Chapitre 2 VP Laetitia

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Pas trop motivée, j’appelle ma coéquipière préférée, Marie, pour lui demander de prévenir notre entraîneur de handball, qui n’aime pas trop qu’on soit absente. Ça me fait toujours du bien de parler avec elle parce qu’il faut avouer que je passe tellement d’heures au boulot, que j’ai assez peu l’occasion de parler d’autres choses. Avec Marie, je parle normalement, et pour sa part elle parle comme si elle avait toujours 18 ans, ce qui n’est plus le cas depuis un certain temps. C’est peut-être dû au fait qu’elle est éducatrice et qu’elle côtoie plus d’adolescents que d’adultes (en tous cas, c’est ce qu’elle dit).

- Tu lui dis bien que je suis absolument désolée ? Je serais quand même là vendredi soir pour l’entraînement avant le match contre Provins, c’est bien noté?!

- No soucy, je dis à Joe que sa chouchoute ne viendra pas, il pleure, je le console et je couche avec lui !

- Je ne sais pas pourquoi tu te fais du mal avec ça si tu l’aimes bien ? Il s’en moque de moi et c’est réciproque alors arrête ta grande bouche et invite-le à tout ce que tu veux !

- On dit arrête ta grande gueule quand on est normale, Laetitia ! Tu vas mettre quoi pour aller dans ton hôtel 4* de rêve bourré de mecs pleins aux as ? J’espère au moins que tu emmènes une nuisette super sexy au cas où tu tombes sur le grand amour. Bon essaye quand même que ce soit un parisien, pas un vigneron ! (A Bordeaux il n’y a que des vignerons, c’est bien connu !)

Voilà, ça c’est Marie et ses clichés. Chaque fois que je la vois j’ai au moins deux fous rires, et c’est la seule personne qui rigole à mes propres blagues alors depuis trois ans, c’est l’une de mes meilleures amies. Enfin, c’est même un peu la seule. Dans l’équipe, c’est elle le goal. Son mètre soixante-quinze et sa nervosité permanente y sont à mon avis pour quelque chose. Quand elle est dans les cages, elle ne tient pas en place, elle sautille en permanence comme le lapin Duracell. J’ai la prétention de penser que je suis l’autre pilier du groupe, déjà parce que je suis réellement pilier, c’est à dire à l’avant-centre, mais aussi parce que je mets une bonne moitié des buts à moi toute seule. Pour ma part, c’est peut-être dû au fait que je fais du handball depuis vingt ans et ce n’est certainement pas dû à mes 1m65 où à la force non herculéenne de mes cinquante kilos.

J’ai choisi ce sport parce qu’un certain Franck, dont j’étais amoureuse à l’époque, en faisait, et que je me suis découvert un don. Contrairement au golf que j’ai pratiqué quinze ans avec mes parents et pour lequel je suis juste nulle. Hormis Marie, mes coéquipières ne savent pas qu’avant je faisais du golf, ni rien d’autre qui se rattache à « l’ancienne moi ». Elles pensent seulement que j’ai « un bol de cocue avec mon boulot de rêve et mes 5000 € par mois ». Mais en même temps, mon boss, il en gagne 90 000 ! De plus je ne pourrais pas être cocue parce que je suis célibataire. Ce n’est ni un choix, ni un fléau, c’est juste comme ça et ça ne me fait ni chaud, ni froid.

Après mon appel, je mets un message sur PostOn pour signaler à mes nombreux autres amis aux quatre coins du monde que je pars à Bordeaux et que je serais absente deux jours, comme si la Terre allait s’arrêter de tourner. PostOn est un truc qui a réellement changé ma vie. Quand on a vécu sur plusieurs continents, on a une histoire un peu déboussolée et des amis très « proches » qui vivent très loin et qu’on ne voit plus mais qui nous manque vraiment. Parfois, je me dis aussi que je sais ce qu’ils ont pris le matin au petit-déjeuner, ou qu’ils ont acheté le Thermomachin, mais je ne sais pas ce qu’ils font dans la vie désormais.

J’ai 456 amis. Uniquement des personnes que je connais réellement, bien sûr. Environ 35 sont des anciens copains du collège, du lycée ou de l’université que j’ai été contente de retrouver mais que je ne reverrais surement jamais. Il y a quelques cousins, cousines plus ou moins éloignés. Il y a aussi les filles qui font du handball avec moi. Quelques collègues. Les autres sont des personnes que j’ai rencontrées dans les différents pays où j’ai vécu, ou parfois pendant des voyages plus courts. Entre autres, il y a des suisses rencontrés en Turquie, mes colocataires Allemandes en Angleterre, des anglais avec qui j’ai vécu en Australie et des australiens rencontrés en Inde. Entre tous, mes amis représentent 46 nationalités différentes et parfois, c’est à peu près la seule chose qui me laisse à penser que ma vie ne sera pas ratée.

J’ai aussi un blog qui s’appelle « Questions commerce » et un compte twitter professionnel. J’écris de façon anonyme car ce blog est absolument incompatible avec mon poste actuel chez Comexp, vu que j’y défends le commerce indépendant et de proximité. Comme son nom l’indique, je pose des questions sur le commerce, j’apporte des éléments de réponse et je laisse les gens décider par eux-mêmes. J’ai environ mille neuf-cent visites par jour et je suis suivie par vingt mille followers sur twitter. Ce résultat assez honnête a largement augmenté le jour où ma question « Demain, tous en chaînes ? » a été retweetée par le Ministre du commerce, de l’artisanat et du tourisme en personne. Encore plus quand il a recommencé quelques semaines après sur la question « Un bon commerçant a-t-il vraiment besoin du numérique ? ». Je parle aussi des nouvelles réglementations, des nouveaux centres commerciaux et des tendances. Tout ce qui me passionne dans la vie en fait.

Le mardi midi, je monte dans le train avec une trentaine de mes collègues. Un wagon est réservé exclusivement pour nous et l’ambiance est plutôt studieuse, surtout pour moi qui suis en diagonal de mon boss dans les sièges pour 4, avec Mathieu et Vincent, les directeurs du développement sud et nord. Ça rend Mademoiselle Jessica Arcan, la responsable du service administratif, folle de rage, mais elle n’ose pas dire un mot.

Cette fille est tout ce que je méprise. Régulièrement, je me dis que je devrais refuser de travailler dans des grosses boîtes pour éviter les gens comme elle : manipulatrice, egocentrique, jalouse. Choisir le type de personne avec qui je travaille est un luxe que je ne peux plus me permettre. Sa jupe et son décolleté sont inversement proportionnels aux miens, comme d’habitude. Il ne lui manque pas un seul bijou : boucle d’oreilles, bagues, bracelets, colliers, la totale girly. J’ai l’honneur d’être la personne qu’elle haït le plus au monde vu que son bureau se trouve trois étages au-dessus de celui de Benjamin Fortet et que le mien en est le plus proche, ce qui la transperce de jalousie, comme si je l’avais fait exprès ou pire, comme si Monsieur l’avait voulu. Il faut avouer que ça n’a rien de logique, le service administratif devrait réellement se trouver vers celui du directeur général. Parfois, rien qu’en l’entendant parler, j’ai envie de changer de boulot tellement je la déteste. Je n’en suis pas fière.

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