les terribles secrets de la maison et expliquer pourquoi un honnête homme s’en prend subitement à sa propre famille sans laisser de trace."

Puis il y eut à nouveau ce rire, grave, profond, sinistre.

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