Épisode 5. Le Secret du Vieux Nain

5 minutes de lecture

La pièce était plongée dans l’obscurité. Un seul rayon de soleil, filtrant à travers un écart entre deux tentures, illuminait faiblement l’endroit. Dans ce faisceau de lumière, des grains de poussière dansaient lentement, ajoutant une aura mystérieuse à l’atmosphère.

Tristan et Roxane observaient la pièce. C’était un bureau aménagé avec un certain style : tous les meubles étaient en marbre ou taillés dans la roche, témoignage d’un goût raffiné et ancien.

Garry poussa le vieux nain dans son fauteuil roulant jusqu’à un grand canapé. Après avoir chuchoté quelques secondes à l’oreille du vieil homme, il invita Tristan et Roxane à s'asseoir.

Le vieux nain passa une main osseuse sur sa longue barbe blanche avant de prendre la parole.

  • Garry me dit que vous pouvez voir à travers le voile. C’est extrêmement rare de nos jours. Mais avant d’aller plus loin, je veux vous dire que je suis vraiment désolé. J’ai appris la disparition de votre frère.
  • Vous y êtes pour quelque chose ? demanda Tristan, méfiant.
  • Non, non, bien sûr que non. Pas directement, du moins.
  • Pouvez-vous être plus clair ? insista Tristan, les sourcils froncés.
  • Oui, mais pour cela, il faut commencer au début. Je sais que vous êtes pressé, mais croyez-moi, mon temps est aussi précieux que compté. Je vous demande juste un peu de patience. Bien… bien. Tout a commencé il y a bien longtemps. À cette époque, l’Enchanteur avait déjà placé le Voile sur le monde, mais celui-ci était encore fragile. Il avait moins d’un siècle, en effet, et 'Il' devait encore faire quelques ajustements.
  • Un siècle après le Voile, interrompit Roxane. Ça fait quoi, le milieu du 7ème siècle ?
  • En effet, jeune fille. Vous connaissez bien vos leçons, c’est fort bien, répondit le vieux nain avec un sourire approbateur. À cette époque, on fit appel à nous… à notre groupe d’aventuriers, parce que dans une ville lointaine, Ammaiaco, des disparitions étranges avaient eu lieu. Les villageois avaient disparu, la ville n’avait plus un seul habitant. La seule chose notable était la présence de roches que les humains voilés ne connaissaient pas. On fit donc appel à nous car, je vous le dis avec modestie, je suis un peu expert en gemmologie.
  • Vous dites “nous”, mais c’est qui “nous” ? demanda Tristan, curieux.
  • Oui, bien sûr. Il y avait un humain, un homme fort et intelligent, Boggis. Son épouse était une elfe, l’être le plus beau que j’aie jamais vu de ma longue vie, Odile Chrodoriel. Mais la pauvre avait perdu la vue un siècle plus tôt. Et moi-même, Drumlin. Nous étions une compagnie d’aventuriers, et nous nous occupions des affaires qui se passaient derrière le Voile.
  • Je vois ce que vous voulez dire, dit Tristan avec un léger sourire. Je suis détective, et je m’occupe du même genre d'affaires.
  • Merveilleux ! Je suis heureux de savoir qu’il y a encore des personnes qui s'occupent de cela. Bref, poursuivons. Nous sommes partis pour Ammaiaco et avons commencé notre enquête. Pour être franc, nous ne comprenions pas ce qui se passait là-bas. La ville était déserte, les maisons toutes retournées, un désordre comme après un combat, mais pas une goutte de sang. Et cette roche… je ne l'avais jamais vue. Je me mis à l’étudier pendant des jours. Boggis cherchait une piste, un indice, quoi que ce soit, mais sans résultat. Odile, quant à elle, était nerveuse depuis notre arrivée.
  • Oui, il paraît que plusieurs anciennes races sentent certains événements, surtout les sombres, dit Roxane, captivée par le récit.
  • En effet. Et cela se produisit une nuit. Nous étions attablés quand nous avons entendu un bruit dans la rue, un raclement de pierre contre pierre. Curieux et imprudents, nous sommes sortis. Boggis ouvrit la marche, mais aussitôt, un cri retentit, le sien. Odile, qui suivait son mari, referma la porte devant moi, me laissant à l'intérieur. Ensuite, un fracas, et de nouveau ce bruit de roche. J’ouvris la porte et les vis… Odile était agenouillée, tenant dans ses mains une grosse pierre, pleurant. En m'approchant, je compris. Elle tenait le visage de Boggis pétrifié. Par la Sainte Enclume, je n’ai jamais entendu d’aussi tristes pleurs que ceux de cette elfe.
  • Qu’est-ce qui s’était passé ? demanda Roxane, les yeux écarquillés.
  • C’est impossible… J'en ai entendu parler, mais je ne pensais pas qu’il en existait vraiment, dit Tristan, songeur.
  • Vous êtes vif d’esprit, monsieur Renard. Et pourtant, par ma barbe, nous avions affaire à un basilic.
  • Un quoi ? s’étonna Roxane.
  • Un basilic, expliqua Tristan. Un serpent qui vous pétrifie s'il vous regarde.
  • Pas tout à fait, monsieur Renard. La pétrification ne se produit que si vous croisez son regard, précisa Drumlin.
  • C’est pour cela qu’Odile n’a pas été pétrifiée. Elle était aveugle. dit Tristan.
  • Exact, et en refermant la porte, elle m’a sauvé la vie, ajouta Drumlin.
  • Et qu’avez-vous fait ensuite ? demanda Roxane, l’excitation palpable dans sa voix.
  • Moi, pas grand-chose. Odile, par contre, est partie en guerre contre cette créature. Les elfes sont des êtres paisibles, la plupart du temps, mais le chagrin immense qu’elle ressentait l’avait transformée. Elle est partie dans la nuit, armée de l’épée de Boggis. Elle m’avait fait promettre de ne pas la suivre, et je l’avoue, la peur de ce monstre m’a fait obéir. Elle est revenue le matin suivant, l’épée brisée, un bandeau sur les yeux. Elle m’a tendu un objet rond enveloppé dans le tissu de sa robe. J’ai compris ce que c'était.
  • Un œil de basilic ! répondirent Tristan et Roxane à l’unisson.
  • Oui. J’ai construit une boîte en onyx noir pour l’y enfermer, gravée de runes anciennes pour la sceller. Depuis ce temps, nous avons confié à des gardiens la responsabilité de la boîte.
  • Marcel Demoiny était l’un de ces gardiens, n’est-ce pas ? demanda Tristan.
  • Rien ne vous échappe, monsieur Renard. En effet. Mais il semblerait que votre frère soit devenu le nouveau gardien depuis peu.
  • Sauf qu’apparemment, il a été enlevé, dit Roxane.
  • Oui, espérons qu’il ait pu mettre la boîte en sécurité avant.
  • Vous savez qui a fait ça ? demanda le détective.
  • Malheureusement, oui. C’est mon fils, Doolin. Il a combattu pendant la Seconde Guerre mondiale. C'était un bon guerrier, mais après une grave blessure, il a été transféré dans une clinique militaire. Là, un homme, dont je ne sais rien, lui a parlé de l'œil de basilic et du rôle que j’y ai joué. Il est revenu après la guerre en me demandant où il était, mais je ne lui ai jamais dit.

Le vieux nain passa sa main sur l'emblème de son peignoir, un marteau et une massette croisés, puis il dit :

  • Depuis presque 80 ans, il le cherche.

Le vieux nain semblait épuisé, ses souvenirs l'avaient manifestement éprouvé. Garry se leva et dit au détective et à Roxane :

  • Mon maître doit se reposer. J'espère que vous comprenez, mais je vais vous raccompagner.

Roxane se leva.

  • Une dernière chose… Qu’est-il arrivé à Odile ?
  • Nous sommes restés à Ammaiaco. J’ai travaillé dans les profondeurs pendant des siècles. Aujourd’hui, le village est connu sous un autre nom : Amay. J’y ai aussi bâti une tour pour les gardiens de la boîte. Quant à Odile, la mort de Boggis l’a profondément affectée. Elle s’est laissée mourir, cela a pris cinquante longues années, puis elle l’a rejoint. Je lui ai taillé un sarcophage, et elle repose avec les pierres de son époux. Aujourd'hui, les gens se rappellent d’elle sous le nom de Chrodoara ou encore Sainte Ode.

Tristan se leva à son tour et, avec Roxane, se dirigea vers la sortie. À ce moment-là, le vieux nain agrippa la main de Tristan. Ses yeux aveugles, remplis de larmes, étaient fixés sur le détective.

  • Monsieur Renard, vous devez arrêter mon fils. La vie de toute la population de la ville en dépend !

Annotations

Vous aimez lire Tim.Brose ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0