Au seuil de la conscience
Ce matin-là, j'étais prêt et disposé à explorer le monde des rêves lucides, une capacité instinctive que j'ai la chance de posséder depuis ma plus tendre enfance. Les rêves se succédaient les uns après les autres, ponctués de courts réveils, mais, j'eus envie de plus de sensation, je voulais aller plus loin. Alors à chaque réveil, je tentais une technique d'induction afin d'accomplir une sortie de corps, technique qui consiste à rester immobile dès le réveil afin de déclencher des vibrations dans tout le corps.
Cependant, malgré mes efforts, j'avais la sensation d'être englouti par mon matelas, mon corps semblait lourd et je finissais toujours par tomber dans un trou noir qui me ramenait invariablement dans ma chambre, sur mon matelas. À ce moment-là, je sentais malgré tout que j'avais passé une certaine étape. J'étais certes dans ma chambre, mais j'avais l'impression d'être sur une autre fréquence, et, à chaque fois, je tentais de me détacher de mon corps physique, qui se concluait toujours par un échec, qui me ramenait toujours à la fréquence initiale.
Après une énième tentative, j'avais enfin réussi à me détacher de mon corps physique. Mes pieds ne touchaient pas le sol, je flottais à quelques centimètres au-dessus de celui-ci, mon corps subtil était d’une légèreté incroyable. Je me laissais guider par mon envie, qui me menait tout droit vers mon salon. La découverte de mon appartement dans cet état modifié de conscience était chaque fois un spectacle fascinant. En entrant dans la pièce, j'y découvris avec stupeur qu'elle était totalement différente. Des meubles supplémentaires avaient été ajoutés. Mes deux petits éviers en inox ridicule avaient laissé place à un magnifique et grand lave-vaisselle, un peu comme celui qu'on peut trouver dans les cuisines de restaurant. Au-dessus de celui-ci, une grande vitrine fixée au mur y trônait fièrement. On pouvait y voir des assiettes empilées, des verres soigneusement rangés et des couverts délicatement alignés dans un petit coffret. Un grand meuble TV avait remplacé le mien et la décoration y était tout simplement géniale. À ce moment précis, je me suis fait la réflexion : « La pensée est créatrice, quelle bonne idée d'avoir agencé le séjour de cette manière ! ».
Soudain, mon esprit se laissa submerger par l'émerveillement de mes découvertes, et la stabilité de ma sortie de corps s'affaiblissait progressivement, jusqu'à ce que je finisse par revenir dans mon corps physique. Je savais que je pouvais repartir, mais il ne fallait surtout pas ouvrir les yeux, car cela risquait de me faire perdre cet état de transe dans lequel j'étais plongé.
Je tentais donc à nouveau la fameuse technique d'induction, ce qui me fit replonger dans le fameux trou noir. Cependant, cette fois-ci, l'expérience prit une tournure différente. Au lieu de revenir sur mon lit, la sortie du trou noir fut riche en adrénaline. J'ai été projeté à une vitesse fulgurante à travers le plafond de ma chambre. Mes pensées semblaient voyager à la même vitesse, me poussant malheureusement à satisfaire ma curiosité. À cet instant, je savais que j'étais sur la fréquence de mon corps physique et que je pouvais l'apercevoir. Dans un élan de logique, je me suis également demandé si je pouvais aussi observer ce que mes voisins du dessus étaient en train de faire. Qui n'aurait pas succombé à la tentation de jouer les fantômes, ne serait-ce que pour quelques instants ?
Toutefois, cette curiosité malsaine m'a stoppé net dans mon élan. L'idée d'espionner les gens comme un fantôme, sans qu'ils puissent me voir ou même me toucher, me répugnait profondément. C'était tout simplement une violation de leur intimité. Mais l'arrêt trop brutal m'a fait immédiatement fait regagner mon corps physique.
De nouveau dans mon corps, je ressentais quelque chose de supplémentaire. Cette fois-ci, des vibrations intenses étaient présentes. Presque instantanément, je me suis retrouvé téléporté dans un monde lumineux. Les couleurs étaient d'une intensité à couper le souffle, et la netteté des textures était saisissante. Pour vous donner un point de comparaison, visualisez la qualité d'image ultime d'une télévision 8K, que vous avez tous déjà aperçue dans un centre commercial ou tout simplement chez vous, avec son écran OLED, réputé comme le meilleur sur le marché. Maintenant, imaginez la fréquence d'image maximale que cet écran peut offrir, créant ainsi la meilleure expérience visuelle possible. En d'autres termes, imaginez le summum de la technologie télévisuelle.
hé bien, cela paraissait totalement ridicule à côté de ce que je voyais. Absolument tout était imprégné d'une aura de lumière intense. Je me trouvais à environ cinquante mètres au-dessus du sol et pourtant, je pouvais voir chaque détail au sol comme s'il était à seulement deux mètres de moi. Ma vision était comme celle d'une paire jumelles que l'on peut ajuster à volonté.
Alors que je me déplaçais dans les airs avec une fluidité déconcertante, par moments, mon visage se reflétait dans l'air, comme dans un miroir. L'euphorie qui m'envahissait était pure et tellement immense que je ne pouvais m'empêcher de rire aux éclats. Le bonheur était le seul et unique sentiment qui m'habitait, tous mes tracas de la vie quotidienne étaient à des années-lumière, en clair, je n’en avais plus rien à faire. Les rires qui s'échappaient de moi semblaient résonner à l'intérieur de mon être, comme s'ils dialoguaient en écho avec les profondeurs de mon âme. Tout cela, ayant vécu de nombreux rêves lucides auparavant, n'était absolument pas comparable. C'était comme comparer un saut à l'élastique à un simple plongeon d'un plongeoir de trois mètres de haut dans une piscine.
Ma vitesse de vol était élevée, et je pouvais sentir chaque molécule caresser mon visage. Après quelques minutes, j'ai voulu ralentir pour explorer le monde qui se trouvait sous mes pieds. Cependant, je m'étais tellement laissé emporter par la vitesse et mon euphorie que ma course fut difficile à arrêter. Finalement, sans trop savoir comment, j'ai réussi à ralentir puis à me poser doucement sur le sol.
Je venais d'atterrir dans un petit coin de campagne. Devant moi se dressaient une grange et une sorte de poste de garde à l'extérieur. Intrigué, je me suis approché du poste de garde et je suis entré à l'intérieur. Le poste était relativement spacieux, assez grand pour que deux personnes puissent circuler aisément sans trop se gêner. À l'intérieur, un bureau était déposé, au-dessus de celui-ci, une large fenêtre était grande ouverte, En haut du cadre de cette dernière, une petite boucle en tissu pendait, suggérant qu'un volet roulant pouvait être tiré.
Dans le poste Une très belle femme d'environ 40 ans se tenait à son poste, assise sur une chaise devant le bureau. Il ne m'a fallu que quelques secondes pour réaliser qu'elle ne pouvait pas me voir. À l'extérieur, un homme se tenait debout, accoudé au rebord de la fenêtre, en train de parler à cette femme. un bref instant J'ai pu capter l'information qu'ils étaient mariés, lui aussi était incapable de percevoir ma présence. Puis, cet homme entra pour rejoindre sa femme. Soudain, une idée me vint : tous deux étaient incapables de me voir. J'ai donc tenté d'interagir avec les éléments autour de moi pour faire peur au couple. Je pouvais toucher les objets et les faire tomber au sol, mais le couple ne réagissait pas, comme si les objets tombaient au sol dans mon plan à moi, mais pas dans le leur. Comme si je pouvais uniquement perturber la structure énergétique des objets, mais pas leur matière solide. Cependant, au bout d'un moment, le couple s'arrêta de parler et l'homme ramassa un magazine que je venais de faire tomber au sol. Un sourire espiègle se dessina sur mon visage alors que j'avais enfin réussi à perturber la matière solide dans leur propre fréquence. Avais-je enfin réussi à déplacer un objet dans leur réalité ? Cependant, ma victoire fut de courte durée, car l'homme, imperturbable, reprit sa conversation avec son épouse, comme si les objets tombaient habituellement sans raison. À ce moment-là, je commençais à perdre de l'intérêt, car je n'avais pas réussi à obtenir ce que je souhaitais (effrayer le couple). Alors, je suis sorti et je me suis dirigé en planant au-dessus du sol vers un petit village qui se trouvait à quelques centaines de mètres de ma position. Une fois à l'intérieur, j'ai pu remarquer des bâtiments rustiques en vieilles pierres taillées, des maisons composées de petites structures dont les toits étaient mêlés de paille et de tuiles d'ardoise. L'ambiance était animée, comme lors d'un festival bruyant brésilien, ce qui ne collait pas du tout avec le décor environnant. Tout cela commençait à devenir étrange et incohérent.
Alors que je flânais entre les maisons, je découvris l'une d'entre elles où certains êtres semblaient me percevoir. Un chien et un chat, animés d'une étrange lucidité, me firent part de leur désapprobation. Leur langage, dénué de toute frontière linguistique, se révélait d'une clarté universelle. Leur message était sans équivoque :
—Tu n'as pas ta place ici, c'est une propriété privée, me dirent-ils, communiquant avec moi par télépathie, leur message était clair et dans une synchronicité parfaite.
Je compris alors que même si la matière solide n'était plus un souci pour moi, le respect de la vie privée et de l'espace vital des gens et des animaux était toujours en vigueur et je n'en étais pas exempt. Bien que je sois une personne très respectueuse dans mon quotidien, j'avais semblé oublier cette notion dans cet état d'exploration inhabituelle.
Puis subitement, deux jeunes enfants entre 9 et 12 ans firent leur apparition. L'un d'eux m'expliqua qu'effectivement, je n'étais pas le bienvenu. Il ressemblait à une espèce de petit elfe, semblable à <Dobby> dans Harry Potter. Ce dernier me demanda de le suivre, pris de panique sentant l'étau se refermer sur moi, je m'excusai alors de mon intrusion auprès de ces deux petits êtres. Je savais que ces deux enfants n'étaient pas exactement sur le même plan vibratoire que le couple que j'avais pu voir auparavant. Je suivis Dobby vers ce qui semblait être une tour de château. Il me fit monter des escaliers en colimaçon. Arrivé en haut de cette tour, une porte de bois était présente, derrière celle-ci, une pièce peu lumineuse était dissimulée. On pouvait apercevoir une toute petite fenêtre semblable à une meurtrière, laissant pénétrer quelques faibles rayons du soleil dans la pièce. Une jeune femme se trouvait à l'intérieur et s'adressa au jeune elfe :
—Voilà, la chambre est prête.
On pouvait y voir un vieux matelas en pails sur le sol, habillé d'une vieille couverture trouée, ainsi qu'un vieux seau métallique posé à côté. Sur le coup, je n'y avais pas prêté attention, car il était évident que cette installation n'était pas pour moi, du moins, c'est ce que j'ai pensé sur le coup. La jeune créature s'avança près de la meurtrière et me dit : "Ici, on a une très belle vue sur tout Paris." Je sentais de plus en plus l'étau se refermer sur moi, et un sentiment de peur s'installa progressivement en moi. Puis, très surpris par ce qu'il venait de dire, je lui répondis : "On est à Paris ?" En effet, le décor que j'avais vu tout au long de mon aventure ne ressemblait pas du tout à Paris. Soudain, je perçus au travers de la fenêtre une ville se dessiner sous mes yeux, et je sus alors que ce n'était pas le Paris auquel je m'attendais. Puis, subitement, la stabilité de ce voyage perdit en intensité sans sommation. J'ai ensuite senti comme une sensation d'évanouissement, et j'ai finalement ouvert les yeux dans mon corps physique.
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