Chapitre 35 - VP Laetitia
Marie m’aide à faire mon sac. C’est même carrément elle qui le fait parce que, si ça ne tenait qu’à moi, je m’allongerais sur le canapé et je regarderais Persuasion en boucle, ce qui ne changerait rien à mon programme de ces deux derniers jours. Elle m’engueule un peu, mais elle sait pourquoi j’y vais à reculons.
- Cuba !! Non mais allo quoi, Cuba ! Tu n’as qu’à me donner ta place, en plus, tu y es déjà allée !
- Oui, avec la mariée justement, c’est pour ça qu’à mon avis, elle reconnaitrait que tu n’es pas sa témoin !
- Mais en plus ! Tu pourrais penser à eux et te réjouir un peu !
- Je me réjouis, je pense même que c’est la seule vraie réussite de ma vie de les avoir réunis ! Dommage que le témoin du marié soit le seul vrai échec de ma vie…
- Mais personne ne sait pour vous deux, tu n’auras qu’à rien dire, crois-moi, c’est un homme et il ne fera pas trop le malin. Est-ce qu’il y aura d’autres collègues à vous ?
- Anciens collègues ! Non, ils vont faire un pot au boulot en rentrant, il n’y aura que des gens très proches. Mais en fait, ça ne change rien du tout, je m’en moque que les gens le sachent, ce que je voudrais, c’est qu’il ne soit pas là.
- Bon, tu m’emmerdes un peu, tu sais que tu vas y aller alors fait tes valises, je te laisse !
- Ne t’énerve pas, tu es bien stressée, c’est Joe qui ne s’occupe pas bien de ton cas ?
- Très drôle. Le maillot de bain jaune, je le mets aussi ?
- Il y en a combien de maillots de bain ?
- Sept.
- Ben, arrête alors !
- Oui c’est bien ça, j’arrête, tu me fatigues.
- Merci d’être venue.
- On part dans quinze minutes, dépêche-toi
- Ok.
En fait j’ai toujours rêvé de faire un mariage sur une île, ça va être trop beau. De plus, ces deux semaines de vacances ne vont pas me faire de mal. La dernière année a été spéciale, a priori pour la suite il ne peut y avoir que du mieux. Heureusement que Monsieur ne va probablement venir que les trois derniers jours, ça me laisse dix jours pour profiter et me reposer. Quand j’ai visité Cuba avec Claire, nous avions un sac à dos et nous dormions chez l’habitant. L’embourgeoisement dû à l’âge, la fatigue et les circonstances aidant, nous allons cette fois nous retrouver dans un hôtel « all inclusive » cinq étoiles avec trois piscines, cinq restaurants, sept bars (dont deux dans les piscines), une salle de spectacles et une discothèque. Pas vraiment ce qui me fait rêver d’habitude mais dans l’état où je suis, je serais bien incapable de vadrouiller sans savoir où je vais dormir le soir.
Je quitte Paris sous un ciel magnifique et j’arrive à Cuba sous la pluie, ça commence mal. Je rejoins dans le bus les cinquante passagers qui vont dans le même hôtel que moi et une jeune cubaine étudiante en langue française nous fait des commentaires sur son pays. En arrivant dans ma chambre, je me repose quelques instants car je sais qu’une fois que j’aurais rejoint les autres, je ne serai plus tellement tranquille. Je crains une seconde qu’Il ne soit déjà là, mais je ne vois pas comment Il pourrait laisser ses deux mille employés aussi longtemps. On frappe à la porte. Je suis heureuse de voir Mathieu et Claire, resplendissants de bonheur et bronzés de leur première semaine à l’hôtel. Ils m’entraînent rencontrer les personnes arrivées ces dernières heures et je m’endors sur la plage, au milieu d’un décor paradisiaque.
Le soir, pendant le dîner je fais plus ample connaissance avec Léa et Justine, les sœurs jumelles de Mathieu qui vivent à New-York. Célibataires toutes les deux, elles me mettent dans le même sac qu’elles en pensant que je préfère rester libre, surtout que Mathieu leur a parler de mon « engagement » dans une équipe de handball, ce qui me range dans les « sportives indépendantes ». Elles me font penser à Marie. Ces deux filles ont une énergie incroyable. Elles mettent l’ambiance à elles toutes seules et comme elles attirent l’attention sur notre table, je suis assimilée à la table des « célibataires fêtardes » et je me laisse entraîner en boîte de nuit malgré la fatigue. Le lendemain matin, elles me rejoignent au petit-déjeuner, elles ont l’air de m’avoir adoptée, peut-être sur les conseils de Mathieu qui sait que je n’allais pas trop fort ces derniers mois. Pendant que je rentre me préparer pour aller à la plage, Claire me rejoint :
- Alors, comment ça-va ?
- Ça va, de mieux en mieux avec le temps qui passe.
- Tu pleurs toujours quand tu te réveilles le matin ?
- Non, plus depuis quatre mois.
- Est-ce qu’il y a quelque chose que j’aurais pu faire, tu crois ?
- Rien de plus que ce que vous avez fait, être là, me changer les idées.
- Est-ce que Benjamin est pour quelque chose dans le fait que tu ailles mal ?
- Tu me connais, je ne me laisserais pas abattre juste pour un bonhomme ! Pour la première fois je mens à Claire, à cause de lui. Il n’est pas encore là qu’il me rend déjà moins bien que je ne suis.
- Bon tu me rassures, il arrive aujourd’hui tu sais ?
- Ah ok. Je découvre le sens réel d’une expression : prendre un coup de massue.
- On se retrouve tout à l’heure ?!
- Ok
Je m’écroule sur mon lit. Je me répète « Je vais bien, je vais bien ». Je ne suis plus amoureuse de lui, c’est une certitude. Je disais ça aussi avant en fait.
Chaque mois qui s’est écoulé je me suis dit « C’est bon, je ne suis plus amoureuse de lui » et le mois suivant « Non mais là, cette fois, je ne suis vraiment plus amoureuse de lui ». Maintenant, je me sens de nouveau forte, mais pas au point de le voir.
Les jumelles viennent me priver de mes lamentations et m’obligent à les accompagner à la plage en commentant la grande nouvelle :
- Non mais tu te rends compte, Benjamin Fortet ! Il est trop beau non ?
- Il a trop de charme surtout !
- Léa, tu te rappelles quand il est venu à l’anniversaire de Mathieu, il était super classe avec sa chemise blanche et son jean qui moulait ses fesses !
- Et nous on restait derrière lui pour mater son cul pendant qu’il dansait…
- Franchement, c’est un vieux beau, mais il ne coucherait pas dans la baignoire !
- Bon en même temps, on était déjà amoureuse de lui quand on avait 14 ans et qu’il venait chercher Mathieu pour sortir.
- Oui, c’est vrai.
Je supporte ça stoïquement. Ces deux filles sont tout ce qu’il aime, cheveux longs et bruns, grandes, allure sportive et surtout énergiques et enjouées. A moi, il me manque la taille et l’énergie. Je suis vide. J’ai remarqué aussi que j’avais un peu vieilli ces derniers temps, surtout autour des yeux, on lit plus facilement mes trente-trois ans sur mon visage. Malgré cet âge avancé, Léa et Justine m’entraîne à un match de beach-volley que nous gagnons largement et qui me rajeuni d’un coup. Jusqu’à ce que la partie se termine et que je réalise que l’heure fatidique approche. Je ne pense qu’à ça. Plus j’y pense, plus je sais que je suis encore amoureuse, plus ça me stress et plus j’y pense…
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