Défi: Tuer les mots
Heyo ! Avant de vous laisser avec le texte, je voulais simplement mentionner que c'est la première fois que je relève un défi sur Scribay... Je ne sais pas si j'ai respecté toutes les règles ou si j'ai fait comme il le fallait, mais voilà ! J'ai aussi utilisé dans mon texte deux des personnages de mon univers. Vous n'avez pas besoin de connaître mon monde de fantasy pour comprendre cette histoire, mais je voulais au moins avertir ! « Le rouquin », « le nain », « le petit homme » et « le forgeron » font référence au personnage d'Émeri Ystas. « Le prince » et « l'héritier » font référence à Acrux Alwalz. Bonne lecture !
...
— Acrux, tu ne comprends rien ! Tu- Tu ne peux pas comprendre !
— Et qu’est-ce qui te fait affirmer cela avec tant de certitude ?
Émeri fronça les sourcils plus qu’ils ne l’étaient déjà et, dans un mouvement de rage, il envoya valser une boule de papier chiffonné contre le mur. Son ami croisa les bras, légèrement agacé. Ses yeux, malgré lui, reflétaient un profond jugement. Du moins, du point de vue du rouquin.
— Ce serait inutile de te l’expliquer…, maugréa le petit homme en évitant son regard.
Le prince soupira, tentant de ne rien laisser paraître de la colère qui bouillonnait en lui. Il fallait dire qu’il était habitué aux sauts d’humeur du forgeron, mais cela ne voulait pour autant dire que ses paroles ne pouvaient blesser. Chaque fois, Acrux pilait sur son orgueil, discutait et arrivait à calmer son ami avec tact et confiance. Mais là… le sujet lui semblait plus sérieux. Et dirigé vers lui, aussi, ce qu’il n’arrivait pas tout à fait à comprendre.
— Écoute, Émeri… Je veux juste savoir pourquoi, ces temps-ci, tu m’évites. Et ne nie pas, je t’en prie : je suis loin d’être stupide.
— C’est justement ça, le problème, ricana sans réelle émotion le rouquin avec sarcasme.
Un autre sous-entendu ainsi, et l’héritier allait détruire cet endroit, par toutes les étoiles ! Ce forgeron pouvait-il juste exprimer le véritable fond de sa pensée, qu’on sache à quoi s’en tenir ? Non, évidemment, il fallait qu’il se dissimule sous des bouts de phrases lancés n’importe comment, qui ne faisaient de sens que dans sa propre tête. Évidemment. Et qui allait devoir se casser à la tête à interpréter, à comprendre, à supposer ? Acrux Alwalz, bien entendu !
— Émeri…
— Un prince comme toi ne peut pas comprendre ce que vit le misérable forgeron que je suis.
— Mais encore ?
Peut-être que la seule façon de tirer les vers du nez à ce nain mélodramatique, c’était de le mettre en colère une bonne fois pour toutes ? Le rouquin grogna, ne répondant rien, et le prince osa reposer sa question.
— Mais encore ?
— De quoi, « encore » ?! explosa soudain le forgeron en serrant les poings. C’est tout, il n’y a plus rien à dire ! Je n’arrive plus à écrire, Acrux ! Tu peux comprendre cela ?! Non, bien entendu, que tu ne peux pas le comprendre ! Toi, tu écris si bien, si magnifiquement bien… Tes phrases sont limpides; ton style, unique. Les mots, sous ta plume, s’agencent naturellement et tes phrases font réagir par leur intensité, leur profondeur. Si tu te décidais à partager tes histoires, les gens t’acclameraient, tu pourrais devenir romancier, comprends-tu cela ? Non, non, bien sûr, tu ne te rends même pas compte de l’étendue de ton propre talent…
Acrux aurait voulu l’arrêter. Lui dire de cesser de parler ainsi, ou alors de le regarder dans les yeux alors qu’il énonçait ces stupides mensonges. Le prince ne comprenait rien. Comme ce rouquin l'avait prédit, au fond…
— Je ne suis rien, à côté de toi. Rien du tout ! Je n’arrive plus à écrire, car ce que ma plume grave sur le papier n’est plus assez bon, assez profond ! Tu évolues jour après jour dans les textes que tu me fais lire, et moi je stagne. Je stagne, bon sang, Acrux ! Cela me prend deux heures écrire un seul paragraphe. Un seul, merde ! Tu parles toujours de ton rêve de fuir le palais, de venir vivre ici, avec moi, et de te mettre à écrire à mes côtés, pour qu’on invente notre univers, notre histoire, n’importe quoi… Ne vois-tu donc pas que je te ralentis ? Que je ne pourrai jamais aller à ton rythme ? Chaque fois que tu me fais lire un de tes textes, je prends conscience du fossé qui nous sépare… Et toi tu parles, tu parles et tu parles encore et encore d’écriture comme si tu savais tout sur tout. Pendant que moi, je bois tes paroles, émerveillé, sachant toutefois pertinemment que je n’attendrai jamais ton niveau.
Mais de quoi parlait-il, enfin ? Acrux avait envie de pleurer. De crier, et de déchirer toutes ces feuilles à moitié remplies qui parsemaient le bureau de son ami. Ce qu’Émeri disait, affirmait de tout son être, cela ne faisait aucun sens ! Le prince avait toujours pensé qu’ils se complétaient parfaitement, niveau écriture. Que leurs styles différaient, et que c’était justement ce qui leur permettrait, ensemble, de créer des récits grandioses et enlevants. Chaque fois que ce forgeron lui faisait lire un de ses textes – bien qu’il devait s’avouer que cela lui prenait moins souvent, ces temps-ci – Acrux se sentait flotter. Ses idées l’inspiraient, son imagination débordait. Combien de fois n’avait-il pas emprunté un de ses personnages parce qu’il semblait plus humain, mieux construit que tous ceux qu’il se cassait la tête à inventer ? Le prince avait toujours pensé que son ami avait le concept, l’univers en tête, alors que lui, il détenait le comment, la façon de présenter les choses sur le papier. Jamais il n’aurait pensé un seul instant qu’Émeri pouvait se sentir aussi complexé…
— Écoute, je…, commença Acrux, pas du tout certain de ce qu’il s’apprêtait à dire. Je suis désolé ?
Émeri eut un rire sans joie, et son poing vint froisser une nouvelle feuille.
— Je te l’avais dit, que tu ne comprendrais pas. Un prince aussi parfait, qui a toujours tout réussi dans sa petite vie de noblesse, ne peut pas comprendre les émotions du peuple, ceux qui se débattent pour prouver leurs capacités, pour atteindre ce que tu fais en un claquement de doigts.
Ça, c’était trop. Acrux ferma les paupières, tentant d’inspirer sans trembler. L’incompréhension voilait son âme, et il ne saisissait pas comment on pouvait lui parler ainsi, comment on pouvait lui remettre au visage ses réussites aussi cruellement. Ils faisaient tous ça ! Tous ! Et l’héritier avait été assez naïf pour croire que son meilleur ami – son seul, en fait, maintenant qu’il y pensait – n’allait pas le juger comme tous les autres.
— Arrête, Émeri, par Ehraxis ! Je ne suis pas comme ça, tu le sais bien ! Je ne comprends pas pourquoi… Je ne comprends pas pourquoi tu te compares à moi ainsi ! Je ne cesse de le répéter, nous sommes différents, et c’est très bien ainsi. J’adore tes textes, d’accord ? Je les adore, je ne sais pas quoi dire d’autre… Je ne comprends pas pourquoi tu réagis ainsi, pourquoi tu…
Acrux renifla – geste tout à fait indigne d’un prince, d’ailleurs – se faisant violence pour ne pas se mettre à pleurer.
— On peut arranger ça ! Écoute, j’ai besoin de toi… Tu- Ce que tu étais avant me manque ! Quand tu étais insouciant à propos de toute cette histoire d’écriture, quand on s’échangeait des textes en rigolant, quand on inventait des délires sur nos propres personnages, quand…
— Moi aussi, ça me manque…, souffla le forgeron douloureusement, le regard rivé au sol.
L’héritier tenta de retenir le trop-plein de fureur qui montait en lui, mais il n’y arriva guère, cette fois.
— Alors pourquoi tu fais ça, si ça te manque ?! hurla-t-il, les larmes aux yeux. J’ai tout essayé ces derniers mois ! Je me suis cassé la tête à inventer prétexte sur prétexte pour qu’on écrive ensemble. Pour qu’on rit de nos personnages, qu’on s’amuse à les placer dans des situations impossibles. Comme avant ! Et toi, tu- Tu ne fais aucun effort pour m’accompagner dans mes propositions, pour- Je… Tu m’énerves !
— Je ne peux plus, Acrux, répliqua d’un air épuisé le rouquin. Je ne peux juste plus… Je- Je suis passé à autre chose. L’écriture, ce n’est pas fait pour moi. C’est peut-être la seule chose que tu m’as permise de réaliser, et je t’en serai infiniment reconnaissant.
— Tu ne peux pas me faire ça ! Toute cette histoire à propos de notre duo d’écrivains, c’était des conneries, c’est ça ?!
— Écoute… Je serai toujours là pour lire tes textes, pour t’encourager. Mais ne compte plus sur moi pour… pour écrire des histoires à mon tour. Ma décision est déjà prise; mon deuil, fait. Je suis désolé, Acrux.
Le prince hurla, des perles d’eau salée roulant sur ses joues rondes et parfaites. C’était tellement insensé, comme situation ! Devait-il devenir moins bon pour agencer les mots, s’il voulait retrouver son ami, les moments qu’ils avaient passé ensemble ? Si oui, Acrux se permettait d’essayer de toute son âme. Tout pour
Tout pour…
Pour…
…
Émeri secoua la tête, passant une main fébrilement sur ses yeux mouillés. Qu’il était pathétique… Ce texte était nul, comme les autres. Comme tous les autres, merde. Il déchira les feuilles une à une, la rage au ventre. Sans un putain de remords, oui, voilà. Puis, doucement, il se leva de sa sempiternelle chaise en bois, prenant une grande inspiration. La décision était prise : jamais, au grand jamais, il n’allait pouvoir avouer à Acrux ce qui lui pesait sur le cœur depuis à présent des mois. Jamais. C’était d’une certitude. Parce qu’il était lâche, et parce que cela ferait trop mal. Le rouquin ouvrit la fenêtre de sa chambre, avant de laisser les misérables morceaux de papier partir au vent. Demain, il allait quitter cet appartement, et ne plus jamais revenir au centre-ville. Un vagabond, voilà tout ce qu’il allait devenir.
Tout pour ne pas avouer qu’il venait de tuer cruellement et pour de bon les mots qui sommeillaient en lui.
FIN.
...
Sorry, je sais que dans les règles, c'était inscrit qu'il fallait que le texte se termine bien et qu'il « redonne envie d'écrire », mais bon, j'ai fait à ma tête :') J'espère que cela ne dérange pas trop si je post pareil ^^
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