La boule de cristal

5 minutes de lecture

Petit à petit le temps s’accélérait.

Je me mis à paniquer, j’étais enfermé dans le château du magicien noir, seul et totalement désarmé.

Avant de partir je fis un rapide tour de la pièce. Un objet attira mon attention : une magnifique boule de cristal.

Sans réfléchir, je volai l’objet et partis en courant.

Vite, vite je courais de plus en plus vite. Le temps lui aussi accélérait sans cesse, jusqu’à retrouver son cours habituel.

Épuisé, je finis par m’effondrer dans une clairière, non loin du château.

Je dormis durant des heures.

Je fus réveillé par une présence qui se penchait sur moi, je murmurai : « Le Chevalier Noir ».

L’ombre sourit et me demanda :

« Alors, petit chat, on a bien dormi ?

— Merlin, m’exclamai-je !

— En personne, confirma l’enchanteur. Que fais-tu ici ?

— Je viens du château du Chevalier Noir, mon ennemi, celui qui a enlevé ma fiancée Julie.

— Où est-elle, me demanda le magicien ?

— Je ne sais pas, elle a disparu, je n’ai aucun moyen de la retrouver.

— Grossière erreur, rectifia le magicien, tu as la solution entre tes mains. »

Interloqué, je me penchai vers la boule de cristal.

Des formes indéfinissables couraient à l’intérieur.

Sans vraiment savoir pourquoi, je concentrai mes pensées sur Julie, ma fiancée.

Alors un flot de pensées et d’images me submergea.

Je me retrouvai loin très loin d’ici et voilà ce que je vis et entendis.

Sept heures du matin.

L’allégorie souriait à Julie. La douce blonde était fascinée par la pureté des lignes de la jeune femme qui l’invitait à s’approcher d’elle. Le visage fermé, le regard condescendant, voire ironique avait laissé place à ce que la jeune fille pouvait considérer, sans hésitation, comme le plus tendre sourire du monde.

Julie soupira :

« Ô Marie.

— Mais comment connais-tu mon nom , on me nomme juste l’Allégorie ?

— Ton voile bleu, ta grenade et ta beauté virginale ne sauraient me tromper.

— Pourtant je ne suis pas réelle ? demanda Marie.

— Tu es bien plus réelle que tout ce qui m’entoure.

— Et désirable ?

— Je n’osais te le dire. Puis-je mettre ta beauté à l’épreuve, murmura Julie ?

— Si tu oses … »

Julie ne répondit pas mais donna et reçut le plus tendre des baisers.

Soudain Marie se mit à rire :

« Tu devais avoir honte !

— Pour un simple baiser? minauda Julie.

— Non pour ta tenue ! »

Julie se rendit compte qu’elle était nue, entièrement nue. Elle se mit à rire et laissa la déesse explorer son corps. Le désir envahissait la jeune fille, elle avait le sentiment de sombrer dans le vice, de jouir du Mal.

Grisée, elle laissa ses lèvres glisser vers le foulard qui cachait le sein de Marie.

L’Allégorie la repoussa :

« Tu n’as pas honte ?

— Mais, toi tu…

— Si tu continues ainsi, ma fille, tu seras damnée pour l’éternité ! rétorqua Marie. »

Terrorisée Julie vit l’Allégorie grandir, encore et encore. Non, c’était elle Julie, qui, telle Alice, rétrécissait.

Marie devint immense et menaçante :

« Petite Julie, je vais te manger !

— Mais pourquoi? supplia la petite Julie.

— Car tes lèvres m’ont ouvert l’appétit !

— Non , non, non noooooooooooooon! hurla Julie. »

Julie se réveilla, en sursaut, couverte de sueur.

Elle chercha Ozu du regard, puis se rappela que son petit ami était rentré au Japon, dès le début de la pandémie.

Elle songea à téléphoner à son frère Jules, mais à sept heures du matin, il devait encore dormir.

Julie se regarda dans le miroir, certes il y avait une lueur d’angoisse dans ses yeux, mais le reflet était plutôt flatteur : une jolie blonde aux yeux bleus, âgée de vingt-deux ans.

Sa terreur reculait, elle retrouvait son visage habituel : souriant, espiègle,avec des lèvres sensuelles prêtes à croquer la vie par les deux bouts.

Jules avait dû écrire un haïku sur le site littéraire.

Elle lut :

Terreur de la nuit

a pour but de te donner

clef de ta folie.

Julie fit une grimace et se rappela qu’elle devait aller au restaurant aujourd’hui.

Bouillant, en transe, je reposai la boule de cristal et je me tournai vers Merlin :

« Je ne comprends pas.

— C’est pourtant clair , dit l’enchanteur. Julie mène une vie nouvelle de l’autre côté.

— Julie a oublié notre monde, ajoutai-je désespéré, elle a oublié la Fantaisie et notre amour.

— Je le crains, murmura le vieil homme et j’ai bien peur que les conséquences soient bien plus graves.

— Plus graves ?

— Oui petit chat, ton monde réel, le monde d’où tu viens semble s’être radicalement transformé ?

— Je n’ai plus de place, demandai-je dans un sanglot ?

— Non, petit chat, répondit l’Enchanteur. Tout cela est très inquiétant, je vais passer de l’autre côté »

Merlin disparut.

Je me tournai vers la boule de cristal magique.

De l’autre côté une heure était passée, je lus, de nouveau, dans les pensées de Julie.

Huit heures du matin.

Julie avait eu le temps de prendre sa douche et d’avaler un café.

Au départ, elle n’avait pas trop vu l’intérêt de retourner au resto, après toutes ces semaines de confinement, mais retrouver une vie normale n’était pas pour lui déplaire.

Elle se dit qu’elle n’avait pas vraiment besoin de travailler. Ses parents, médecins, pouvaient lui payer ses études.

Mais sa mère n’avait guère apprécié la révolte de Julie, qui avait préféré les Beaux- Arts à la faculté de Médecine. Son père avait réussi à éviter la rupture.

Depuis Julie travaillait comme serveuse dans un restaurant parisien : l’indépendance était à ce prix.

Juste avant la pandémie, elle avait visité le musée d’Angers et c’est là qu’elle avait rencontré l’Allégorie de la Simulation de Lippi.

Elle avait décrit le tableau :

Une jeune femme, belle, très belle, vous regarde.

Elle a le teint pâle, les lèvres fines , de grands yeux noirs qui vous toisent, ni haineux, ni indifférents, distants ?

Dans sa main droite, un masque de théâtre, dans sa main gauche, une grenade, étrange fruit qu'elle semble vous donner.

On ne sait si elle se moque de vous, si elle vous manipule, ou, si elle vous donne l'essence du don qui serait pure dissimulation.

Et puis il y avait eu cette scène… horrible.

Julie préféra appeler Jules, son frère.

« Tu es déjà réveillée, s’étonna la voix ensommeillée de Jules ?

— J’ai fait un horrible cauchemar, rétorqua Julie.

— Toujours ce Tableau ?

— Toujours, cela fait des mois que cela dure.

— Et c’était quoi cette nuit, questionna Jules ?

— C’est gênant, confessa sa petite sœur.

— Tu veux dire c’est sexuel ! Bon, et si tu me racontais, pour de bon, ce qui s’est vraiment passé, proposa son grand frère ?

— J’avais un peu allumé le gardien et je regrettais d’avoir mis ce pauvre homme si mal à l’aise.

Je me suis dit : « une éducation catholique ne s’efface pas d’un trait. »

— Et alors, demanda Jules ?

— Alors elle m’a parlé, sanglota Julie,

Parlé, répéta le jeune homme stupéfait, Pour dire quoi ?

Elle m’a dit : Ma pauvre fille, tu ne vas pas aller loin avec ta psycho à deux sous. J’ai hurlé et je suis partie en courant. »

La boule s’obscurcit : la communication était coupée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire phillechat ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0