Épisode 11. Le silence des statues
Ivan et les autres nains restèrent sans voix, fixant les morceaux de pierre qui, il y a quelques secondes, formaient encore leur chef, Doolin. Ivan se tourna vers l’homme à la capuche et, d'une voix rauque, lança :
- Qu’avez-vous fait ?!
- Rien d’autre que tenir ma promesse. Il voulait un trône de pierre. Grâce à ce basilic, il aura un royaume de roche, répondit l’homme en souriant, son visage se fendant d'une expression cruelle.
- Vous êtes un monstre !
- Vous n’avez pas idée, rétorqua l’homme, le sourire toujours aux lèvres.
Dans la caverne, un grincement sinistre se fit entendre. La statue du basilic commençait à s’animer, ses écailles de pierre crissant les unes contre les autres.
Roxane et Garry rejoignirent Tristan, qui observait la scène, son épée toujours à la main.
- Ne le regardez surtout pas dans les yeux ! cria Garry.
- Plus facile à dire qu’à faire, murmura Roxane, anxieuse.
Le basilic tourna la tête vers les nains d’Ivan, et certains croisèrent son regard, se transformant aussitôt en statues de pierre. Pris de panique, les autres s’enfuirent en direction de la sortie, tandis qu’Ivan tentait en vain de calmer ses hommes.
Profitant de la confusion, l’homme à la capuche s’éclipsa sans que personne n’essaie de l’arrêter. Mais lorsque les nains atteignirent le tunnel d’où ils étaient venus, la queue du basilic frappa violemment le plafond, provoquant un éboulement qui bloqua le passage. Ils devaient trouver une autre issue. Ivan balaya la salle du regard, jusqu’à croiser celui de Tristan et de ses compagnons.
- Allez, mes frères, avec moi ! lança-t-il.
Les nains prirent leurs armes – haches, pioches, marteau piqueur – et se mirent à charger en direction du trio.
- Tu crois qu’ils vont simplement essayer de passer ? demanda Roxane.
- J’en doute, répondit Garry, resserrant sa prise sur sa hache de guerre.
Tristan se mit en garde, tandis que Roxane, résignée, murmura :
- Tolon i' megilnîn.
Les deux dagues apparurent dans ses mains, l’une blanche, l’autre noire. Elle se plaça en position de défense. Quinze nains s’approchaient, prêts à en découdre.
Soudain, le serpent géant fondit entre les deux groupes, fauchant deux nains sur son passage, puis se dirigea droit vers Tristan.
- Contre le mur, vite ! cria-t-il.
Garry et Roxane obéirent. Le basilic les frôla et poursuivit son chemin vers la pièce circulaire. Dans un bruit assourdissant, il explosa la grille du puits et s'échappa de la tour romane, libre de semer le chaos.
***
Autour de la table, Étienne, Sophie, et Marc fixaient avec stupeur le dé que Benoît venait de lancer.
- Trois !
- Échec critique, constata Marc, très sérieux dans son rôle de maître du jeu.
- C’est pas possible d’avoir une telle malchance, Ben, ajouta Sophie en posant une main compatissante sur le bras du barman.
Soudain, Benoît, grâce à son ouïe fine d'orc, perçut un bruit venant de l’extérieur. Puis ce furent des cris, nombreux et désordonnés.
- C’est quoi ce bazar dehors ? s’inquiéta-t-il.
- De quoi tu parles ? demanda Sophie.
- Il se passe quelque chose à l’extérieur !
L'orc se dirigea vers la porte pour voir ce qui se passait dans la rue. Au même moment, Pierre descendit précipitamment les escaliers en criant :
- N’ouvre pas cette porte !
Trop tard.
***
Dans sa boutique, Charlotte, l'halfeline des objets perdus, s'était recroquevillée sous sa fenêtre, les oreilles bouchées et les yeux fermés avec force.
***
Dans la rue principale, les gens se transformaient les uns après les autres en pierre dès qu'ils croisaient le regard du monstre. Piétons et automobilistes furent pétrifiés, provoquant des collisions en chaîne dans un chaos total. La rue résonna un instant d'un vacarme assourdissant, avant de sombrer dans un silence aussi figé que la pierre.
***
Dans les profondeurs de la ville, une bataille faisait rage. D’un côté, Ivan et onze de ses nains ; de l’autre, Tristan, Roxane et Garry.
Tristan était en plein duel avec Ivan. Son épée noire crépitait d’étincelles à chaque choc contre la pioche de guerre du nain. Dans un mouvement vif, le détective toucha le bras d’Ivan, laissant un filet de sang couler.
- Ça, c’est pour m’avoir tiré dans les jambes tout à l’heure ! lança Tristan, un sourire en coin.
« J’aurais dû te mettre une balle dans la tête. »
« Ah bon ? Ce n’était pas ça que tu visais ? »
Rageur, Ivan se jeta de nouveau dans la mêlée.
Pendant ce temps, Garry, seul face à quatre nains, défendait farouchement le passage avec sa hache.
- Amis, je n’ai rien contre vous, s’exclama-t-il. Laissez-nous partir, et on s’en tiendra là !
Roxane, armée de ses deux dagues, se battait avec habileté contre deux autres guerriers, frappant les jambes et essayant de blesser le plus légèrement possible.
- Je crois qu'ils ne sont pas d'accord pour nous laisser partir.
- Ils m’envoient désolé, répondit Garry en expédiant un nain de l'autre côté du couloir d’un coup puissant.
Soudain, un bruit strident résonna dans le tunnel.
TATATATATATA !
Roxane et Garry échangèrent un regard avant de voir un autre nain arriver, brandissant un marteau-piqueur en marche, pointé dans leur direction.
- Là, on est dans le pétrin, lâcha Roxane.
- Vous les humains, vous abandonnez tellement vite, répliqua Garry.
Sans perdre une seconde, Garry bondit vers le nain et donna un coup puissant sur la pointe du marteau-piqueur avec sa hache. L'outil s’enfonça dans le sol et se mit à rebondir, heurtant violemment le visage de celui qui le portait.
- Finalement, je retire ce que j’ai dit, maître nain.
- Haha, j’adore quand vous m’appelez comme ça, gente dame !
Pendant ce temps, Tristan continuait son combat contre Ivan. D’un large coup de côté, il brisa le manche de la pioche d’Ivan, envoyant l’acier valser plusieurs mètres derrière eux. Ivan se retrouva avec un simple morceau de bois dans les mains.
- C’est fini, Ivan. Rappelle tes hommes et partez. Trop de sang a déjà coulé aujourd’hui.
Le nain vaincu poussa un cri à l’attention de ses camarades :
- Stop ! Posez vos armes, on se rend.
Garry et Roxane échangèrent un regard tandis que Tristan les rejoignait.
- Bon, c’est pas tout ça, mais il y a un gros serpent dehors, dit le détective en rengainant son épée noire.
- Tu sais comment l’arrêter ? demanda Roxane à Garry.
- Pas la moindre idée. La seule personne qui pourrait nous aider, c’est le gardien de la boîte. Allez, direction Le Mordor.
***
Le trio arriva dans la rue principale, bordée de statues figées dans des expressions d'horreur.
- Il n'a pas perdu de temps, constata Roxane.
- J'espère que mon frère va bien, murmura Tristan.
Après quelques pas, ils atteignirent Le Mordor. Pierre était assis devant l'entrée, le visage enfoui dans ses mains.
- Heureux de te voir en chair et en os, frangin. Qu’est-ce qui…
Pierre releva la tête et fit un signe négatif, un air de désespoir sur le visage.
- Bon sang, Ben ! s’exclama Tristan en se précipitant vers la porte. Mais avant qu’il ne l’atteigne, celle-ci s’ouvrit, laissant apparaître Benoît. Le barman orc tenait dans ses mains son énorme marteau de guerre gravé de runes barbares.
- Ben, tu m’as fait peur, lâcha Tristan, soulagé.
- Désolé, l’humain. Ce soir, c’est Beror.
Benoît passa devant lui, une aura de colère flottant autour de lui. Tristan jeta un coup d'œil à l’intérieur du bar et vit… le groupe de jeu de rôle de Benoît, pétrifié autour de la table.
Tout à coup, un rugissement retentit sur la place. Le groupe se retourna, alerté, et aperçut… Le basilic. Il était là, son immense corps enroulé autour du clocher de la collégiale.
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